Intervention lors de la soirée du Réseau Entreprendre Paris

Intervention lors de la soirée du Réseau Entreprendre Paris

Je suis votre pire cauchemar. 

Je suis celui que vous n'avez pas envie de voir je suis celui que vous n'avez pas envie d'entendre parce que je représente ce qu'un entrepreneur craint le plus.


Bonsoir, je m'appelle Florent Guignard j'ai monté une entreprise qui a été lauréate du Réseau Entreprendre. Après 7 ans, cette entreprise a été placée en liquidation judiciaire.


Au cours de ces 7 ans d'entrepreneuriat, j'ai entendu énormément d'interventions, énormément de pitchs, énormément d'entrepreneurs qui racontaient des success stories des entrepreneurs qui avaient certes traversé des difficultés, mais qui, en fin de compte s'en étaient toujours sortis.

Mais dans le même temps, en 7 ans, savez-vous combien d'entrepreneurs j'ai entendu raconter un échec ? Un seul.

Et finalement, vu notre histoire, c'est peut-être cet entrepreneur (Jérémy, si tu nous regardes) qui m'a le plus aidé. Cette histoire, mon histoire, c'est celle que je vais vous raconter ce soir. 

 

Il y a 7 ans avec Antoine, nous nous sommes dits : eh mais si on faisait un journal qui présenterait le pour et contre de chaque sujet d'actualité. Comme ça les lecteurs pourraient se faire leur propre opinion. Ça existe pas non ? Ça n'existait pas en effet, alors on a créé notre boîte.

Après un an de préparation, Le Drenche était né. C'était un journal papier tiré tous les mois à 140 000 exemplaires, gratuits pour les étudiants, sur abonnement pour les autres et qui traitait le pour et le contre de chaque sujet d'actualité. À l'époque -on était en 2016- on nous a dit :  un journal papier ? mais vous êtes complètement cons ça marchera jamais ! 


Et dans un premier temps, nous avons donné tort à tous ceux qui nous disaient que ça ne marcherait pas. Le Drenche né, il a grandi, nous avons eu jusqu'à 6 salariés, réalisé deux levées de fonds pour environ 500 000€, accueilli jusqu'à 400 actionnaires de tous horizons... On cumulait les réussites, les millions de pages vues, les prix en tous genres, les passages médias ; vous savez ? ce genre de petits moments qui flattent l’égo, mais pas tant le business plan. 

Et puis dans un second temps, bien aidé par le covid, les confinements, l'absence d'aide de l'État, l'inflation, le prix du papier qui fait x 3, les PGE à rembourser pour 150 000€, nous avons fini par donner raison à tous ceux qui nous disaient que ça ne marcherait pas.


Soyons honnête : il y a un petit tabou au sein des entrepreneurs sur le dépôt de bilan. 

On n’a pas vraiment envie d’aborder le sujet avant parce que ça nous angoisse (après non plus, hein, sauf si depuis on recréé deux autres boites), et pourtant, c’est quand même bien utile d’avoir un ou deux trucs en tête.  


Pour nous, pour Le Drenche, après avoir fait le tour des potentiels repreneurs qui se sont dégonflés, après avoir demandé aux banques qui nous ont gentiment expliqué que “non on n'était pas assez riche pour qu'elles nous prêtent de l'argent” et après avoir tenté une fois de plus de faire un appel à la générosité nos lecteurs, on s'est résolus à faire une demande de redressement ou de liquidation judiciaire.

 

Alors imaginez-vous : vous vous levez le matin, pour aller au bureau, et vous trouvez dans votre boîte aux lettres une lettre du tribunal de commerce, qui vous convoque à une audience. Et là, ce qui se passe peut-être assez violent : après une audience qui doit durer 20 minutes à tout casser, le juge qui étudie votre dossier constate que vous êtes dans le rouge (bon, ça vous le savez déjà) et vous annonce que votre boîte n'existe plus. … . Là, tout de suite. Il vous annonce que vous devez cesser toutes vos activités, arrêter de répondre au téléphone, arrêter d'envoyer des mails, arrêter de répondre aux mails, arrêter de payer vos factures, bref arrêtez tout ce que vous faites. 

  • Le numéro du journal en cours que vous êtes en train de boucler ? Vous l’arrêtez. 
  • Le RDV commercial de demain que vous attendiez depuis des mois ? Vous l’annulez. 
  • La commande que vous avez passée pour un nouvelle identité graphique ? Pareil
  • Le passage média de la semaine prochaine ? Bon, je crois que vous avez compris l’idée. 


D’un coup, le taux de croissance des abonnés, la marge brute, le churn, les plan de trésorerie, le solde de votre compte en banque, tous ces KPI’s que vous calculiez et scrutiez avec attention tous les jours n’ont plus de sens.  

Et quand vous commencez à vraiment réaliser les implications pour vous, le juge vous explique que vous allez devoir rentrer dans votre entreprise et dire la même chose à vos salariés qui attendent anxieux votre retour du tribunal, et qui eux aussi mettront du temps à comprendre que, non, il ne termineront pas le numéro du journal, la newsletter de demain, le post instagram de l’aprèm, le recrutement de stagiaire en cours… leur expliquer qu’ils ne le feront pas, qu’ils n’en ont pas le droit. Qu’ils peuvent rentrer chez eux. Et ne pas revenir le lendemain, ni les jours d’après. L’entreprise n’existe plus. 


Il vous explique aussi que vous êtes le 15 du mois, mais ne toucherez pas votre salaire de ce mois-ci, qu'en tant que créateur d'entreprise, vous n'aurez pas le droit au chômage, ni au RSA, ni à aucune autre source de revenus d'ailleurs et donc que, bein, il espère que vous avez une femme qui gagne bien sa vie ou que vous vous entendez bien avec vos parents. Sur ce, allez, “une bonne journée et dossier suivant”


Et là il se passe quelque chose d'assez étrange tout à coup ; l'entreprise qui régissait vos relations sociales n'existe plus et tout le monde change de statut. Vous n'avez plus des salariés, vous avez en face de vous Marcelo, Félicie et Camille, qui se demandent ce qu’ils vont pouvoir faire de leurs journées. Vous n'avez plus de clients, vous avez Solène et Thierry qui se demandent comment ils vont faire ce pourquoi ils vous avaient recruté. Vous n'avez plus d'actionnaires, vous avez Maxime et Déborah et beaucoup d'autres, qui vous demandent comment vous allez. Vous n'avez plus d'abonnés, vous avez Josiane du CDI qui se demande ce qu'elle va pouvoir faire lire à ses élèves. Vous n’avez plus de fournisseurs, vous avez Thierry, qui se demande qui va lui payer sa facture et comment il va boucler sa tréso ce mois-ci. Vous n’avez plus de lecteurs, vous avez Suzy, que vous aviez réconciliée avec l’actualité, et qui constate avec dépit tout ce que ce journal lui apportait au quotidien et dont elle va devoir se passer. 

D'ailleurs, vous n'êtes plus cofondateur du journal Le Drenche. Vous êtes redevenus Antoine et Florent qui ont juste un peu de mal à réaliser ce qui se passe, et qui vont galérer à répondre à la question “alors, tu fais quoi dans la vie ?”.


Et c'est peut-être le plus important dans toute cette histoire. C'est que quand vous n'avez plus ces structures qui codifient toute notre existence quotidienne, il ne vous reste plus que des humains. Des êtres humains tout ce qu’il y a de plus bête, qui veulent juste vivre, être heureux, profiter de la vie, trouver du sens à ce qu’ils font, être considérés, aimés et valorisés. 


Et c'est à ce moment qu'il s'est passé la chose la plus extraordinaire. Nous avions lancé Le Drenche non pas pour devenir riche (même si bon, ça ne nous aurait pas déplu), mais pour essayer de créer une société meilleure ou chacun pourrait se forger sa propre opinion, s'engager en accord avec ses convictions. 

Et tout au long de notre aventure avec nos clients, nos lecteurs, nos salariés, aux actionnaires nous avons essayé de porter ses valeurs d'engagement, et de leur communiquer notre envie de changer le monde. 

Alors quand nous avons annoncé que Le Drenche s'arrêtait, on était un peu anxieux de la réaction de tous ces gens. On s’attendait à des actionnaires en colère, des salariés mécontents de notre gestion, des clients dépités… 

Au lieu de ça, tous ces gens nous ont envoyé énormément de soutien, d'affection. En quelques jours, nous avons été noyés sous les mails de soutien, sous les messages amicaux sur les réseaux sociaux et sous les coups de fil des personnes qui voulaient prendre de nos nouvelles. On a lu Maxime et Déborah nous dire que si c’était à refaire, ils mettraient encore plus d’argent, quitte à le perdre à nouveau. On a vu Marcelo, Félicie et Camille revenir au bureau, nous aider à ranger, à trier, et mettre les choses en ordre. On a vu Josiane, nous dire que si l’État n’était pas capable de nous aider à survivre, elle était prête à faire la Révolution avec ses collègues… et avec ses élèves !


C'est alors que nous avons réalisé que Le Drenche n'existait plus, mais que tous ces liens que nous avions créés avec ces personnes subsistaient.


Et c'est peut-être le seul message que j'aimerais vous faire passer ce soir n'oubliez jamais l'aspect humain dans vos entreprises : les tête-à-tête avec un salarié quand vous voyez qu’il n’est pas dans son assiette, les repas d’équipe à refaire le monde ensemble, les bières avec les actionnaires (et avec modération, bien entendu)  que ce soit avec vos salariés, vos actionnaires, vos clients, vos contacts, mais aussi avec vos amis à ne pas délaisser, vos familles et vos enfants à ne pas sacrifier. 


Car créer une entreprise peut être une aventure exceptionnellement enrichissante ; mais ce n’est pas une entreprise qui vous appellera pour prendre de vos nouvelles, qui écoutera vos états d’âme ou vous prendra dans ses bras quand vous en aurez besoin. 


À la fin de l’entreprise, mais également à la fin de chaque journée, c'est non seulement tout ce qui reste, mais c’est surtout tout ce que nous sommes : des humains. 

Robin LIETAR

Senior Software Engineer & Data Scientist @Wagetap

1 ans

Hyper touchant et vrai !! Il faut que tu ailles répandre cette parole auprès de tous les entrepreneurs …

Virgile Deville

Entrepreneur | Coach produit communs numériques

1 ans

Bravo d’avoir le courage de raconter ça 👏

Andrea Habre

Cofounder @POP Maté ⚡

1 ans

Merci et bravo pour ce moment Florent Guignard, c’etait drôle, courageux, touchant, inspirant ✨

Marlene Staiger

Master Blender and Creative director

1 ans

Bravo Florent ! Ton témoignage est important et riche de sens :)

Lucile Grémion

Directrice artistique Image, Achat d'Art & Productrice Image - ex bureau babass

1 ans

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