InterEos : Révélation [E07]

InterEos : Révélation [E07]

Révélation - épisode 7

Tout-à-coup, un grondement sourd monte depuis le sol et fait vibrer toute la pièce au point que ma vision se trouble. La lumière vire à l’indigo et je vois le visage de Rafel se décomposer. 

— Qu’est-ce qui se passe ? je fais.

Ma voix résonne étrangement, plus grave, plus étouffée aussi. Instinctivement, je porte la main à ma gorge. Ma peau est glacée. Je regarde ma main, mes doigts semblent perdre en netteté, comme si leurs contours s'effilochent.

— Décohérence ! annonce alors Rafel, comme si j’avais la moindre idée de ce que ça signifiait.

— Et c’est pas bon, c’est ça ?

— Pas vraiment, non. Mais c’est surtout inattendu. Enfin, avec vous, je veux dire.

— Je suppose que je deviens pénible avec mes questions, mais…

— On ne peut pas ajouter ou soustraire un élément du système sans le déséquilibrer, poursuit-il.

Visiblement, il a décidé de devancer mes questions. Plutôt une bonne nouvelle, mais je soupçonne ce soudain accès de transparence d’être davantage dû à l’urgence de la situation et à la crainte réelle qu’elle inspire à mon compagnon, plutôt qu’à la volonté sincère de répondre aux attentes que je n’aurais pas encore exprimées.

— Sauf que vous n’êtes pas un élément du système, continue-t-il. Enfin, si, mais pas dans le sens des relations d’intrications élémentaires que vous avez mises en place au lancement du projet. Votre singularité a été prévue pour vous permettre d’évoluer dans votre environnement comme une pièce rapportée dont la présence, ou même l’absence, n’est censée causer aucune turbulence. C’est comme nos propres interventions, hormis le volume d’air qu’on remplace à notre arrivée, aucun Compagnon ne peut perturber la permanence du continuum. Là, j’ai l’impression que votre extraction provisoire a créé une sorte de vide quantique totalement incompatible avec les principes élémentaires de conservation d’énergie.

Evidemment, je ne comprends rien, une fois de plus. Mais je sens que quelque chose d’anormal est en train d’arriver. Et que Rafel s’en inquiète à un niveau qui finit par m’inquiéter moi aussi.

— Concrètement, c’est quoi le risque ?

— L’effondrement…

Il a dit ça comme s’il venait à peine d’en prendre conscience, l’air un peu hagard de celui qui cherche une solution à un problème auquel il ne s’attendait pas. J’essaie de relativiser.

— Quand vous dites effondrement, c’est à quel niveau ?

— Total. Tout le système. Tout ce que vous avez construit.

— C’est pas un peu exagéré ? Un gars de plus ou de moins sur Terre…

— Dans l’Univers !

— Oui, ben, à plus forte raison. Un gars de plus ou de moins dans tout l’Univers, ça doit pas peser bien lourd. Vous me parleriez des forces phénoménales qui agitent la mécanique cosmique à chaque instant, là oui, ça tremblote quand même un peu plus que soixante-dix kilos de barbaque qui disparaissent soudainement d’un grain de poussière de quelque six mille milliards de gigatonnes planqué dans le coin d’une petite galaxie sans intérêt.

Rafel me jette un regard horrifié. J’ai l’impression d’avoir blasphémé.

— Non mais… vous ne vous rendez pas compte ! Je ne peux pas croire que vous ayez tout oublié à ce point.

— Ben, vous savez, techniquement, quand on a tout oublié, ça veut dire… tout. Y a pas à se poser la question de savoir si c’est “à ce point” ou pas. En attendant, j’ai du mal à croire que le peu de chose que je représente suffit à équilibrer l’Univers tout entier.

— Il n’est pas question de quantité, reprend Rafel d’une voix qu’il s’efforce de rendre plus calme après une seconde d’hésitation où je me suis brièvement demandé s’il n’allait pas m’en coller une d’agacement. On parlerait d’un seul atome que le problème serait exactement le même. 

Je me contente de le regarder en attendant une démonstration un peu plus convaincante.Il enchaîne.

— Imaginez que vous parveniez à faire tenir quatre billes en équilibre au sommet d’une cinquième.

— C’est techniquement impossible.

— D’accord, mais justement, dites-vous que vous avez trouvé le moyen d’y parvenir, par exemple en faisant en sorte que chacune puisse également prendre appui sur celles qui l’entourent. Et pensez maintenant que vous mettez de nouvelles billes en équilibre sur ces quatre billes et ainsi de suite, niveau après niveau. Combien pensez-vous que vous aurez de billes à la dixième couche par exemple ?

— Je ne sais pas… J’ai déjà du mal à comprendre comment la première couche ne se casse pas la figure. Mais bon, je dirais quelques dizaines. Peut-être deux ou trois cents…

— Plus d’un million.

Je reste sans voix, tentant de visualiser dans ma tête une pyramide inversée de billes ou chaque couche contiendrait quatre fois plus d’objets que la précédente. Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’on arrive si vite à un million. Rafel continue.

— Si on continuait à ajouter des billes jusqu’à obtenir 137 couches, je suppose que vous comprenez qu’on atteindrait alors une quantité de billes qu’il est difficile de concevoir.

J’avoue que mon cerveau est en pleine surchauffe en essayant de calculer le nombre réellement astronomique auquel il se trouve alors confronté.

— Pensez-vous, insiste Rafel, qu’une telle configuration de 137 couches soit plus stable qu’avec 10 couches ? Ou même qu’une seule ?

— Non, bien évidemment. Ce serait même l’inverse.

— Bien. Maintenant, que représente une bille parmi les quintilliards de quintilliards de billes de votre tas ?

— Ben… rien. C’est insignifiant.

— En effet. Rien du tout. Une sur une infinité. Parfaitement négligeable, pratiquement inexistante. Il se tait un instant, comme pour ménager son effet.

— Sauf si vous décidez d’enlever cette bille de votre jeu, termine-t-il alors. N’importe laquelle, à n’importe quel endroit, n’importe quel niveau. Que pensez-vous qu’il va se passer ?

— Je suppose que les billes qui reposaient ou qui s’appuyaient sur celle qu’on a enlevée vont être déséquilibrées, déséquilibrant à leur tour celles qu’elles soutenaient, affectant à la fois tout ce qui se trouve au-dessus d’elles mais aussi en-dessous à cause de la chute des billes situées plus haut. Et finalement, tout va s’effondrer.

— Voilà. Vous avez compris. Le tas de 137 couches de billes supportant chacune quatre autres billes, cela correspondrait plus ou moins au nombre d’éléments constitutifs de votre projet dans sa forme actuelle. Votre univers si vous préférez. Vos spécimens, qui ont percé très tôt la nature de leur environnement – à votre grand étonnement, mais aussi votre intense satisfaction – ont fini par leur trouver un nom que vous avez d’ailleurs adopté. Ils ont appelé celà des atomes. 

Je commence à comprendre là où il veut en venir et je formule à voix haute l’évidence qui m’apparaît alors.

— Et il suffirait donc qu’un seul de ces atomes disparaisse pour que tout l’Univers soit déséquilibré. 

Rafel acquiesce en silence. Après un petit moment, il poursuit.

— Un individu moyen de l’espèce dominante que vous avez souhaité doter du plus haut degré d’intelligence dans votre modèle est constitué de sept milliards de milliards de milliards d’atomes. Donc autant de billes que vous enlevez du tas instable que constitue votre univers…

La démonstration est imparable.

Mais ça ne résout pas pour autant notre problème de décohérence, lequel semble prendre de l’ampleur à mesure que la luminosité indigo se renforce et que le grondement s’intensifie jusqu’à résonner dans mes os.

— Bon, on fait quoi alors ?

— Vous devez retourner dans le dispositif, en espérant que cela suffira à interrompre le processus de décohérence.

— Et si ça ne marche pas.

Rafel ne répond pas mais je vois dans son regard un mélange d’impuissance et d’inquiétude.

— Dans le meilleur des cas, votre univers s’effondrera sur lui-même.

— Le meilleur des cas ?! C’est une plaisanterie ? Qu’est-ce qu’il peut y avoir de pire ?

— Votre exclusion. Et la dissolution de la Compagnie par la même occasion.

Sa voix tremble un peu et j’ai la nette impression que ce n’est pas dû à la vibration de l’alerte qui emplit désormais mon crâne. 

Je m’apprête à ajouter quelque chose quand, brusquement, le bruit s’arrête, une lumière chaude m’enveloppe comme un plaid confortable et ma vision redevient parfaitement normale.


Je ne suis plus dans l’étrange salle de l’Oeil, mais bel et bien de retour dans mon salon.

Dimanche soir. Canapé et regard dans le vide. J’ai l’étrange sentiment d’avoir déjà vécu cette scène.

— Tu vas bien ? Tu es tout pâle.

Ma femme qui passait dans le couloir vient de s’arrêter en m’apercevant sur le canapé. Je mets une seconde de trop à répondre et elle enchaîne.

— Tu te surmènes, en ce moment. Tu sais que ce n’est pas comme ça que les choses iront plus vite, n’est-ce pas ?

Je me force à sourire pour donner le change.

— Et un petit tour sur la terrasse, ça ne te ferait pas du bien ? continue-t-elle.

— Non, c’est bon, j’en viens justement.

Elle fronce les sourcils d’un air préoccupé.

— Qu’est-ce que tu racontes ? On sort à peine de table. Et d’ailleurs, à ce propos, un petit café ?

Elle a penché la tête et arboré un sourire qui tranche bizarrement avec l’inquiétude qu’elle semblait manifester une seconde avant.

— Mais… je ne bois pas de café. Qu’est-ce que…

— Rhooo, mais qu’il est bête. Ce n’est pas à toi que je parle. Je demande ça à Julien.

Je me retourne brusquement et je constate effectivement que je ne suis pas seul dans le salon. L’air visiblement embarrassé et tentant d’accrocher un sourire pas du tout convaincant sur son visage lunaire, mon invité esquisse un petit signe de la main pour refuser poliment la proposition de mon épouse. Assis sur un fauteuil près de la fenêtre, il semble aussi surpris que moi d’être là.

— Bien, dit-elle, comme tu voudras. Je monte lire un peu à l’étage pendant que vous finissez de discuter. Mais n’y passez pas non plus toute la nuit, hein, mon chéri. Je te connais, tu parles, tu parles, tu parles, on ne peut plus t’arrêter. Rappelle-toi que Julien a encore de la route à faire et Geneviève n’aime pas qu’il rentre trop tard.

Tandis qu’elle repart sur un gracieux au-revoir de la main à l’attention de notre convive, je me rapproche de lui en changeant de place sur le canapé.

— Qu’est-ce que vous fichez là ? je souffle à voix basse.

— J’en sais rien, me répond Azafel. En fait, j’attendais ma sanction pour vous avoir laissé tomber la dernière fois, quand tout-à-coup, une alarme s’est déclenchée, j’ai rejoint les autres Compagnons dans l’Echystère et Rafel s’est dirigé vers moi sans hésiter avant de mettre sa main sur mon épaule. Et je me suis retrouvé là, en même temps que vous.

Je le dévisage un instant, essayant moi aussi de mettre un peu d’ordre dans mes idées, mais force m’est de constater que je n’ai aucun souvenir de la manière dont je suis revenu chez moi. Un détail m'interpelle alors.

— Votre tenue… enfin, votre livrée. Elle est devenue verte.

Il baisse les yeux et caresse l’étoffe de son costume qui, en plus d’avoir changé de couleur, semble être également devenue plus soyeuse.

— Oh non… grimace-t-il. On dirait que j’ai reçu une promotion.

— Ca n’a pas l’air de vous faire plaisir.

— Ben, je suis devenu Gardien, votre protecteur si vous préférez.

— Et ça vous embête ?

— C’est pas ça, mais… comment est-ce que je peux protéger l’Ingénieur, moi ? Et contre quoi ?

— Alors ça, ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Ce que je sais, en revanche, c’est que votre copain Rafel avait l’air au moins aussi inquiet que vous. Et au moins aussi perdu que moi. Ce qui, franchement, ne m’incite pas vraiment à l’optimisme face aux perspectives qu’il envisage à court terme.

— De toute façon, Rafel est toujours inquiet. Pour lui, c’est toujours la veille de la fin du monde.

Je plante mes yeux dans les siens sans rien dire. Il met deux ou trois secondes à percuter.

— Oh… C’est la veille de la fin du monde ?

— La veille, j’en sais rien, mais j’ai la nette impression que les prévisions météo pour la semaine prochaine vont très vite devenir superflues si on ne trouve pas une solution rapidement.

— On ?

— Bah oui, je suppose que vous n’êtes pas là par hasard. Si Rafel vous a renvoyé ici avec moi, c’est pour m’aider d’une manière ou d’une autre.

— Moi ? Mais c’est à peine si je sais allumer une étoile !

Je laisse passer un instant, le temps d’assimiler ce qu’il vient de me dire.

— Ben… on fera avec. Même si, pour l’instant, je ne vois pas trop à quoi ça pourra nous servir. 

(à suivre...)

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Maéva PIERRON

Dirigeant.e de TPE/PME, pérennise sereinement ton activité grâce à l’optimisation de tes process RH I Fondatrice AM’RH Conseils & Développement I 10 ans d’expertise I Optimisation, stratégie & développement RH

2 ans

A quand la suite ? 🙄🙏

☕ Mikaël MORIN 💻 ♟ 🎮

🚀 Poète, auteur et rédacteur ! Ma plume à votre service !

2 ans

De plus en plus attrayant. 🤨

Tom Frankson 🤘

Marre de communiquer sans être remarqué ? Je vous aide à créer du contenu inoubliable sur vos réseaux sociaux et à attirer des clients-fans ! - Supreme leader de The Fun

2 ans

Rooolala !!!! Ça devient de plus en plus passionnant !!!! 😀

Hooked, facinated, hung to yourwords

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