J'ai vu Animal, le nouveau film de Cyril Dion
Cyril Dion a une belle gueule. Le teint sombre, la barbe drue, les cheveux en pagaille, et la démarche d’un homme qui semble savoir où il va. A force de faire partie de la jeune génération qui monte, son visage a pris le pli du temps et quelques rides au coin des yeux. Les stigmas de l’expérience.
J’aime bien ce type. Je l’ai toujours suivi de loin. Il a le tweet caustique et de vraies causes à défendre. Avec les années, on commence à mieux connaître le personnage qui vient palabrer sur le plateau de Karim Rissouli les dimanches soirs. Il y fait vibrer cette voix monotone qui dit la maîtrise de son sujet et comme une lassitude devant l’évidence. Un écorché vif qui met des coups de pression au Président de la République au nom du bien commun, c’est presque romantique. Et ça permet à l’Audimat de terminer la semaine sur une note positive en attendant son Deliveroo.
Adoré, honni, il a pris du galon dans les communautés alter avant d’aller fouler les tapis rouges du star système. J'imagine que ce n’est pas facile tous les jours de devenir une icône Pop. On ne change pas le monde sans prendre quelques baffes ni céder à l’envie d’en distribuer. Les médias vous adoubent, la politique vous fait du pied, les fachos de tous bords vous crachent à la gueule et pendant ce temps, l’emballement médiatique fait son oeuvre. Cyril Dion était au bon moment, au bon endroit. On lui doit d’avoir enterré Hulot et Cohn Bendit d’un coup de pelle, et renouvelé à lui tout seul le stock de personnalités médiatiques estampillées à gauche par le PAF. En France désormais, l’écologie et la démocratie participative, c’est lui.
Il y a deux ans, quand j’ai vu passer sa campagne de crowdfunding pour son nouveau film, je ne me suis pas posé de question. Investir vingt euros dans le projet en échange d’une photo au générique était à portée de ma bourse. J’avais aimé Demain, j’étais confiant en sa capacité à transformer l’essai en vulgarisant l’urgence écologique. Et puis avait-on d’autres choix ? Placer tous nos espoirs dans un poète, comédien, devenu réalisateur et activiste, voilà à quoi nous étions réduits pour faire bouger les lignes.
Les activistes sont animés d’une rage dévastatrice qui rend leur indignation contagieuse quand ils la transforment en énergie créative. Pourtant la plupart s'essoufflent avec le temps. Certains se lassent, les autres finissent par se laisser séduire par les maux qu’ils combattent au nom du passage à l’échelle. Mais Cyril Dion est fait d’une autre ébène. Il a ce truc de Kevin Costner dans les Incorruptibles et de Neo dans la Matrice. Une anomalie conçue pour braver le système.
A l’occasion du Congrès Mondial pour la nature qui réunissait à Marseille un patchwork d’initiatives admirables venues verdire le blason des pollueurs du monde entier sur des tartines de développement durable, je me trouvais convié par la MAIF, principal mécène de son dernier projet, à la projection en avant-première du film Animal. Cent-vingt minutes à suivre deux ados de seize ans gonflés d’indignation face au cynisme de notre époque, à l’impotence de nos gouvernants, à l’inefficacité de leurs actions de désobéissance civile, à la toxicité de nos comportements. C’est dur, c’est tendre, et c’est utile. Ca évite surtout le piège du trop-bien-pensant en donnant la parole à des protagonistes empêtrés dans des contradictions sans issue.
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Quand la lumière se rallume, la salle chauffée à bloc est devenue végan, prête à boire les paroles du réalisateur qui a fait le déplacement pour assurer la promo. Tout le monde est encore un peu sous le choc. On a vu des dauphins éventrés, des élevages intensifs de poulets passer au mixeur, des plages couvertes de plastique, et deux enfants grandir en prenant conscience de la complexité d’un monde que nous voudrions sauver en les tenant par la main.
L’été 2021 n’a jamais été si chaud. La soirée caniculaire est tempérée par une clim à bloc réglée à 15°C dont le ronron polaire fait écho aux images délirantes auxquelles nous venons d'assister. Il est vingt-deux heures. Dans sa chemise en jean qu’il porte aussi fidèlement que Christophe Barbier son écharpe rouge, Cyril Dion descend les escaliers et fend le public avec la nonchalance du type qui vient faire le job par conscience professionnelle mais qui ne vendra pas son âme pour ménager la RSE d’un assureur, fut-il militant.
La petite équipe événementielle chargée d’organiser la soirée croyait probablement bien faire. On a toujours fait comme ça, ils ne se sont juste pas posé de question. Cinquante centilitres de dissonance cognitive servis sur un plateau. Alors quand il aperçoit la bouteille d’Evian dressée face au siège qui lui a été réservé, Cyril Dion ne peut s'empêcher de leur tirer son chapeau. D'un coup de verbe assassin, il parachève le propos du soir en sublimant son entrée en scène :
"Merci pour la bouteille ! C’est bien, ça fait plaisir. On voit que vous avez tout compris du film".