Intelligence artificielle et retail, la ruée vers l’or ?
En dehors de la logistique où on imagine bien l’apport de l’intelligence artificielle (automatisation, inventaires, stocks…), celle-ci commence à s’immiscer dans les magasins grâce aux interfaces personnalisées, de la tarification dynamique (étiquettes électro… ) ou de la prévision des ventes ou de trafic (voir de la prédiction)… Mais quid de l’intuition légendaire du vendeur ou de ses capacités à séduire (ou convaincre) …
L’intelligence artificielle est-il le puissant levier de réduction des coûts et de génération de nouveaux revenus espéré par les retailers ? Sans doute. En tout cas, comme le constate Pauline Gouache, Consultante Senior au sein de l’équipe Stratégie du bureau de Paris d’Equancy, dans cette tribune pour LSA, les applications concrètes se multiplient : recommandation personnalisée, digitalisation des taches, tarification dynamique voire individualisée, prévision des ventes…, les perspectives sont très prometteuses.
Le nombre de startups travaillant sur les sujets d’intelligence artificielle (IA) dans le monde a doublé en un an, passant de 950 à plus de 1 850 ! Ces jeunes pousses suscitent énormément de convoitises : elles ont généré 17,5 milliards de dollars d’investissement.
Tous les secteurs s’interrogent sur le potentiel de l’intelligence artificielle pour leur activité, et notamment les acteurs du retail. En effet, le volume colossal de données clients et de références produits, les enjeux forts liés à la logistique et à la gestion des stocks, l’existence d’un concurrent géant, Amazon, rompu depuis des années aux algorithmes intelligents sont autant de raisons qui conduisent les retailers à envisager l’intelligence artificielle comme un puissant levier business, tant en termes de réduction des coûts que de génération de nouveaux revenus.
Ainsi, l’intelligence artificielle investit peu à peu l’ensemble de la chaîne de valeur – des entrepôts aux magasins – grâce au développement de ses capacités de prédiction et de reconnaissance d’images. Cette dernière facette de l’IA est née du deep learning et des investissements massifs de Google depuis environ 5 ans.
Alors, à date, quels sont les cas d’usage concrets de l’intelligence artificielle dans le retail ? Trois catégories se distinguent : ceux qui sont d’ores et déjà incontournables, ceux qui émergent, et ceux qui posent encore question.
Les cas d’applications incontournables
La recommandation personnalisée de produits compte parmi les cas d’usage les plus répandus et les plus matures. Fonctionnalité déjà incontournable des plateformes e-commerce, elle fait peu à peu irruption dans les magasins via les interfaces vendeurs. Par ailleurs, la recommandation personnalisée n’est plus cantonnée aux interfaces digitales : des catalogues papier personnalisés comme le « smartalog », proposé par Nuukik et adopté par Cyrillus, voient le jour. D’autres avancées résident dans l’intégration de nouvelles sources de données externes ou de contexte pour une recommandation plus pertinente. De nouvelles solutions, pensées pour l’ère du commerce conversationnel et basées sur la reconnaissance d’images, intègrent à présent la recommandation dans une conversation entre le consommateur et la marque. C’est le cas de Mode.ai, bot permettant une recommandation visuelle de produits sur la base d’une photo fournie par l’utilisateur.
L’automatisation et la digitalisation des tâches liées à la logistique, aux inventaires et à l’exécution en magasin constituent un autre domaine dans lequel l’intelligence artificielle progresse rapidement, souvent couplée à des robots et dans un objectif de productivité. Premier exemple : le bras robotique « RightPick » de RightHand Robotics entraîné grâce aux machines learning à reconnaitre les produits. Il gère très efficacement les tâches de « pick & place » nécessaires à la préparation des commandes e-commerce. Dans les domaines de l’inventaire et de l’optimisation du merchandising en magasin, citons les robots des américains de Bossa Nova Robotics ou la solution VisionWits de « visual scanning » et « shelf analytics » des français Qopius.
Les cas d’applications qui émergent
Un cas d’application à potentiel concerne la tarification dynamique et la production d’offres en temps réel. Si Amazon ajuste ses prix en temps réel depuis longtemps (1 736 modifications de prix à la minute déjà en 2013, d’après Profitero), la nouveauté réside en l’arrivée de la tarification temps réel en magasin notamment grâce à l’installation d’étiquettes électroniques. Ainsi a-t-on vu SES Imagotag, spécialiste français de l’étiquetage électronique, s’allier à Market Hub, solution de pricing en temps réel en fonction de la demande, pour des tests chez Marks&Spencer. Au-delà de l’adaptation à la demande du marché, les algorithmes autorisent à présent l’adaptation du pricing à l’individu : c’est l’objectif de Point 93, solution qui permet au consommateur en point de vente d’indiquer, via une app, le prix qu’il est prêt à payer pour le produit. Leur algorithme valide ou non le prix proposé, en propose éventuellement un autre, permettant à la marque de ne pas rater la vente.
La prévision des tendances, des ventes et du trafic en magasin constitue un autre volet à potentiel. La startup Heuritech, récemment récompensée par le LVMH Innovation Award, utilise le deep learning et la reconnaissance d’images pour détecter les nouvelles tendances mode et luxe à partir des réseaux sociaux, notamment Instagram. Otto, e-retailer d’envergure internationale, utilise de son côté un algorithme initialement développé par le CERN à Genève pour prédire ses ventes. Cette IA, qui prédit les ventes à 30 jours avec une précision de 90%, est à présent autorisée à acheter automatiquement, et sans intervention humaine, près de 200 000 articles par mois.
Ces exemples illustrent que, peu à peu, l’intelligence artificielle ne se limite plus à des tâches d’analyse et d’adaptation en temps réel, mais développe des capacités de prédiction avec des impacts très forts sur la productivité et la supply chain.
Les cas d’applications qui posent question
Une dimension du retail reste cependant peu investie par l’IA ou de manière assez peu convaincante : la relation client et la vente. Des robots se sont positionnés récemment dans les allées des magasins, à l’instar de Pepper – qu’on ne présente plus et dont le rôle principal est de renseigner les clients – ou encore de Duer, développé par Baidu et utilisé par KFC pour la prise de commandes. Si ces robots parviennent parfois à créer une forme d’interactivité avec les clients en points de vente, ils sont encore souvent spécialisés sur une tâche et peu à même de répondre de manière totalement pertinente et personnalisée aux clients. Malgré les progrès de l’IA, certaines qualités restent donc encore l’apanage de l’intelligence humaine : l’empathie, la créativité, la capacité de réaction à une situation inconnue ou encore la capacité à créer le lien de confiance inhérent au commerce. Mais pour combien de temps ?
S’ils doivent tester rapidement les cas d’usages de l’IA liés à la supply chain et au forecasting les acteurs du retail ne doivent néanmoins pas perdre de vue l’humain dans les magasins. D’autant que la dimension sociale et expérientielle du point de vente constitue peut-être leur principal avantage concurrentiel pour contrer les géants du digital. Ainsi, les enjeux relatifs à la force de vente et aux talents en général doivent rester au cœur des préoccupations des professionnels du secteur.
LSA – Pauline GOUACHE (Equancy)