Jeux de Seine

Quelle réussite prodigieuse ! Un miracle né de la rencontre entre un metteur en scène qui n’a pas eu peur, naguère, de se confronter à Shakespeare et un historien du Moyen Age, maître dans une discipline vouée à être imaginative faute d’être riche en archives. Voilà ce que je me disais, ce vendredi 26 juillet, après avoir assisté au spectacle d’ouverture des Jeux Olympiques, les yeux rivés à mon écran de télévision pendant plus de quatre heures. A priori, la gageure était intenable : il s’agissait de recréer, sur les rives de la Seine, entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna, un climat de confiance dans l’avenir non seulement national, mais mondial, en un moment de repli identitaire, de menace terroriste et de crise gouvernementale.

Eh bien ! Ne serait-ce qu’un instant, l’étrange attelage de l’historien et du metteur en scène a atteint, et même dépassé son but. Au fil des images, c’est l’essentiel du tempérament français qui m’a réveillé le cœur et les sens : le refus d’être dupe et le goût de la provocation. Tels ces saints « céphalophores » des peintures du Moyen-Âge, inspirés des récits bibliques de décapitation, renvoyant dans mon souvenir aussi bien aux portraits de Judith et Holopherne qu’à la Salomé de Richard Strauss ; telles, encore, ces apparitions monstrueuses, incarnées par des stars du rap et de la chanson, rappelant aux Parisiens les gargouilles de Notre-Dame ou les mascarons du Pont Neuf attribués à Germain Pilon et ressuscités par Victor Hugo dans Les quatre vents de l’esprit. Et puisqu’on en est à Hugo – qui ne conclut pas par hasard l’essai de Boucheron Le temps qui reste (Seuil, 2013) - comment ne pas évoquer son éloge du rapprochement shakespearien du grotesque et du sublime dans la préface de Cromwell (1827), qui semble avoir tracé, fond et forme, le programme esthétique de Thomas Jolly : « comme objectif auprès du sublime, comme moyen de contraste, écrivait Hugo, le grotesque est, selon nous, la plus riche source que la nature puisse ouvrir à l’art. »  Enfin, pour éviter d’exagérer les illusions entretenues par les idéalistes sur la fraternité humaine, le même Hugo a mis nos auteurs en garde, en évoquant l’accueil réservé par Paris aux Prussiens, dans l’Année terrible (1872) : à leur confiance de touristes dans la capitale conquise, « Paris, cette ville publique/ qui pour les étrangers se farde et s’embellit/ nous ouvrira ses bras », le poète réplique : « et la Seine son lit ».

Bref, il y avait dans ce spectacle ample matière à ne pas être malheureux, et à retrouver quelque espoir sans être dupe. Je dois dire ma déconvenue en découvrant durant ce week-end des réactions de scandale émanant d’écrivains et de penseurs pour la plupart « de droite », que je croyais éclairés, voire proches, et que je ne veux pas croire malhonnêtes. J’avoue que, malgré leurs protestations indignées contre la propagande « woke » et les « blasphèmes » dont ils chargent leurs procès d’intention, j’ai surtout vu des moments de sublime, comme la course finale d’une cavalière remontant le fleuve sur un cheval mécanique à travers la tempête. J’ai trouvé surtout la confirmation de la seule issue qui puisse, à mon sens, sortir, sur les traces rêvées par Thomas Man, Malraux, Huxley et quelques autres, les sciences politiques et sociales de la clôture identitaire dans laquelle elles tendent à nous enfermer : la confrontation des ressources de la littérature et de l’art peut seule rapprocher les cultures et, en déjouant leurs pièges émotionnels, leur permettre d’atteindre – qui sait ? - à l’universel.

Enfin,commentaire intelligent et honnête,qui n’essaye pas de tordre la réalité et de provoquer et récupérer les malentendus et autres interprétations pour une fois déplus tenter de dresser les Français les uns contre les autres!On aimerait que l’éveque de Gap reconnaisse au moins sa méprise!

François-Noël TISSOT

Tenir conseil en identité

4 mois

Se sentir aimé : cette aspiration ontologique, commune à tous, spécifique à chacun, prend mille et une formes. Cette diversité élargit le potentiel dont dispose chacun de s’accomplir : se savoir aimer.

yves Lefloch

Professeur en sciences de la communication

4 mois

Texte magnifique. Homme cultivé et esprit libre. Vous faites honneur à l'esprit français, que tant d'autres à droite et à gauche, semblent tellement abhorrer. Et qui évidemment sera critiqué...Avec moins de talent.

Je suis heureux pour vous que le spectacle d’ouverture des JO ait recréé en vous un climat de confiance dans l’avenir non seulement national mais mondial. Vous évoquez le repli identitaire, la menace terroriste et la crise gouvernementale, qui constituent en effet des dangers que le spectacle n’a fait qu’accentuer. Vous mentionnez comme essentiel du tempéramment français le goût de la provocation qui a réveillé votre coeur et vos sens, comment ne pas voir que ce goût de la provocation ne peut que renforcer la menace terroriste, accentuer la fracture de la France qui est à l’origine de la crise gouvernementale et exacerber le repli identitaire. Vous évoquez la décapitation, les créatures monstrueuses et le grotesque et la nécessité d’éviter les illusions des idéalistes de la fraternité humaine, qui me paraissent peu susceptibles de donner confiance dans l’avenir. Vous évoquez Hugo qui écrit aux touristes dans Paris ville publique qui ouvre ses bras et la Seine son lit, ceci correspond à l’image qui se répète au cours de spectacle de Paris aux femmes légères, aux moeurs faciles, avec l’amour à trois, les drag queens, l’obscénité, le grotesque. Tout ceci plait à tous ceux en France et à l’etranger, qui aiment voir la France abaissee.

Eric Maumy

President and CEO @ Groupe APRIL | President and CEO @ Nantucket

4 mois

Merci pour ces mots plein d’intelligence des situations, de culture, d’ouverture … ils tranchent avec des discours qui n’étaient pas des critiques mais des pamphlets qui sentent le rance et la naphtaline. Cette cérémonie était un OVNI, un uppercut qui donne à réfléchir, une pâte à modeler pour ceux qui ne font pas feu de tout bois pour enflammer notre Nation.

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