Junkie du terreau
Corps possédé par Mère Nature la chafouine

Junkie du terreau


Chère Agnès


Comme je comprends l’évocation de ta madeleine de Proust à travers l’écoute frénétique des musiques de génériques des séries à chier des années 90 ; ce retour, en temps de crise, aux souvenirs mélancoliques du cocon dominical familiale, mélange d’ennui, de rituels et de cette certitude d’enfant, à la fois apaisante et un peu angoissante, que jusqu’à notre mort, tous les dimanches de notre vie seront placés sous le signe du poulet rôti et de K2000. 

Pour ma part, je ne suis pas une grande mélancolique et en général un bon gros paquet de chips au vinaigre engloutit en 20 minutes me procure plus d’émotion et de rassurance que mes souvenirs de petite fille – l’avantage des souvenirs étant qu’ils se stockent dans ta mémoire là où les chips se stockent plutôt sur ton cul.

Mais figure-toi que depuis le début du confinement, ma passion pour les chips a fait place à une nouvelle frénésie, incontrôlable, qui s’est emparée de moi dès la 2e semaine d’enfermement, un truc d’une intensité quasi-névrotique qui depuis, ne fait que grossir jour après jour : planter. N’importe quoi pourvu que ça pousse.

N’ayant pas de jardin, j’ai commencé par nettoyer mon balcon, jeter plantes mortes et feuilles sèches, puis j’ai ré agencé la disposition des pots et des trois plantes qui avaient survécu à l’hiver et à ma négligence. J’imaginais alors que ça suffirait pour me calmer. Evidemment, ça n’a pas été le cas – j’ignorais que je venais de tomber dans l’addiction - et il m’a vite fallut un nouveau shoot de jardinage. Or, je n’avais ni graines, ni plantes, ni rien. Seulement quatre pots vides, remplis de terre sèche, tristes vestiges d’un temps où fleurs et plantes s’y était épanouies avant de finir crevées, victimes de ma main plus gauche que verte.

J’ai vite compris que j’allais devoir mettre en place des stratégies illégales en cette période de confinement pour me fournir en dope plantes.

Mon premier acte de grosse badass a été d’envoyer un texto à ma voisine dont le balcon est si joliment fleuri, pour lui demander si par hasard, il lui était possible de me refiler en douce une bouture de n’importe quoi.

En quelques minutes, le deal était bouclé : j’ai envoyé N. chercher la dope les plantes en lui recommandant de ne pas trainasser dans les escaliers. Quand il a ouvert la porte de l’appartement, je me suis jetée sur lui : « Fais-voir ! »

Il tenait entre les mains deux boutures de plantes grasses d’un vieux rose pâle absolument charmant, ainsi qu’un grand verre d’eau à l’intérieur duquel flottaient les racines d’une grande plante tombante. (Excuse-moi pour ce manque de précision botanique. A part les cactus, je ne connais aucun nom de plantes.)

Fébrile, je lui ai arraché les deux petites plantes grasses qu’il tenait précieusement entre ses mains, avant de courir sur le balcon et de brailler à son adresse et à celle de son frère : « Allez jouer dans vos chambres. Et que ça saute ! »

Balcon. Soleil. Plante. Eau. Chant des oiseaux. Torpeur délicieuse.

J’ai patouillé la terre, gratté, planté, arrosé, nettoyé. Haaaaaa…

J’ai passé le reste de la journée dans un état de félicité complètement dingue.

Mais dès le lendemain, le manque s’est fait ressentir. Il me fallait à nouveau un truc à planter, viiiite ! Cette fois-ci, j’ai envoyé un message à TOUS mes voisins pour les supplier de me fournir en pépins de pommes. Mon voisin du dessous m’a répondu immédiatement et une nouvelle fois, j’ai envoyé N. me chercher ma dose.

Il est remonté rapidement avec les pépins cachés dans un bout de mouchoir.   

« Donne ! »

N. m’a suggéré placidement de les faire germer dans un bout de coton :

  — C’est comme ça qu’on a fait avec des haricots, à l’école. »

—   Tais-toi, insolent.

N. m’a jeté un regard blasé avant de s’en retourner dans sa chambre.

J’ai attendu d’être seule pour fouiller fébrilement dans la poubelle à la recherche d’un petit pot de plastique vert spécial semis rempli de terre sèche que j’avais jeté le jour du grand ménage de balcon (le fameux pot qui avait servi aux feus haricots d’école). Après l’avoir dégoté parmi les immondices, puis nettoyé, j’ai entrepris illico de ramollir la terre et d’y enfouir deux pépins. Ensuite seulement, une fois mes tremblements calmés, j’ai procédé à la germination-coton du reste des pépins.

Mais comme je te l’ai dit, mes crises de jardinage sont de plus en plus aigües et je dois t’avouer qu’hier, j’ai franchi un cap, me vautrant avec délice dans l’illégalité la plus complète, #reinedesbadass #caillera : ayant dégotée par hasard un dealer de plante parmi mes connaissances les plus proches au sens amical comme géographique, une remise de rejet de pousse de bananier s’est dealée en secret entre nous. Je suis donc sortie à 40 mètres de chez moi en mode Cats Eyes (coucou les années 90 ! Kasdédi pour toi partner), sous la pluie, d’un pas rapide, en jetant des regards furtifs autour de moi – j’avais oublié ma fucking attestation (mais de toute façon, comme tu le sais, il n’existe pas de case à cocher « Deal de bananier en cours »)

Arrivée devant l’immeuble de mon dealer, j’ai sonné à l’interphone avant de m’engouffrer dans l’ascenseur. Sur son palier, M. m’attendait masqué et un peu caché derrière sa porte. Il m’a tendu la pousse fraichement rempotée, je m’en suis emparée d’un geste vif avant de la planquer sous ma veste et de retourner chez moi en trottinant sous la pluie.

Ça, c’était hier et je t’assure que j’ai peur pour la suite du confinement. Il y a trois jours, j’ai failli découper la gorge de D. au couteau à beurre parce qu’il avait noyé mes plants de tomates en leur vidant dessus –  en loussdé -  l’entièreté du contenu de mon énooorme arrosoir.

Et ce matin, je me suis surprise à m’imaginer aller creuser les bords de l’Erdre pour me fournir en came terre fraiche et percer le fond de mes bols en faïence pour en faire des pots.

Je suis possédée par Mère Nature, Agnès.

Au secours.





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