Incendie de Notre Dame de Paris Le point de vue des ingénieurs prévention des entreprises d’assurance
Après la stupeur, le désarroi et la tristesse, le temps de la reconstruction est venu.
En tant que citoyens mais également professionnels de la gestion du risque incendie, les ingénieurs prévention des entreprises d’assurance ont été doublement touchés par l’incendie de la Cathédrale Notre Dame de Paris.
Ils adressent leurs plus vifs remerciements aux pompiers de Paris mobilisés pour lutter contre cette catastrophe qui par leur courage et souvent au péril de leur vie ont su venir à bout de ce feu afin que l’espoir demeure d’une rapide reconstruction de ce chef d’œuvre de la culture française.
A l’occasion de cette reconstruction, un travail de fond doit être mené sur les méthodes de lutte contre l’incendie.
Des enseignements devront être tirés et appliqués afin d’empêcher de nouveaux drames.
Par le passé la survenance de trop nombreux incendies prouve que tous les enseignements ne sont pas tirés de ce type de feux.
Les exemples sont multiples en France comme à l’étranger. Si l’origine des sinistres est souvent identifié, l’importance des dommages résultent de plusieurs causes.
Ø En janvier 1972, la cathédrale de la ville de Nantes est en partie détruite par un incendie. Après plusieurs heures de lutte, les pompiers maîtriseront le feu déclenché accidentellement par le chalumeau d’un ouvrier couvreur travaillant dans les combles de la cathédrale.
Ø 20 ans plus tard, en novembre 1992, le château de Windsor est en proie aux flammes en raison d’un luminaire placé à proximité de rideaux combustibles. Le manque de compartimentage du château a permis une propagation rapide du feu.
Ø Dans la nuit du 4 au 5 février 1994, un incendie se déclare dans les combles du parlement de Bretagne à Rennes conduisant à l’effondrement de la toiture. En raison d’une défaillance humaine, le message reçu par la centrale de détection incendie n’a été retransmis qu’une heure et demie après aux services de secours qui mettront 4 minutes pour arriver sur les lieux.
Ø Le 2 janvier 2003, le château de Lunéville brûle. L’ensemble de la toiture mais également d’inestimables collections sont détruites. A l’origine du sinistre, un court-circuit a mis le feu à la charpente de La Chapelle.
Ø Le 25 juillet 2013, l’hôtel Lambert, à quelques centaines de mètres de Notre Dame sur l’île Saint Louis, est ravagé par les flammes. Cet hôtel particulier du 18 -ème siècle était en cours de rénovation lorsque l’incendie se déclarât. L’origine du sinistre n’est pas encore clairement établie (combles, climatiseurs, court-circuit ....).
Ø Le 28 juin 2013, un incendie a ravagé l’hôtel de ville de La Rochelle datant pour partie du 15 -ème siècle. L’incendie est parti des combles, le feu aurait été provoqué par un court-circuit au niveau d'un tableau électrique.
Ø Le 15 juin 2015, le feu ravageait la toiture de la Basilique Saint Donatien de Nantes. En moins d’une demi-heure il ne restait presque plus rien de la charpente. Les expertises menées avaient identifié les travaux de maintenance en toiture comme étant à l’origine du sinistre.
Ø Le 15 avril 2019, la Cathédrale Notre-Dame de Paris brulait…
Combien de millions d’euros dépensés pour reconstruire alors que ces mêmes sommes auraient pu être investies de manière plus productive dans la prévention/protection pour éviter l’éclosion et la propagation du feu.
Problèmes électriques, défauts de vigilance, travaux par points chaud, chantiers de rénovation non maitrisés, les origines des sinistres sont connues.
Que l’incendie de la cathédrale de Paris permette une prise de conscience salutaire pour améliorer la prévention et la protection contre les incendies.
Rappelons que pour l’année 2017, la Fédération Française de l’Assurance a évalué à 3,6 milliards d’euros le coût des sinistres incendie pour l’ensemble des biens (particuliers, professionnels et agricoles - hors auto).
Ce montant ne tient pas compte de tous les coûts indirects générés par de tels sinistres.
Pour l’avenir, de quelle manière pouvons-nous réduire ce type de sinistre ?
A cette question simple, les réponses sont complexes et multiples. Les ingénieurs prévention des entreprises d’assurance, réunis au sein de la Fédération Française de l’Assurance, ont tenté d’y répondre.
Quatre axes d’amélioration de la gestion de tels risques ont pu être identifiés. Ils concernent les mesures de prévention, les moyens de lutte contre l’incendie, des moyens complémentaires d’atténuation des sinistres et des mesures spécifiques à prendre lors de chantiers de rénovation.
Parmi les mesures de prévention, il est important de :
Ø Mener une analyse de risques précise permettant de dresser une cartographie des sources d’éclosion et de connaître l’organisation des lieux.
Ø Réduire les sources d’éclosion notamment du fait : ü Des installations électriques (permanentes ou provisoires). La réduction ou la suppression du nombre d’installations électriques dans les combles (électricité…) et leurs aménagements (chemins de câbles avec recoupement coupe-feu, …) sont à privilégier. Toutes ces installations doivent être vérifiées périodiquement par des organismes accrédités et les anomalies détectées doivent être traitées dans les meilleurs délais.
ü De la foudre. Une étude doit être menée pour apprécier l’exposition du site au risque de foudre. La mise en place de paratonnerre, de parafoudre ou de parasurtenseur est nécessaire.
ü Des fumeurs. L’interdiction de fumer est impérative. Elle doit être rappelée par une signalétique répartie dans tout le bâtiment. Une sensibilisation à cette interdiction de tous les intervenants (internes et externes) doit être régulièrement réalisée.
ü Des travaux par points chauds. La procédure de permis de feu doit être réellement appliquée avant, pendant et après la réalisation des travaux.
ü Des actes de malveillance. Le contrôle d’accès et/ou la mise en place d’une installation de vidéosurveillance permettent d’en réduire le nombre sous réserve d’installations efficientes.
ü Des stockages de matières combustibles. La gestion de ces stockages permet d’identifier les zones dédiées et de supprimer les stockages parasites. Les archives ne doivent pas être stockées dans les combles et tous les stocks non utilisés doivent être retirés.
ü Des rongeurs. De nombreux départs de feu sont dus aux rongeurs qui s’attaquent aux installations électriques et génèrent des courts-circuits. Une lutte contre ces animaux doit être régulièrement pratiquée.
ü De la poussière. Les ossatures et les combles doivent être dépoussiérés périodiquement par aspiration afin de limiter la quantité et la concentration de poussières très sèches. Ces dernières sont facteurs d’éclosion et de propagation très rapide des incendies et sont également susceptibles d’engendrer une explosion en cas de poussières en suspension.
ü Du choix des matériaux. Une réflexion doit être menée sur les caractéristiques et le comportement au feu des matériaux utilisés en rénovation ou en construction. L’utilisation d’isolants combustibles est à proscrire.
Les moyens de lutte contre l’incendie doivent respecter les mesures suivantes :
Ø Ils doivent être installés en concertation avec les services de secours et les assureurs. Cette concertation entre tous les acteurs doit permettre une efficacité accrue de ces moyens de lutte contre l’incendie.
Ø Les systèmes et équipements sur le site doivent être fiables et s’appuyer sur une certification de produits reconnue. Ils seront installés et vérifiés par des personnes et/ou sociétés qualifiées ou disposant d’une certification de services reconnue.
Ø En fonction de l’analyse de risque et des configurations, il sera décidé de :
ü Renforcer ou mettre en place un compartimentage au niveau des combles pour limiter la propagation d’un incendie et aider les services de secours pour établir une ligne de défense naturelle. Ce compartimentage s’appuie sur des murs, des portes coupe-feu, des clapets coupe-feu …
ü Mettre en place une installation de détection incendie dont les informations sont renvoyées vers une station de télésurveillance ayant un niveau d’exigence fonctionnelle, organisationnelle et technique suffisant ou un PC Sécurité occupé 24h/24 par des agents SSIAP (service de sécurité incendie et d’assistance aux personnes) afin que la levée de doute se fasse au plus vite.
ü Placer des moyens de protection incendie efficaces comme des installations d’extinction automatique à eau de type sprinkleur dès lors que le site présente une valeur telle que sa disparition serait inacceptable. Ces installations ont montré leur efficacité dans différentes configurations et restent souvent LA solution pour lutter contre un départ de feu dans l’attente de l’arrivée des secours.
ü D’étudier l’installation de moyens complémentaires comme des colonnes sèches, des robinets d’incendie armés afin de faciliter les interventions. Les sites doivent être systématiquement équipés d’extincteurs mobiles permettant aux personnes formées d’intervenir rapidement.
Des mesures supplémentaires visant à atténuer les sinistres doivent être mises en place.
ü La connaissance des lieux par les pompiers et l’analyse de différents scénarii d’éclosion et de développement du feu doivent être parfaites.
ü Des exercices doivent être régulièrement effectués par les pompiers et les équipes d’intervention internes.
ü Les accès aux sites doivent permettent la circulation et le positionnement des engins de lutte contre l’incendie. Les ressources en eau doivent être dimensionnées en conséquence afin de permettre de lutter contre un feu important. Si le réseau public n’est pas suffisant des réserves doivent être installées avec l’accord des services de secours.
ü Les services de secours doivent être contactés sans perdre de temps et pouvoir intervenir dans les plus brefs délais. A leur arrivée, les zones dangereuses (zones de travaux, stockages de gaz, de matières combustibles ,…) et les éléments à sauvegarder en priorité (œuvres d’art, pièces de collection, tableaux, sculptures, …) doivent leur être signalés et les plans de circulation remis.
Dès lors que des travaux sont engagés, une organisation spécifique doit être mise en place.
Les chantiers de rénovation sont des facteurs aggravants à l’exposition au risque incendie des bâtiments sur lesquels ils sont engagés.
ü Une analyse de risque encore plus poussée doit être réalisée et un encadrement rigoureux mis en place (réflexion sur les implantations de base vie, inspection incendie réalisée lors des travaux et en fin de journée, mesures compensatoires du fait de la neutralisation de certains systèmes …).
ü Le respect de bonnes pratiques est également indispensable. Il s’agit de la mise en place de rondes périodiques par du personnel de sécurité, de l’organisation du chantier autour d’un responsable de site, d’une base vie et de zones de stockage sécurisés pour les liquides et gaz inflammables, de l’isolement des zones de travaux et de l’identification des zones de co-activités, de la séparation en énergie en fin de journée, de la vérification régulière de la qualité des appareils utilisés ainsi que de leur bon fonctionnement et de leur utilisation.
ü Des équipements provisoires et spécifiques doivent être mis en service le temps des travaux. L’installation de détection incendie provisoire fait partie de ces équipements. La dotation en moyens de lutte contre l’incendie doit également être renforcée dans les zones de travaux (extincteurs,…).
ü Il est impératif que les équipements mis en place remplissent leur fonction le jour J. Il faut donc les vérifier régulièrement et procéder aux réparations nécessaires afin de les maintenir en état de marche.
Les ingénieurs prévention des entreprises d’assurance travaillent en parfaite collaboration avec tous les professionnels de la prévention incendie pour adapter ces mesures au site à protéger.
Au regard des contingences propres à chaque site et chaque chantier, le respect de ces mesures permettrait d’éviter de nombreux incendies.
C’est avec force et détermination que les ingénieurs prévention des entreprises d’assurance réunis au sein de la Fédération Françaises de l’Assurance mettent leurs expertises au service de l’intérêt général afin de préserver les biens culturels et économiques qui constituent la richesse de notre nation.
Fédération Française de l’Assurance
Olivier Douard Christophe Delcamp
Président du Groupe Permanent Prévention Entreprise Directeur Adjoint
Responsable des ventes - Ile de France chez Chubb Fire & Security
5 ansC’est malheureusement vrai. Les réglementations existent, mais sont pour certaines insuffisamment mises en œuvres. L’expérience montre que dans la majeure partie des cas, la défaillance humaine est en première ligne, et souvent liée à des problèmes d’exploitation, de gestion des risques immédiats, et naturellement de financement.... En tant qu’entreprise professionnelle dans ce métier de protection incendie, nous voyons tous les jours l’avortement de projets intelligents à cause de l’absence de budget, combien coûte réellement la conséquence d’un incendie ?
Chef de projet Richard Conseils & Associés SA
5 ansNous parlons d'un site emblématique mais il y a de part le monde (la photo est de Lamarque en France) de nombreux sites qui mériteraient une attention particulière. Depuis 2015, la réglementation suisse prévoit un suivi des bâtiments durant leur exploitation. Aujourd'hui réellement peu de bâtiments, ou devrais je dire peu de propriétaires y voit un intérêt. Le focus est mis sur les coûts d'une prestation et non l'opportunité de maintenir un niveau de prévention acceptable dans les établissements pour limiter ou empêcher un incendie, voir une perte de l'entreprise. Pour le cas de Lamarque, la photo ne montre qu'une partie d'un escalier qui permet de rejoindre le sommet du clocher (nous sommes juste au-dessous des cloches mais nous finissons le parcours au-dessus des cloches) avec des escaliers en bois très étroit. Si vous êtes de passage dans la région, faite le détour c'est magnifique et vous découvrirez les mesures de protection incendie mises en oeuvre. Dans le cadre d'une transformation d'une église à Bois-le-Duc (NL), le service du feu avait installé une colonne sèche qui allait jusque sur la toiture du bâtiment. Certains diront inutile, en effet, il n'y a pas eu d'incendie. Mais s'il y avait eu un incendie nous aurions trouvé cela normal alors que cela a été le fait d'une analyse de risque d'un spécialiste et d'une vraie réflexion. Peut être devons arrêter d'être meilleur après, anticipons un peu les situations tout en étant factuel. Proposons des réflexions aux propriétaires d'anciens bâtiments sur la valeur du patrimoine.
Responsable Prévention AXA Maroc
5 ansL'étude des causes des sinistres est également indispensable. Plusieurs phénomènes ont pu être maîtrisés parce que les sinistres qu'ils ont causé ont été étudiés rigoureusement : BLEVE, explosions de poussière... Tant qu'il n'y aura pas d'étude scientifique rigoureuse sur les causes de ce drame, on ne fera que ressasser des généralités.
GTA Yard HSE Supervisor - A l'écoute de nouvelles opportunités
5 ansJ'aimerai aussi qu'on insiste sur les considérations religieuses pour les bâtiments à caractères religieux. On entend souvent dire: ''Rien ne peut nous arriver car c'est la maison de Dieu protégée par les anges. '' Tout est volonté de Dieu''.; ''Ça ne sert pas de penser aspect sécurité....''. Tout ERP sans distinction aucune devrait respecter les règles applicables suivi de contrôle dans la phase de construction. L'analyse faite ici est pour le future. Qu'est ce qui est prévu pour les vieux bâtiments qui existent encore et qui n'ont pas tous ces dispositifs de prévention et de protection(active ou passive??
Bonjour, J'ai lu avec intérêt votre article sur la prévention du risque incendie et apprécié les conclusions. Au plaisir de partager !