Je suis handicapée psychique et je travaille
[Image (sur ma condition) : Jiaqi Zhou - www.jiaqizhou.com - sur un article Verywell Mind]

Je suis handicapée psychique et je travaille


Je suis travailleur handicapé.

Je remercie la France d'avoir créé la RQTH: reconnaissance de qualité de travailleur handicapé.

Pour nous, le sigle doit se lire à l'envers, dans l'ordre croissant d'importance:

4. Nous sommes Handicapés

3. Nous sommes Travailleurs

2. Nous avons des Qualités

1. Nous voulons de la Reconnaissance

Quel que soit le handicap, travailler au quotidien est une épreuve.

Aujourd'hui, je vais vous parler d'un type de handicap particulier, celui qui me concerne:

- C'est un handicap invisible (comme 80% d'entre eux)

- C'est un handicap d'ordre psychiatrique (2e cause des arrêts de travail en France)

Je ne vais pas vous parler des 6% d'employés handicapés obligatoires qu'aucune entreprise ne respecte (à part les ESAT et entreprises adaptées). Par contre, j'aimerais vous parler des "formations" qu'on donne aux employés à ce sujet, et qui concernent évidemment les troubles visibles, et invisibles liés à un problème physique ou cognitif (diabète, insuffisance rénale, troubles en dys-, TSA...), mais jamais la santé mentale. C'est un sujet, en 2022, encore totalement tabou.

Jusqu'à aujourd'hui, j'ai choisi de taire ma condition soit à tout le monde, soit aux collègues non managers ou ressources humaines. Et encore, ces derniers ne connaissent pas grand-chose sur la RQTH, voire violent ma volonté de la garder pour eux (si vous voulez des formations, formez-vous vous-mêmes d'abord). Oui, c'est un sujet tabou et je ne souhaitais pas que ça se sache. C'était mon secret professionnel à moi. Mes anciens collègues dans mon réseau vont tomber de haut.

Dans mon cas, je suis incapable de maîtriser ma réaction face à une situation que j'interprète comme un rejet. J'assume totalement celles qui m'affectent lorsqu'il s'agit de collègues qui ignorent mon état. Après tout, c'est mon choix; je veux être traitée comme les autres, et de manière générale, mon handicap impacte ma vie personnelle bien plus que professionnelle.

Mais lorsqu'il s'agit de personnes qui ont connaissance du fait, et qui provoquent ces situations ingérables (consciemment ou non)... je n'ai pas de mots pour exprimer leur cruauté. Il est impossible de se mettre constamment à la place d'autrui, mais il est possible de réfléchir à ces scènes a posteriori, et surtout de demander pardon (un autre sujet tabou), ce qui accélère grandement la récupération de crise pour la personne affectée.

J'ai passé la nuit de mardi aux urgences. Cette fois, ma crise était entièrement liée à mon quotidien au travail. Encore une fois, cela me concerne. Je n'ai pas à faire de reproche à qui que ce soit. Cependant, de mon côté, je me sens impuissante. Comme vous le savez, en ce moment, les hôpitaux sont saturés. Il n'y a plus de moyens, plus de personnel, et ceux qui restent sont désemparés. On m'a donc dit de rentrer chez moi, et de suivre la procédure la plus compliquée possible pour espérer avoir un rendez-vous dans leur cellule spécialisée.

Au final, les troubles psychiatriques nécessitent une prise de conscience, au plus haut niveau des entreprises d'abord, et au "bas de l'échelle" ensuite. Quelques chiffres:

  • Seuls 15% des handicaps (en général) nécessitent un aménagement de poste. Pour les troubles psychiatriques, c'est quasiment jamais.
  • 80% des étudiants handicapés ne poursuivent pas d'études supérieures
  • 96% des étudiants handicapés ne vont pas dans une grande école
  • Un tiers des dossiers à la MDPH (statuant sur le handicap) concerne les troubles psychiques

C'est donc à la fois une condition très répandue et bloquante dans l'accès à l'éducation et au travail, sans être bloquante pour le travail.

Ainsi, au lieu de faire des campagnes de communication grandiloquentes qui n'embellissent que votre image, incitez vos salariés à interagir avec leurs collègues handicapés (s'ils en ont connaissance) afin de mieux les comprendre. Ces derniers n'attendent que ça pour se sentir rassurés et encore plus motivés. L'interaction avec des handicapés psychiques en-dehors du travail est également très utile pour saisir les différents troubles, et comprendre comment les gérer afin de mettre à l'aise d'éventuels collègues concernés.

"Oui mais un employé handicapé sera forcément moins productif, plus coûteux et plus contraignant"

  • L'AGEFIPH (vous savez, l'organisme à qui vous donnez de l'argent pour ne pas employer d'handicapés) peut vous aider pour réaliser un aménagement de poste à hauteur de plus de 10000€
  • Même montant pour l'évaluation des capacités professionnelles de l'employé et leur valorisation
  • Elle paie également 3000€ par an pour des consultations médico-psychologiques hebdomadaires
  • Un employé handicapé épanoui s'investit énormément dans son travail, et sera ravi et efficace en ayant plus de responsabilités (oui il en est capable)
  • La bonne action: le travail (lorsqu'il est possible) est 100% positif pour une personne handicapée, au niveau de sa confiance en elle, son inclusion sociale, et l'éloignement du chômage de longue durée, qui sont des éléments cruciaux pour aller mieux et donc mieux travailler; il s'agit d'un cercle vertueux que vous n'êtes qu'à un bouton d'enclencher
  • Les économies (n'hésitez pas à communiquer à vos salariés la possibilité de demander la RQTH, beaucoup en ignorent l'existence ou pensent que vous voyez négativement leur condition : vous serez étonnés de l'augmentation de votre pourcentage)
  • La seule contrainte que vous aurez avec un salarié handicapé psychique est le manque de reconnaissance (sociale, financière, silence sur ses résultats/efforts) que vous lui ferez subir

"Oui mais un handicapé psychique peut être violent au travail"

  • Très peu de conditions psychiatriques impliquent de la violence envers autrui. S'il y a de la violence, c'est avant tout envers soi-même; et dans la plupart des cas le comportement de crise sera l'isolement et non la confrontation
  • Si la personne a fait des études ou une formation pour en arriver à avoir la confiance de vous demander un poste, il y a peu de chances qu'elle ne soit pas adaptée à la vie professionnelle

Aujourd'hui je suis en recherche d'emploi. J'ai réalisé plusieurs choses, et notamment l'utilité d'une nouvelle orientation de ma carrière afin de mieux exploiter mes qualités (soft skills dont 4 langues parlées et une expression fluide dans un milieu 200% technique), et j'espère, d'aller mieux.

Comme d'habitude, les employeurs jettent mon CV, parce qu'il ne contient pas 100% des outils utilisés dans cette nouvelle orientation malgré mes expériences très proches ; mais sommes-nous étonnés?

Mais surtout, beaucoup d'employeurs réagissent négativement à mes prétentions salariales et (ne serait-ce que mention d'une) demandes de négociation (encore un tabou!).

Oui, je veux être mieux payée, et alors?

Oui, je suis une femme, et alors?

Oui, je suis étrangère, et alors?

Oui, je suis handi, et alors?

Je me donne pour objectif de prouver au monde que le salaire moyen inférieur n'est pas une fatalité.

Je me donne pour objectif de trouver pour moi une équipe qui voudra miser sur mon profil, m'accompagner dans mon évolution, se laisser surprendre de mes capacités, et surtout être bienveillante.

Tout employeur doit tout faire pour garantir le risque zéro à la dégradation de l'état de ses employés, encore plus lorsque ces derniers sont en situation de handicap, et en particulier les handicaps psychiques extrêmement affectés par les interactions. Les employés aussi ont cette obligation. Je n'ai pas peur des utopies: soyons tous responsables et bienveillants!

Qui sommes-nous? Les travailleurs handicapés (psychiques et autres).

Que demandons-nous?

  • Qu'on ait de la reconnaissance
  • Qu'on reçoive du soutien (points réguliers)
  • Qu'on nous rappelle l'existence de la médecine du travail
  • Qu'on ait conscience et nous alerte sur la surcharge (prévention du burnout)
  • Qu'on nous accorde de l'autonomie (souplesse horaire, prise d'initiatives...)
  • Le plus important: qu'on nous fasse confiance.

Wafaa Namasse

Ingénieur en qualité logicielle

2 ans

Complément à l'article: "On veut bien employer des handicapés, mais ils ne viennent pas à nous" Vous prenez le problème à l'envers: ce n'est pas aux handicapés de venir, c'est à vous de faire venir les handicapés. Comment? En travaillant en amont sur les valeurs de votre société sur le terrain, afin de faire connaître votre inclusivité et votre management positif. Exemple positif qui résume tout: sur mes dizaines de candidatures, une seule offre comportait un élément capital; une coche "Etes-vous concerné.e par la RQTH?". C'est tout. Un simple <input type="checkbox"> a suffi à me transmettre le message: "Viens rejoindre la famille, on t'accueillera comme il se doit!" et à me motiver pour obtenir le poste. Exemple négatif (hélas ceux-ci sont bien plus nombreux): Une firme développant un service utilisé massivement au niveau mondial, dans un pays couramment cité comme l'exemple de l'Europe voire du monde (surtout au niveau social), s'est effarouchée à l'évocation de mon handicap. Ils m'ont harcelée pour connaître le diagnostic exact, ont rejeté ma RQTH en bloc, et ont été très peu compréhensifs sur les conditions qui me paraissaient adaptées pour l'épreuve très stressante qu'ils m'imposaient. Nous avons du pain sur la planche!

Raja Bensaoud

Enseignante Master et MBA Grandes Ecoles

2 ans

Or force est de constater que les RH n’ont pas, en général, la culture du handicap psychique et ne connaissent pas les dispositifs mis en place par les pouvoirs publics. C’est le cas de la confusion faite entre « avantage » et « droit à compensation » prévu par la lui du 11 février 2005. Et puis, les entreprises doivent revoir leurs outils de recrutement pour intégrer la question du handicap psychique (Certaines le font déjà). En particulier, il s’agit de considérer le handicap comme une singularité et non comme une faiblesse. L’uniformité des profils est d’ailleurs loin de favoriser la créativité en entreprise. Des préjugés et des stéréotypes négatifs persistent. Handicap psychique ne signifie pas « handicap intellectuel », « incompétence » ou « imprévisibilité ». La maladie ne se manifeste pas nécessairement par des « comportements délirants » ou par « la violence ». Il faut aussi valoriser et faire connaitre les entreprises dites  handi-accueillantes. Une GRH renouvelée est nécessaire sur ces questions :aller vers plus d’ouverture à la différence, plus de solidarité, plus de diversité et donc de richesse.  Pour que la donne change, de manière positive. (2/2)

Raja Bensaoud

Enseignante Master et MBA Grandes Ecoles

2 ans

« Le handicap ne peut pas être un handicap » disait Stephen Hawking Témoignage très sincère de Wafaa Namasse, audacieux et instructif. A une époque où l’écologie est dans toutes les bouches, il est important de s'intéresser aux gens, en particuliers les plus vulnérables, au même titre que les poissons ou les arbres. Les entreprises (qui ne le font pas déjà) devraient s’intéresser à cette problématique parce que les pathologies psychiques trouvent souvent leur origine dans le travail et parce qu’elles  touchent en général les cadres et les hauts potentiels. Le handicap psychique ne réduit d’ailleurs pas les capacités intellectuelles. Le post de Wafaa en est une belle illustration (1/2)

T'en as fait un sacré bout de chemin depuis qu'on se connaît, sois en fière et étonne moi encore :). J'espère que tu trouveras chaussure à ton pied ;).

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