JE ME, TU TE, IL SE RELÈVE
Par François Morency, B. Ph., MBA
Mediapart

JE ME, TU TE, IL SE RELÈVE Par François Morency, B. Ph., MBA

L’entrepreneuriat constitue le fondement de notre économie et de sa croissance. Chaque PME constitue l’engagement de son fondateur à contribuer à notre richesse collective. Cette résilience de nos entrepreneurs fait la force de notre Québec. Chacun peine à développer des services et des produits de première ligne pour notre « Made in Québec », notre achat local fiable. La majeure partie de ces productions ne pourraient pas venir de Chine ou du Mexique. Leur qualité intrinsèque les distingue de toutes les autres productions éphémères. Ils devraient être la source de notre fierté et de nos investissements.

Le Québec compte plus de 250 000 petites entreprises comptant moins de 100 employés. Les moyennes entreprises représentent 5 000 employeurs, ayant moins de 500 employés. Cette économie contribue à près de 50 % du produit intérieur brut du Québec. La majorité de ces entreprises n’ont pas établi de plan de relève pour assurer la continuité de leurs opérations en cas de retrait de la majorité de leurs propriétaires. Nous risquons de perdre des dizaines de milliers d’entreprises au cours des prochaines années et plus. Il s’agit d’un enjeu potentiel de plus d’un million d’emplois.

 SCÉNARIOS A, B, C…

Le grand rêve entrepreneurial se réalise lorsque l’un de ses enfants assume la relève du fondateur. Ce n’est pas facile de monter à bord d’un train en marche et d’en assumer le commandement. Cela demande une longue formation qui doit commencer à la base. Un exemple : Une entreprise du domaine forestier a tenté de former un membre de la relève comme mesureur. Le mesureur relève la hauteur des souches afin qu’elles soient conformes aux normes. Le mesureur doit contraindre le bûcheron à recouper la souche, si elle excède la mesure réglementaire. L’emploi idéal pour tester le caractère du fils du propriétaire… Il n’a pas duré dans ces fonctions. Un autre cas. Dans une entreprise de service, le fils de l’entrepreneur a été embauché comme conseiller spécialiste. Les relations avec son père se sont détériorées au point que le fils est allé travailler pour la compétition. La relève n’est jamais un pari gagné d’avance.

Un entrepreneur avait engagé un vice-président pour assumer sa relève au sein de l’entreprise. Lorsque l’actionnaire a annoncé son départ pour la fin de l’année, le vice-président — prévu pour la relève — commence son délire de pouvoir. Il est devenu le virus dont toute l’organisation voulait éliminer. Le président a dû se résoudre à le congédier.

Que dire de cet autre entrepreneur qui avait choisi de vendre son entreprise à ses principaux directeurs. Les erreurs se sont accumulées lorsque les directeurs ont constaté que l’actionnaire principal se votait des dividendes sans leur en donner au prorata. Ils possédaient des actions de la même catégorie que l’actionnaire principal. À même les dépenses de l’entreprise, il payait deux voitures de luxe à sa famille ainsi que l’entretien de sa résidence. Les directeurs — surpris de telles injustices — ont engagé des professionnels pour évaluer la proposition de vente de l’entreprise par le propriétaire. Rapidement, ils comprirent que le propriétaire voulait obtenir le double de la valeur marchande de l’entreprise. Cet actionnaire principal confondait la valeur marchande de son entreprise avec son besoin de capital pour maintenir le même train de vie qu’auparavant. Un autre scénario avorté.

Il est difficile de prévoir le bon scénario. N’a-t-on pas vu le retour du fondateur pour reprendre la direction de l’entreprise à cause d’erreurs importantes des enfants ayant voulu faire un virage top vite ou un changement improvisé ou un manque d’expérience. Avec la meilleure volonté, le plan de relève doit contenir plusieurs scénarios, car la solution gagnante demeure souvent imprévisible et exige beaucoup de créativité. Un exemple. À la mort de son père, le fils unique hérite de l’entreprise familiale, spécialisée en matériaux de construction haut de gamme. Le fils se retrouve coincé entre sa fierté, son désir de conserver l’entreprise au sein du giron familial d’une part, et de l’autre, d’admettre son manque d’intérêt et de capacité à gérer une telle entreprise.

Il aurait pu vendre facilement une affaire aussi spécialisée et complémentaire à beaucoup d’autres. Cette solution de facilité lui déplaisait. Sa solution fut plus créatrice. Il recruta un directeur général pour la gestion de l’entreprise avec un intéressement au profit. Le fils assurait la pérennité familiale de l’entreprise, tout en minimisant son implication dans la gestion de l’entreprise comme président du conseil d’administration. Qui sait ? Un de ses enfants pourrait reprendre le flambeau qu’il n’a voulu pas reprendre !

 LES DÉFIS DE LA RELÈVE

Comme un paquebot, la relève ne peut pas opérer un changement de direction trop rapidement. La transmission des commandes entre la capitainerie et la salle des machines n’est pas instantanée. Lorsqu’un paquebot amorce son virage, il a besoin de plusieurs kilomètres pour exécuter le commandement, contrairement à la chaloupe qui peut presque virer sur elle-même en un instant. C’est toute la différence entre une performance individuelle et celle collective.

Lors de la relève, le niveau de gestion de l’entreprise doit devenir professionnel dans plusieurs dimensions de son opération :

  • L’entrepreneur assume plusieurs tâches : un actionnaire de fabrication cumulait les tâches de vendeur et de directeur de la production. Conséquence : lorsqu’il manquait de production, il devenait vendeur, et réciproquement. Il n’y avait pas de vendeur à plein temps pour une entreprise de 6 millions $ de ventes annuelles. Les actionnaires étaient surpris que les ventes fussent plafonnées depuis plusieurs années. La spécialisation des tâches devient une réalité professionnelle lors de la prise de la relève pour améliorer les performances antérieures et assurer l’autonomie des fonctions essentielles. 
  • Pour atteindre le plus haut niveau du prix de vente de l’entreprise, il faut améliorer les états financiers sur un minimum de 5 ans. Selon cette perspective, le vendeur doit éliminer ses dépenses personnelles pour bonifier les profits. Doit-on vraiment confirmer qu’un acheteur achète uniquement les profits déclarés! Tout ce qui ne peut pas être démontré — par une évidence comptable — ne représente rien pour un acheteur. Le prix de vente se détermine habituellement avec les profits des 5 dernières années, en les actualisant selon le rendement escompté par l’acheteur.
  • Trop souvent, les entrepreneurs négligent la gestion par un budget. Ils prétendent que ces exercices découragent par des cibles jamais atteintes, voire inatteignables. Le budget est un plan de match qui permet de réajuster le tir chaque mois et d’ajuster la contribution de chacune des composantes de l’entreprise à l’atteinte de la performance définie dans le budget. Chacun des directeurs devient imputable de sa contribution dans la réalisation du budget. Le budget synchronise chacune des directions de l’entreprise vers la réalisation des profits définie au budget. Le directeur financier est responsable de coacher chacun des directeurs de l’entreprise vers l’atteinte des objectifs budgétaires propre à chaque composante de l’entreprise. Ne l’oublions pas, derrière les objectifs financiers, il y a un ensemble de stratégies pour les atteindre. La réussite des stratégies, du travail d’équipe et de la synergie entrepreneuriale, est le véritable but de la réalisation d’un programme budgétaire. Le budget est une gestion dynamique quotidienne.
  • Les implications fiscales deviennent extrêmement douloureuses, si elles ne sont pas planifiées avec les bons outils : l’exonération du gain en capital, le gel successoral, la fiducie familiale, le fractionnement de la nue-propriété/usufruit, les conventions achat/vente, la compagnie de gestion… Le délai pour la mise en place de l’une ou d’une combinaison de ces stratégies fiscales exige une période minimale de 5 ans pour révéler son efficience. Épargner l’impôt est un devoir citoyen reconnu par la Cour suprême du Canada.
  • L’entrepreneur ne doit pas devenir le principal banquier qui finance la vente de son entreprise. Il doit organiser le financement de la vente avec les ressources de l’entreprise, le financement des actifs, les liquidités annuelles, les sources de financement, l’appropriation des BNR et la mise de fonds de l’acheteur. Une stratégie à considérer est la vente progressive de l’entreprise. Le vendeur doit protéger son intérêt en minimisant ses risques.
  • Seulement 10 % des entrepreneurs ont recours à des professionnels pour encadrer leur plan de relève. Chaque entrepreneur doit se demander pourquoi il y a si peu de plans de relève pour assurer la continuité de nos PME. L’absence d’un plan — bien défini — augmente les chances de disparition de l’entreprise avec le départ de son fondateur.

 La réussite d’une relève exige de considérer tous les aspects humains de l’entreprise, sa culture, les attentes de la famille et de ses cadres. Dès le début du processus, un conseil de famille devrait être formé pour encadrer le plan de relève lequel peut inclure plusieurs scénarios et modalités : la vente de l’entreprise aux cadres, à des tiers et à la famille. La transparence avec la famille facilite la prise de décisions importantes et la divulgation des divers intérêts afin de les concilier.

La transition du leadership est une période importante pour assumer la transparence des communications afin d’éviter le fléau des rumeurs destructrices. Le repreneur doit être formé à l’identité spécifique de l’entreprise afin d’assurer le succès de la transition et de son évolution. L’essentiel à comprendre c’est qu’il s’agit de la continuité de l’entreprise et non, de l’entrepreneur : deux partenaires vraiment distincts !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets