Interview du docteur Jean-Marc Benaiche, pharmacien, par Vincent Ricouleau
Cher Jean-Marc, nous échangeons beaucoup sur Linkedin sur le monde médical et ses problèmes. Vous êtes pharmacien, d'officine, en province, dans la région Auvergne Rhône Alpes, et vous avez fait une carrière très riche, au contact des patients. Ayant créé le Collectif pour la défense des droits des PADHUE, je vous propose une interview écrite, votre métier de pharmacien, un fantastique métier, si utile, étant paradoxalement à la fois connu et méconnu.
Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?
Je suis de la génération des parents "Tu feras" médecine ou pharmacie ! J'ai donc choisi de faire pharmacie. C'est aussi simple que çà. De Paris V à Paris XI, jusqu'au diplôme, section biologie, puis 6 ans de certificats et de travail, en laboratoire d'analyses. Les normes, toujours de plus en plus exigeantes, m'ont fait prendre le virage vers l'officine et en direction de la province (Auvergne) où j'exerce depuis près de 42 ans.
Qu’est-ce qu’une pharmacie d’officine aujourd’hui ?
Je suis passé de l'ère du papier carbone à l'ère du numérique, ce qui a exigé une faculté d'adaptation constante. La pharmacie d'officine, d'aujourd'hui, ne peut plus se comparer à celle des apothicaires, puis à celle de l'industrialisation du médicament. Nos missions sont multiples. Nos ressources ne sont plus calculées de la même façon.
On peut dire que chaque officine a son identité ?
L'identité de chaque officine est en effet unique et ne peut se comparer au réseau, dans sa globalité. Sur une base commune d'activité, la structure est différente, par son emplacement, sa population, son pharmacien et sa sensibilité, dans sa gestion de développement et son empathie, vis à vis de sa patientèle. Hors les emplacements solitaires, nous sommes tous en concurrence, adhérant à des groupements.
Et par conséquent, les moyens d’exercer ont bien sûr évolué.
La pharmacie se révolutionne au quotidien ! Informatisation, numérisation avec la téléconsultation, les bornes d'information, les robots de distribution… Le pharmacien est non seulement un professionnel de santé, très sollicité dans son quotidien, mais aussi un gestionnaire d'entreprise dont la visibilité n'est jamais acquise ! Car trop dépendante de la politique de l'Etat, en matière de santé.
Concernant la prise en charge du patient, quelles avancées ?
La pharmacie d'officine est entrée définitivement dans la prise en charge pluriprofessionnelle du patient dès 2017, avec la délégation de vaccination. Depuis, de nombreuses missions sont attribuées aux pharmaciens, en matière de dépistage, mais aussi de prescription et de suivi de pathologie. Grand nombre de pharmaciens sont impliqués dans les réponses à apporter à la désertification médicale, en étant moteurs de création de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Mais les pharmaciens peuvent-ils assumer ces missions qui s’amplifient ?
Le réseau s'effrite en rebond, passant sous la barre des 20000 officines et risquant par voie de conséquence, une désertification fatale, par manque de prescripteur. En fait, nous ne pouvons continuellement empiler les missions déjà nombreuses et chronophages. C'est le système, en lui-même, qu'il faut remettre à plat, par la coordination, la prévention, la responsabilité partagée soigné-soignant, le maillage ville-hôpital, la formation et l'éducation.
Recommandé par LinkedIn
Quelles actions conseillez-vous de faire ?
Il faut adopter une vraie politique d’orientation à l'installation des médecins généralistes comme spécialistes, en puisant sur les territoires sur dotés. Une politique d'orientation à l'installation vers les remplaçants à vie, vers les médecins tentés par la fuite à l'étranger, vers la régularisation.
Il faut aussi modifier le cursus universitaire ?
La refonte du cursus universitaire s’impose, en l'adaptant aux autres membres de l'UE. Il ne faut pas de PASS et de LAS, pas de 4ème année d'internat, mais une possibilité d'exercer, dès l'obtention du diplôme de 6ème année et une validation de stages d'un an maximum.
Pensez-vous que la vente en ligne pourrait détruire les officines ?
Si la vente en ligne, un serpent de mer que nos politiques font revivre, à l'approche d'une élection, est validée, ce sera la fin des équilibres des risques en santé, de la qualité de la prise en charge du patient, ainsi que de l'intérêt de la proximité d'un professionnel de santé.
Que diriez-vous à un étudiant qui souhaiterait devenir pharmacien d’officine ?
En l'état de la politique à vue de nos autorités, consistant à l'économie à tout prix, alors que des postes de dépenses demeurent incontrôlés, que les pénuries de personnels, de médicaments, de médecins, s'accumulent, que des pans d'activités, sont orientés vers d'autres réseaux, en dehors de toute logique légale, comme certains produits vers les radiologues, certains produits vétérinaires vers les vétérinaires, il me sera difficile de conseiller à un étudiant de s'installer ! Ceci, découlant d'un grand risque accéléré, de voir le maillage officinal s'effondrer, son investissement lourd, disparaître, et son avenir professionnel s'obscurcir !
Actuellement, quels sont vos objectifs et actions ?
En l'état, je poursuis mon objectif de ne pas laisser la population de mon territoire dans l'abandon. Je développe l'accès aux soins avec la MSP des 3 Vallées. J’appelle aussi à recruter des MG. J’encourage les patients à se former, à s'éduquer, à respecter, à suivre les programmes de prévention et de suivi des soignants. En fait, je fais tout pour changer le paradigme du "tout est dû", par le partage des responsabilités et des choix de chacun. Une fois cette tâche accomplie, je pense que je prendrai une retraite apaisée.
Et si c’était à refaire ?
Si c'était à refaire ? Mes parents du "tu feras" n'étant plus là, je pense que je m'adapterai au temps présent, avec d'autres options professionnelles et sociétales. Toujours est-il que je ne regrette en rien mon parcours, qui est le combat entrepreneurial, syndical, les projections sur l'avenir de la profession et du système de santé, les formations continues, qui m'ont permis une prise en charge, avec toujours plus de qualité en réponse au besoin !
Et pour terminer "I have a dream" ! Celui, qu'enfin, nos autorités soient réellement à notre écoute, nous libèrent de la bureau-technocratie et nous laissent un brin d'initiative, sur nos bassins de vie, que nous connaissons mieux que quiconque et où la population nous fait le plus confiance !
En vous remerciant, Jean-Marc, pour toutes ces idées et réflexions !