«Je suis libéré d'un poids qui m'étouffait» : ils ont définitivement coupé les ponts avec leur famille

«Je suis libéré d'un poids qui m'étouffait» : ils ont définitivement coupé les ponts avec leur famille

Une dispute ou un héritage leur a fait tirer un trait sur leurs parents ou leur fratrie. 

TÉMOIGNAGES - Un événement marquant, une dispute ou un héritage leur a fait tirer un trait sur leurs parents, leur fratrie et parfois même tout le cercle familial. Certains éprouvent encore de la colère, d'autres se sont construit une nouvelle vie, trouvant dans leurs amis un substitut plus épanouissant.

Louane, 29 ans, vient de franchir un cap avec son compagnon : elle lui a confié avoir coupé les ponts avec sa famille il y a quatre ans. «Cette séparation a été une décision longuement mûrie, réfléchie. Je ne regrette rien mais l'assumer aux yeux de tous, même de l'homme que j'aime, reste difficile», souffle-t-elle. Après un silence gêné, l'analyste financière remonte aux origines de la rupture et raconte son enfance dans une famille de la grande bourgeoisie du Finistère. Un parent alcoolique, un autre absent, un cercle familial qui ferme les yeux sur les actes de négligence, maintes fois répétés. «J'ai perdu le compte des fois où mes parents m'ont oubliée à l'école… Je voyais les profs tenter de les joindre par téléphone, sans succès. J'entendais leurs messes basses», se souvient-elle en tirant un fil de son pull.

Désormais, la jeune femme a pris l'habitude de botter en touche quand la conversation s'oriente sur sa famille. Elle se met en retrait à l'approche de Noël et autres fêtes propices aux réunions familiales. «Dire qu'on a rompu avec ses parents, ce n'est plus vraiment un tabou aujourd'hui, mais quand j'en parle, je sens qu'on me comprend mais que dans le même temps ça touche à quelque chose de sacré. Tourner le dos aux siens, ça a quelque chose de sacrilège», assure-t-elle. Pas de quoi lui faire regretter sa décision pour autant. «Je suis libérée d'un poids qui m'étouffait. Mes parents me renvoyaient toujours à cette petite fille en mal d'amour qui attendait quelque chose… Quelque chose qu'ils seront toujours incapables de me fournir. Ne plus les voir me permet de prendre du recul et de me construire par moi et pour moi», dit-elle.

L'image irréelle de la famille

«Malgré les convenances sociales, rompre avec sa famille peut être salvateur, surtout dans les familles dysfonctionnelles, remarque Pascal Anger, psychologue, thérapeute et médiateur familial. On le sait, certains parents sont toxiques, ils nuisent à leurs enfants. Quand on a dit ses souffrances à ce parent et qu'on ne se sent pas entendu ni respecté, quand on ne sent pas qu'il a fait une introspection sur les torts qu'il vous a causés, alors il vaut mieux mettre un terme à la relation, fusse-t-elle filiale.»

La famille n'est pas toujours une richesse, ce n'est pas forcément un lieu d'entraide

PASCAL ANGER, PSYCHOLOGUE ET MÉDIATEUR FAMILIAL

Le regard que porte la société sur la famille change, on est dans une époque charnière. «Cette idée d'un ciment familial et d'un amour inconditionnel reste prédominante, mais on sait en parallèle que l'image de la famille Ricoré n'est “que” ça : une image irréelle. Nous sommes dans une société où l'on est de plus en plus centrés sur nous, où l'on fait davantage attention à soi. Or, la famille n'est pas toujours une richesse. Ce n'est pas forcément un lieu d'entraide, ni un lien ou groupement d'intérêt qui permet de se sentir en soudure les uns vis-à-vis des autres», reprend le spécialiste.

 


Sur une place de la Ville rose, Héloïse profite d'une journée d'hiver exceptionnellement chaude. «Voilà pourquoi j'aime Toulouse, c'est une ville où la chaleur irradie : du ciel, des murs, des habitants mêmes. On est aux antipodes de Strasbourg», lance-t-elle en offrant son visage au soleil. L'Alsacienne de 39 ans a quitté sa ville natale en 2012 et rejoint le sud, avec pour objectif de mettre un maximum de distance entre elle et sa famille. Depuis, elle n'a plus parlé à sa mère, ni à sa demi-sœur, ses oncles ou tantes. La colère sourd encore de sa voix quand elle mentionne ses proches, à 942 kilomètres de là.

Selon elle, les tensions familiales sont apparues à la mort de son père. Héloïse avait 17 ans. L'héritage lui fait la part belle mais provoque des disputes avec sa mère, qui se sent lésée. Au fil des années, la famille se scinde en deux camps. «Pendant treize ans, j'ai essuyé les plâtres. J'ai tenté de maintenir un lien qui tenait plus du fil électrique ou du barbelé, et finalement, j'ai dit basta», conclut-elle.


Les mots jamais dits

Héloïse repense parfois avec nostalgie aux grandes tablées familiales de son enfance ; à l'approche de son anniversaire surtout. Mais pour elle, ces souvenirs appartiennent définitivement au passé. «Après la mort de mon père, ces réunions ont changé et autour de la table, ce n'était plus que propos acides et disputes», clame-t-elle. Elle est partie sans se retourner. Sans s'expliquer non plus. Aujourd'hui, les mots qu'elle n'a jamais dits à sa mère semblent l'obséder. «Avant de fracturer, il est préférable d'essayer quelque chose. Si on ne le fait pas, on reste avec un grand point d'interrogation : “et si ?”. Alors allez jusqu'au bout. Au moins les choses auront été dites», conseille le médiateur familial Pascal Anger.

Pendant 13 ans, j'ai tenté de maintenir un lien qui tenait plus du fil électrique, finalement, j'ai dit basta

HÉLOÏSE, 39 ANS

Jules, lui, n'a jamais vraiment su quoi dire à sa famille. C'est bien là son souci, d'ailleurs. «J'ai toujours refusé ce diktat des liens du sang. Si, en plus d'une absence de sentiment, vous avez une divergence d'intérêt : pourquoi se forcer ? Je n'éprouve aucune affection particulière envers mes frères et sœurs. Nous n'avons ni les mêmes aspirations, ni les mêmes centres d'intérêt, ni les mêmes convictions, alors ce serait hypocrite de maintenir une illusion de façade», explique-t-il.


Il s'est éloigné lentement, inexorablement. Dans le même temps, il s'est créé une «famille de cœur», selon ses mots. Un petit cercle constitué de sa femme, de leur fils et d'une poignée d'amis très proches qui - point commun peut-être fédérateur - ne voient plus ou peu leur famille. Après avoir fêté ses 40 ans dans la baie de Cannes avec sa bande, Jules s'apprête à célébrer avec eux ses 50 ans. Voilà plus de vingt ans qu'il préfère vivre les petites et les grandes occasions ainsi entouré

Si, en plus d'une absence de sentiment, vous avez une divergence d'intérêt : pourquoi se forcer ?

JULES, 50 ANS

Et il n'est pas le seul. D'après une étude OpinionWay, commandée en décembre 2016 par le réseau d'assurances Anpère, il apparaît que 7% des Français choisissent de fêter Noël avec leurs amis. Cette tendance émergente est surtout urbaine, puisque le pourcentage monte même à 13 % en région parisienne, contre 4 % dans les zones rurales. Reflet d'un changement de paradigme ? Défaite des liens du sang, la famille postmoderne semble être une famille choisie. La garantie d'un «chapon» sans altercation politique et sans jalousie maladive ni échange de pics redondant.

Par Caroline Lumet Le Figaro


 

 

 


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