Institutions financières : comment passer du marron au vert?
Le mois dernier, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) du Canada a lancé une consultation sur la meilleure façon de préparer les banques à faire face au risque climatique. Dans l’excellent document de travail qui l’accompagne, il indique qu’il pourrait prendre des mesures dans les trois domaines qui correspondent aux piliers de « Bâle 3 » : les exigences de fonds propres, la surveillance prudentielle et la discipline de marché. Concrètement il s’agirait, soit de moduler le capital règlementaire sur chaque catégorie d’actifs selon qu’il est ou non sensible au risque climatique, soit d’intégrer ledit risque dans le processus global d’évaluation de l’adéquation du capital de chaque institution, soit de renforcer la transparence sur la sensibilité des actifs des institutions financières, pour réduire les lacunes d'information qui empêchent une tarification précise des risques climatiques par les marchés.
La dernière piste, celle de la discipline de marché, semble être la plus simple. Pourtant, il est à craindre qu’une trop forte mise en évidence des actifs « bruns » dans les bilans des acteurs financiers ne provoque un « moment Minsky », une panique boursière et bancaire. En octobre 2020, le réseau américain à but non lucratif CERES[1] a en effet mis en évidence que les actifs « sensibles au risque climatique » représentaient entre 50 et 75% des portefeuilles de prêts commerciaux et industriels des banques américaines et qu’en cas de « choc de transition » les pertes directes sur ces prêts pourraient représenter jusqu'à 18%. De son côté, le Comité européen du risque systémique (ESRB) estime que les expositions sur les seuls cinq secteurs à forte émission carbone (énergies fossiles, acier et ciment, logement, transport, production électrique) représentent un tiers ou plus des portefeuilles de financements des grandes banques européennes. En conséquence, les tests de résistance climatiques, tels qu’ils sont actuellement imaginés par les régulateurs, ont plus vocation à sensibiliser les acteurs financiers au risque climatique, qu'à influer sur leurs fonds propres, et leurs politiques de crédit.
La piste de la surveillance prudentielle est plus discrète, dans la mesure où elle se matérialise par une négociation privée avec chaque institution utilisant un modèle interne de calcul de ses exigences en capital. On notera toutefois, qu’il est de notoriété publique que les coefficients de pondération des risques dans l'approche du modèle interne peuvent être « surutilisés », sans que l’on puisse pour autant parler de « toilettage » ou de « manipulation ». Cela a amené le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (BCBS) à introduire un plafond d'effet de levier, limitant le montant total des actifs qu'une banque peut détenir en fonction de ses fonds propres. De la même façon, le BSIF pourrait explorer la piste d’un plancher d’actifs « verts », pour augmenter les fondations des institutions financières.
Pour inciter ces dernières à se tourner vers les activités durables, il reste la première piste, celle de la pondération du risque spécifique de chaque classe d’actifs, proposée dès 2016 par la Fédération bancaire française. Elle fait intrinsèquement partie de la culture desdites institutions, et comme l’a très justement noté en septembre 2020 Anna Sweeney, directrice exécutive de la division de surveillance des assurances de la Prudential Regulation Authority (PRA), « il est plus que probable que les incitations à faire face aux risques liés au changement climatique tant pour les entreprises que pour les autorités de contrôle seraient être renforcées si elles étaient intégrées explicitement dans les exigences en capital ». Ainsi, depuis 1988, les prêts immobiliers sont soumis à des ratios de fonds propres moins élevées d’une part parce que le logement est un besoin fondamental, ce qui réduit la probabilité de défaut, d’autre part parce qu’ils sont basés sur les revenus de l'emprunteur, ce qui diminue l'exposition en cas de défaut, et aussi parce que la garantie hypothécaire constitue une seconde source de remboursement, ce qui réduit la perte en cas de défaut. Cela ne signifie pas que les crédits immobiliers sont insensibles au risque de crédit (la crise de 2008 avec son lot de prêts à des particuliers sans emplois, sans revenus et sans patrimoine l’a amplement prouvé), mais qu’ils constituent une classe d’actifs de qualité supérieure. Il en est de même pour les actifs « verts » : comme ils sont de plus en plus rentables, leur valeur augmente, et avec elle, la volonté de rembourser de leurs propriétaires. A contrario, une étude KPMG[2] montrait, dès 2012, que les externalités environnementales des grands secteurs industriels représentaient 41% de leur résultat net avant impôt, … sans pour autant apparaître dans les états financiers.
Cette qualité intrinsèque des actifs « verts » commence à être reconnue par les régulateurs, même si leurs modèles, qui fonctionnent sur des données historiques, sont pour l’instant muets. Le gouverneur de la Banque de France a ainsi récemment déclaré que cette dernière allait prochainement « verdir » ses conditions d’accès à la liquidité, en intégrant les risques climatiques dans l'évaluation de la valeur financière des collatéraux demandés aux banques commerciales. De la même façon, certaines banques européennes, qui estiment que les entreprises durables ont un risque de crédit à long terme plus faible, ont d’ores et déjà introduit soit un mécanisme de réduction analytique des actifs pondérés des risques pour les actifs « verts », soit un mécanisme améliorant les conditions internes de refinancement des prêts aux activités durables, afin d’augmenter leur exposition aux secteurs à faible émission de carbone. Enfin, on rappellera que, dans la mesure où les marges sont liées au risque, la plupart des institutions financières proposent aujourd’hui des crédits où le taux d’intérêt varie en fonction de critères environnementaux ou sociaux.
Tout le monde s’accorde ainsi sur le fait qu’il vaut mieux canaliser les crédits vers les activités « vertes », que les détourner des activités « brunes », qui sont par définition « en transition ». Comme le dit Machiavel, « si l'on veut que la crainte des châtiments puisse effrayer les criminels, il faut, en retour, que les services rendus à l'État ne manquent jamais de récompense » (Discours sur la première décade de Tite-Live).
Jérôme COURCIER
Membre du comité scientifique et d’expertise de l’Observatoire de la Finance Durable de la place de Paris
[1] Coalition for Environmentally Responsible Economies
[2] Expect the Unexpected: Building Business Value in a Changing World
La moyenne de 41% est énorme! le secteur Alimentation qui atteint le sommet avec 224% suivi par la production dénergie éctrique avec 81%. KPMG prend ses chiffres de Trucost. Sais-tu s'ils ont refait une analyse plus récente. J'ai vu qu'il ont travaillé sur le rapport ESG 2019 de GPFIF.