Krisis ou Kairos ?
Et si la crise provoquée par l’épidémie de coronavirus portait en germe un nouveau mode de sortie de crise ? En effet, les pays occidentaux patinent dans la crise depuis les années 1975, sans avoir connu sur leur sol aucun de ces deux modes habituels de sortie de crise que sont la guerre et la révolution. Deux remarques à cet égard :
1/ Ce n’est sans doute pas par pure rhétorique que le Président Macron a appelé à la guerre dans son discours de mars 2020 : son livre pour accéder au pouvoir en 2017 s’intitulait Révolution !
2/ C’est de la difficulté à penser la « rupture » autrement qu’en catastrophe que provient notre incapacité collective à produire des changements sociétaux (cf. le bel ouvrage sensible Rupture(s) de Claire Marin, ou bien, plus théorique, Quand l’impossible devient certain de Jean-Pierre Dupuy).
Crise économique récurrente, crise des institutions (autorités, églises, partis, syndicats, famille), crise des âges de la vie (adolescence, milieu de vie, crise de couple) prolifèrent depuis 45 ans, comme autant de signes que notre modernité finissante ne sait de quelle nouvelle humanité accoucher…
C'est ainsi que l’actuelle crise épidémiologique mondiale condense les impasses de notre postmodernité à bout de souffle : pathologies de la mobilité, de l’urbanisation et de l’hyper-connexion ; impensés du « chez-soi » ou des rapports entre science et politique ; dilemmes éthiques insondables : qui sauver, qui sacrifier ? Etc. Or, là où la crisis latine suggère l’assaut brutal et inattendu, la krisis grecque se rapporte à la décision nécessaire. L’idéogramme chinois pour « crise », qui circule çà et là sur Internet, est : wei ji. Il reflète la même dualité.
C’est pourquoi nos réactions au virus Covid-19 coïncident avec nos actuelles temporalités de l’urgence, de l’immédiateté et de la simultanéité. D'un côté les temporalités d'un présent qui s’impose, surgit et nécessite de trancher : ce sont celles que nous imposent normalement nos rythmes de travail, et ce sont celles de la pandémie contre laquelle lutter bec et ongles. De l'autre, le « présent réel », c’est-à-dire un présent à habiter, avec la peur au ventre de mourir coronaviré ou celle, toute proche, de perdre un parent, un enfant, un amour, un ami, La première forme de ces deux temporalités du présent, celle qui nous dévore habituellement, qui nous enlise, nous envahit, nous harcèle et nous assomme s’appelle krisis. Et le présent à habiter dont nous avons besoin pour respirer, désirer, rire, jouir, créer, rencontrer, aimer, ce moment opportun à vivre pleinement qui recèle aussi notre peur de mourir, se nomme kairos.
Sortir donc de cette crise, c’est-à-dire la transformer en occasion de « reprise » plutôt que de « répétition » suppose une reconquête. Celle de la présence impérieuse (kairos) contre l’impérialisme du présent (krisis). C’est-à-dire profiter de cette réclusion pour cultiver notre présence pleine et sensible au Monde, à autrui et à nous-mêmes, plutôt que continuer à subir, fut-ce par le télétravail, l’emprise de l’urgence, de l’immédiateté et de la simultanéité.
Festina lente (« Hâte-toi lentement »), disaient les anciens…
Pour en lire plus : https://recherche.uco.fr/chercheur/126/christian-heslon
Christian HESLON
Maître de conférences HDR en psychologie des âges de la vie (UCO-Angers)
Chercheur INETOP-Psychologie de l’orientation (CRTD, CNAM-Paris)
Réseau UNESCO « Lifelong interventions for decent work » (Wroclaw, Pologne & Lausanne, Suisse)
Psychologue du travail-Consultante-Formatrice Santé psychologique au travail et R.S.E
4 ansMerci Christian pour ces précisions essentielles 😊
Chargée de Mission 🧩 Direction Générale France Travail Dépt. Accompagnement et Prestations
4 ansMerci Christian pour ce moment "présent"
Dirigeant d'un cabinet de conseil en ressources humaines
4 ansMerci pour ce texte très clair qui pose le fondement stratégique d'une possible relance. Soyons résolument Kairos dans une compétence collective coresponsable
Professeur des Universités en psychologie (spécialités: travail, carrières, orientation et conseil)
4 ansMerci cher Christian pour ce très beau texte, qui mérite d'être partagé !
Directeur des Opérations Industrielles chez Groupe Legris Industries
4 ansOui, faire de tout aléa une opportunité. Nos sociétés bien organisées, bien rangées, bien policées, nous laissent croire que notre environnement ne nous réserve que de la profusion, l’obstacle serait une injustice, l’aléa une anomalie, la maladie et la fin des malheurs inadmissibles. Mais que serait une vie sans surprise, sans incertitude, sans challenge à relever...? La vie c’est aussi le risque, oser, essayer, se tromper, recommencer, apprendre tout le temps. Cette situation est l’occasion de renouer avec notre altérité et apporte la dynamique réjouissante de chaque jour. Bravo Christian. Votre message ré oxygène l’atmosphère « confinée « (!) du moment !!!