INFORMATION DES RISQUES ET APPRECIATION DE LA PERTE DE CHANCES
Conseil d’Etat, 11 mai 2022 (n°439623)
Un patient souffrant de douleurs lombaires, a été opéré le 27 août 2012 d'un rétrécissement du canal rachidien au centre hospitalier de Briançon. Au cours de l'opération, une brèche de la dure-mère et un saignement épidural ont conduit le chirurgien à interrompre le geste opératoire, et à renoncer ainsi à obtenir une libération canalaire totale. A la suite de cette opération, le patient a souffert, malgré plusieurs interventions chirurgicales ultérieures ayant tenté d'y porter remède, d'un déficit sensitif et moteur des membres inférieurs caractérisé par des douleurs et des limitations fonctionnelles importantes.
L’intéressé invoquait à l’appui de son pourvoi en cassation contre l’arrêt de la CAA de Marseille du 3 octobre 2019 réduisant ses droits à indemnisation par rapport aux sommes allouées en première instance par le TA de Marseille, le défaut d‘information par le chirurgien du risque de survenance du syndrome dont il souffrait (I).
Il contestait par ailleurs le pourcentage de perte de chances d’éviter ce dommage retenu par la CAA de Marseille à hauteur de 20% (II).
I – Sur le défaut d’information du patient
Pour juger que l'absence d'information préalable du patient sur la possible survenance du syndrome dont il souffrait n'avait pas méconnu l'obligation d'information qui résulte des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique , la cour administrative d’appel de Marseille s'était fondée sur la circonstance que ce risque ne s'était, en l'espèce, réalisé que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales.
Le Conseil d’Etat censure une telle analyse car il appartenait à la cour de rechercher si le risque en question ne pouvait advenir, en toutes circonstances, que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales.
En clair le déficit sensitif et moteur dont souffrait le patient pourrait le cas échéant survenir lors d’une telle opération même en l’absence de faute chirurgicale, ce qui imposerait en toute hypothèse une obligation d’information de la part du chirurgien.
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Il sera à cet égard souligné qu’il était pour le moins singulier d’exonérer le chirurgien de son obligation d’information d’un risque d’une intervention motif pris de que ce risque ne s’est réalisé qu’à raison de son erreur chirurgicale !
II – Sur l’appréciation du pourcentage de perte de chances
Pour juger que la faute ayant consisté à interrompre prématurément l'intervention du 27 août 2012 était seulement à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage, évaluée à 20 %, la cour administrative d'appel de Marseille s'était fondée sur un rapport d'expertise dont il résultait que, dans les opérations du type de celle en litige et en cas de brèche de la dure-mère, le fait de ne pas mener à son terme la décompression canalaire entraînait, pour le patient, une moindre chance de rétablissement fonctionnel, donc de guérison par rapport à son état de santé avant l'opération, que l'expert estimait à 20 %.
Là encore, le Conseil d’Etat n’a pas retenu cette analyse en faisant référence au non-respect en l’espèce des règles de l’art chirurgical, critère on le sait de l’erreur chirurgicale fautive.
Selon le Conseil d’Etat il appartenait à la Cour, en prenant en considération le dommage effectivement subi par le patient, de rechercher si, après la survenue de l'incident opératoire de brèche de la dure-mère, la poursuite jusqu'à son terme et dans les règles de l'art de l'opération de libération canalaire aurait été de nature à éviter ce dommage, ou seulement susceptible de limiter la probabilité qu'il survienne et, dans cette dernière hypothèse, d'apprécier les chances qu'un tel dommage survienne malgré la poursuite de l'opération jusqu'à son terme et dans les règles de l'art.
Le Conseil d’Etat ne se contente donc pas de la conclusion de l’expert selon laquelle le fait de ne pas mener à son terme une décompression canalaire entraînait pour le patient une perte de chances de 20% mais entend que soit appréciée l’hypothèse d’une éventuelle perte de chances dans le cas inverse de poursuite de l’intervention selon les règles de l’art puisqu’il se peut que le dommage aurait pu être évité en pareille circonstance, auquel cas la perte de chances serait de 100% et non de 20%.
L’affaire a été renvoyée à la CAA de Marseille.
A suivre….