Journée de l'Immo : à Marseille, peut-on faire rimer densité et désirabilité ?
Alexandre Contencin et Julien Cresp © Roger Lomini

Journée de l'Immo : à Marseille, peut-on faire rimer densité et désirabilité ?

Comment rendre désirable l’habitat marseillais de demain ? Comment lutter contre l’habitat indigne mais freiner l’artificialisation, et plus largement, comment développer tout en s’inscrivant dans la transition écologique ? Ces questions ont été au cœur des débats de la 15e journée de l’immobilier, organisée par le Club de l’Immobilier Marseille Provence à la Grotte Cosquer Méditerranée, le 30 juin dernier.

« Le logement n’a jamais été aussi important dans la vie des Français » explique Jean-Laurent Cassely, « grand témoin » de cette journée et co-auteur du best-seller « La France sous nos yeux » (éditions du Seuil).

Comment sortir du sacro-saint modèle "maison-jardin-barbecue" ?

Son livre, un grand tableau incarné de la France post-Trente Glorieuses, co-écrit avec Jérôme Fourquet (IFOP), raconte le passage d’une société de production à une société de consommation et tous les bouleversements que cela a impliqué en termes de modes de vie.

« L’importance du cadre de vie est devenue une question centrale dans l’après-COVID et les portions désirables du territoire font l’enjeu d’une concurrence immobilière croissante », explique-t-il.

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Le bien dont rêvent tous les ménages ? Le sacro-saint modèle « maison-jardin-barbecue » avec, pour les plus chanceux, une piscine qui vient compléter le tableau.

Or si aujourd’hui plus de la moitié des Français vivent dans des maisons individuelles, ce modèle qui fait tant rêver n’est pas viable ni d’un point de vue écologique, ni d’un point de vue économique.

La question, pour les acteurs de l’immobilier marseillais, est aujourd’hui : comment rendre la ville désirable quand les gens rêvent de s’en éloigner ?

À cela s’ajoutent deux contraintes majeures : des permis de construire délivrés au compte-goutte, dans le but notamment de limiter l’artificialisation à l’ère du réchauffement climatique, et un caractère d’urgence, face à la pénurie de l’offre.

En résumé, il faudrait réussir à rendre le centre-ville attractif tout en le densifiant.

Aussi, à l’heure où le coût des matières premières flambent, conséquence directe de la guerre en Ukraine et de la reprise de l’inflation, et où le foncier se fait rare et cher, comment construire à bas coût, dans une ville où plus du quart de la population est pauvre et où on manque de logements sociaux ?

Grâce à Terres de Données, outil data présenté au public pour la première fois, les débats ont pu s’appuyer sur des données tangibles récoltées auprès de sources fiables pour dresser un état des lieux de ce qu’est Marseille aujourd’hui.

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Pauvreté et logements indignes

À travers quelques chiffres clés, Julien Cresp, directeur financier de Marsatwork et co-fondateur de Terres de Données, a dessiné le portrait d’une ville bien plus pauvre que la moyenne nationale (26% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, contre 15% au niveau national), avec un taux de suroccupation des logements également largement supérieur.

On note aussi un déficit en habitat plus élevé que sur le reste du territoire, ce qui ne devrait pas s’arranger avec l’explosion du nombre de familles monoparentales.

Pour y parer, il faudrait construire 4000 à 4500 logements par an, dont 2000 à 2500 logements sociaux, selon Patrick Amico, adjoint au Maire de Marseille en charge de la politique du logement.

« Et ce dont on ne parle pas, ce sont les logements indignes : cela concerne environ 40 000 Logements à Marseille, ajoute-t-il. Trente arrêtés de mise en sécurité sont signés chaque mois ! Cette situation dramatique laisse craindre une explosion sociale imminente. »

En termes de logements sociaux, l’outil data Terres de Données observe un parc très vieillissant et une baisse de la mobilité, ce qui n’est pas bon signe.

Fabienne Abecassis, directrice générale de Logirem, annonce 1000 logements sociaux à démolir sur les 8000 que compte la structure, « et ceux du précédent programme de démolition n’ont toujours pas été reconstruits ». Le bailleur social pointe un double problème de financement et de permis de construire.

Permis de construire et artificialisation

Le sujet des permis est sur toutes les lèvres. Patrick Alary, Vice-Président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) Provence, estime qu’« il faudrait 8000 autorisations de construire par an, si on veut construire 4000 à 4500 logements », à cause des retards que prennent certains projets.

Or la tendance est plutôt inverse : selon les chiffres récoltés par Terres de Données, en 2021, les nombre de logements autorisés au niveau national est revenu au niveau de 2018 (avant COVID), ce qui n’est pas le cas pour Marseille, où le nombre de logements autorisés est resté inférieur de 52% à ce qu’il était en 2018.

« Chaque refus implique une perte de temps et d’énergie considérable des deux côtés, rappelle Renaud Tarrazi, fondateur du Club Immobilier Marseille Provence et architecte associé de l’agence MAP. Les politiques se sont ré-emparés de la politique de la ville et c’est très bien. Maintenant, il faut qu’on trouve un mécanisme vertueux de co-construction autour des permis de construire ».

"L'équivalent de 40 à 50 stades de foot est artificialisé tous les 5 ans."
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Selon Mathilde Chaboche, adjointe au Maire de Marseille en charge de l’urbanisme, un plan de recrutement est en cours, ainsi qu’un programme de formation quant à l’attribution des autorisations de construire, pour un service promis à gagner rapidement en efficacité.

Mais la question plus globale est la suivante : « Comment pense-t-on une métropole utile à chacune de ses composantes ? »

À Marseille, « l’équivalent de 40 à 50 stades de foot est artificialisé tous les 5 ans », rappelle-t-elle.

« Il faudrait articuler les chiffres de l’artificialisation avec ceux du réchauffement climatique et rappeler que l’environnement est un problème de santé publique. L’Organisation Mondiale de la Santé préconise 12 m2 d’espace vert par habitant. À Marseille, on compte 4,6 m2 d’espaces verts en moyenne par habitant et beaucoup moins dans certains quartiers comme le centre-ville (1,8 m2/ habitant) et le Nord de la Canebière (2,5 m2) ».

« Notre mission est un peu schizophrène : celle de développer tout en prenant en compte les enjeux de la transition écologique », résume Domnin Rauscher, DGS de la Métropole Aix-Marseille.

Touristes et néo-Marseillais

La bonne nouvelle, c’est que Marseille ne cesse d’augmenter son pouvoir d’attractivité, depuis l’arrivée du TGV, en 1999, et son titre de Capitale Européenne de la Culture en 2013.

Si le solde migratoire apparent est toujours négatif, il s’améliore d’année en année. En 2021, on a compté environ 30 000 nouveaux arrivants et la ville attire quelques 5 millions de touristes par an et autant de promesses de logements à court terme, d’où l’explosion du marché du Airbnb.

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Qui sont ces néo-marseillais ? En provenance de l’étranger, de Paris, d’Aix-en-Provence, de Lyon et d’Aubagne (top 5 des provenances), ils font partie de la tranche d’âge des 25-39 ans et des catégories socioprofessionnelles moyennes et supérieures, selon Terres de Données.

Pourquoi ne pas vendre à cette poche intéressante de primo-accédants éventuels le charme du centre-ville, au cœur d’un très vaste projet de rénovation ?

Réenchanter le centre

L’Etat a acté en mars le financement, à hauteur de 650 millions d’euros, de la rénovation urbaine de 10 quartiers prioritaires à Marseille, dans le cadre du projet partenarial d’aménagement « Marseille en grand ».

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Selon Laurent Carrié, préfet délégué à l’égalité des chances, ce plan comprendra notamment la démolition de 4400 logements et leur reconstruction ainsi que la création de 3000 logements sociaux.

Au total, le projet est censé générer 10 000 logements dans ces quartiers de Marseille, notamment via de nombreux travaux de réhabilitation.

De nombreux équipement sont aussi prévus, dont 174 écoles, des studios et une école de cinéma, des infrastructures médicales.

« On est sur un temps très long, à 5 ans, 10 ans, mais il faut des gestes forts » a-t-il résumé.

Si le centre-ville va largement bénéficier de ce projet, les pouvoirs publics ont aussi besoin que les promoteurs privés s’emparent de ce territoire, parce qu’au total, ce sont près de 150 000 logements dont le centre de Marseille a besoin.

« Je suis consciente qu’il est plus compliqué de faire de la maîtrise foncière dans des logements partiellement occupés. Aussi, je sais qu’on ne fait pas les mêmes marges en réhabilitation que dans du neuf, mais il faut que cela devienne notre job à tous. Nous avons besoin de vous, soyez les petits colibris » de la réhabilitation du centre-ville, a lancé Mathilde Chaboche au parterre d’acteurs de la promotion immobilière marseillaise.

À titre d’incentive à l’encontre du secteur privé, elle a évoqué des achats groupés, notamment, qui permettent de faire des économies d’échelle.

"Il manque un récit de la densité désirable et c’est ce que vous êtes en train de le construire", Jean-Laurent Cassely

Parmi les idées évoquées lors des tables rondes, l’exemple d’un projet réalisé par Vastint à Vilnius : l’entreprise a d’abord imaginé un espace vert, dans lequel elle a ensuite intégré des immeubles d’habitation, puis elle a développé des activités commerciales autour et installé des food trucks, afin que l’endroit devienne un véritable lieu de vie et de sociabilisation.

« Au-delà des logements, nous devons devenir des créateurs d’événements collectifs, a proposé Hervé Jobbe-Duval, PDG de CCU (Centrale de Création Urbaine) & Compagnie : comment crée-t-on un environnement, un quartier, pour rendre la densité désirable ? »

De la théorie, Stéphane Perez, PDG de Habside et ancien président de la FPI Provence, est passé à la pratique : au sein du collectif « Les Transformeurs », il a imaginé « Plus belle la ville », un projet de revitalisation économique et sociale des centres-villes. L’idée, née au lendemain du drame de la rue d’Aubagne : repérer des immeubles très beaux mais en mauvais état et où il ne fait plus bon vivre, les acquérir et les transformer pour en faire des logements attractifs, tout en préservant des loyers modérés et de la mixité sociale. Le premier immeuble a vu le jour rue Tapis Vert, à Belsunce.

Aujourd’hui, l’idée est de « changer le logiciel », estime Sophie Rosso, directrice générale adjointe de Redman : il faut abandonner le réflexe de l’artificialisation systématique pour aller en priorité vers la réhabilitation.

Redman, jusqu’ici plutôt centré sur le tertiaire, s’oriente aujourd’hui vers le logement avec une mission « ville bas carbone », portée par l’urgence sociale et climatique.

« On a écrasé 3% de notre marge pour faire du bas carbone », et il n’existe pas, aujourd’hui de prime sur la qualité pour venir compenser ces pertes financières.

Autant d’idées qui permettent de rêver un centre-ville marseillais où il ferait bon vivre, ensemble et dans le respect de l’environnement.

Pour l’instant, Marseille, ce sont des strates urbaines qui sont le témoignage de modes de vie en décalage avec les enjeux actuels, estime Jean-Laurent Cassely, et le risque, c’est celui d’une archipelisation du territoire, sorte de cohabitation d’îlots hétéroclites.  

« Il manque un récit de la densité désirable et c’est ce que vous êtes en train de le construire », a-t-il conclu.

Pour en savoir plus sur l'outil data Terre de données, rendez-vous sur ce lien.

Fabrice HENRYOT

Direction projets, Executive MBA

2 ans

Bravo Julien 👍

👏👏 félicitations !!

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