L’économie et ses rouages qui coincent… L’aviez-vous vue comme cela ?

L’économie et ses rouages qui coincent… L’aviez-vous vue comme cela ?

Avant de commencer, une petite colle : sachant que dans l'image ci-dessus toutes les roues dentées sont solidaires de l'axe qui les porte, le système peut-il tourner ?

Les humains sont non seulement nombreux, mais ils ont une force de travail considérable. Tellement puissante qu’elle est en phase de détruire la planète. Elle est capable de produire des biens et des richesses bien au-delà des besoins, bien au-delà du raisonnable.

Alors comment expliquer qu’une grande partie d’entre eux restent sans travail, et sans ressources alors que quelques milliardaires possèdent plus que la moitié des richesses connues ? Peut-on seulement s’y résoudre ?

L’économie dans son ensemble n’est pas un sujet facile, et l’on a parfois l’impression que les spécialistes qui s’en réclament font dans la divination. Nos semblables sont pourtant capables de concevoir des choses très complexes, comme des circuits électroniques où tout se passe de manière parfaitement synchronisée. Mais lorsqu’il s’agit de régler les échanges entre ces êtres qui semblent imprévisibles et pas toujours rationnels, c’est une autre histoire.

Au moment où l’on commence à s’effrayer d’un possible effondrement de tout un échafaudage financier, un retour à une économie simplifiée, localisée permettra peut-être de revenir aux fondamentaux. Avant de s’y risquer, et pour éviter de faire en miniature ce qui se produit à grande échelle, peut-être est-il bon de mettre un peu son nez dans les rouages des échanges économiques.

Commençons par le très simple et avançons progressivement.

Au degré zéro de l’organisation, se trouve l’économie de subsistance la plus élémentaire.

Chaque individu agit pour son propre compte en utilisant des ressources pour satisfaire ses besoins - et au passage, crée le plus souvent des déchets.

Figure 1

Illustrons l’activité comme des courroies passant sur des poulies dont la rotation représente l’activité quotidienne de chaque individu. Dans ce schéma élémentaire, chacun dispose d’une liberté totale, mais n’est pas en sécurité du fait que ni lui, ni même le petit groupe auquel il appartient, ne peut satisfaire de façon certaine l’ensemble de ses besoins fondamentaux : se nourrir, s’abriter, se soigner, s’instruire, se protéger. C’est le nécessaire de base, mais il ne possède pas toutes les compétences.

Donc même dans une économie élémentaire, la coopération est nécessaire. Chacun y trouve des contraintes, mais assure mieux sa sécurité.

Le schéma suivant (figure 2) illustre en fait l’organisation sociale qui repose sur la division du travail. Les contraintes de survie diminuent, les contraintes sociales augmentent, et la confiance dans l’autre est nécessaire, ce qui suppose aussi le respect de règles.

Les échanges, lorsqu’ils sont libres, se règlent d’eux-mêmes de sorte que les biens et services échangés sont en principe d’égale valeur. Ils sont en permanence l’objet d’arbitrages selon des principes bien connus d’offre et demande et sont donc soumis en permanence à un processus d’auto-régulation qui peut toutefois être perverti. On peut trouver dans ce qui s’échange, de l’essentiel qui correspond aux besoins vitaux, et du superflu ou seulement des biens et services non essentiels. Dans un cas et dans l’autre, les possibilités d’arbitrage sont très différentes. Nous reparlerons des effets des prises de valeur phénoménales qui peuvent intervenir de manière conjoncturelle (phénomènes climatiques par exemple) ou organisée, notamment par des manœuvres de spéculation. En attendant, considérons le cas le plus sain dans lequel les échanges se font à valeurs égales.

Figure 2

Mais toutes les tâches à accomplir ne sont pas de même nature – matérielles ou immatérielles, très spécialisées ou peu spécialisées… et pour satisfaire les besoins de tous les individus, il est nécessaire que dans un domaine particulier, certains produisent beaucoup plus qu’ils ne consomment alors que d’autres consomment bien plus qu’ils ne produisent. À titre d’exemple, un jardinier fournit les légumes pour tout le monde, et ne mange que sa part. Un comptable – qui n’est pas moins utile - ne « produit » pas à proprement parler, mais il est censé consommer autant.

Figure 3

Partant du principe que toutes les contributions à la vie sociale donnent droit à contrepartie, et que le simple troc n’est pas gérable, le système se double d’une monnaie dont chaque unité. vaut une part de contribution.

En réalité, les groupes qui s’échangent travail et services ne sont pas que deux, ils portent sur des activités diverses se subdivisent, s’imbriquent. On peut les considérer à différentes échelles, d’individu à individu, d’entreprise à entreprise, de région à région, de pays à pays, mais quelle que soit la façon de les considérer, on peut raisonner sur la base de mécanismes comparables. Tant que les échanges sont équilibrés, le système n’est en rien limité.

Figure 4

Le profit

Comme on peut le voir sur la figure 4, si le groupe 1 est très efficient – un petit nombre d’individus produisent beaucoup, il est logiquement avantagé par rapport au groupe 2 en ce sens qu’il y aura plus d’argent pour chaque personne.

Figure 5

Cette caractéristique enviable présente le risque qu’une entité particulière – collectivité territoriale, actionnaires, négociants...- qui disposent de droits juridiques adéquats, s’interposent dans le circuit pour en tirer profit.

La figure 5 illustre le mécanisme de prélèvement d’une fraction du flux monétaire. À mesure que l’argent circule, la boucle de profit s’allonge.

Voyons à présent l’effet d’une telle intervention sur le système entrevu précédemment (figure 6).

Figure 6

Laissons de côté le cas de la redistribution sociale que nous examinerons ensuite. Intéressons-nous aux prélèvements qui entrent dans le cadre du profit. Nous voyons qu’à chaque rotation de nos « poulies », de l’argent va s’accumuler dans la boucle des profits. De l’autre côté, la quantité d’argent échangé va se raréfier à moins que l’on en ajoute continuellement. À défaut, le système est bloqué.

Trois questions se posent alors :

1 - comment le système peut-il s’adapter pour pouvoir continuer à tourner ?

2 - que devient l’argent du profit ;

3 - comment recharge-t-on ce qui vient à manquer dans le circuit des échanges.

Pour le premier point, le système ne peut continuer à tourner que si sa géométrie s’adapte en continu. En particulier, le groupe 1 doit devenir un peu plus rentable à chaque rotation, en conservant la même production avec de moins en moins de monde. Mais l’on sait où cette dérive aboutit puisque toute amélioration de la rentabilité a ses limites.

En réponse à la deuxième question, il faut envisager trois cas de figure :

- l’argent est utilisé pour rémunérer une activité particulière au sein de la société. C’est le moindre mal, et ce peut aussi être utile s’il s’agit de favoriser cette activité par rapport aux autres, ou éviter à un groupe plus vulnérable de tomber dans la pauvreté. Alors que les valeurs en jeu dans les échanges sont typiquement calées sur les désirs, d’une manière générale, certaines activités peuvent être jugées utiles même lorsque le désir intervient peu – ce peut être le cas de ce qui concerne par exemple l’éducation, l’assainissement, l’écologie… Si donc l’argent est réinjecté dans un circuit d’échanges, il ne s’accumule pas et ne crée pas de déséquilibre global.

- l’argent est placé sur du patrimoine. C’est très souvent le cas, et cela peut être lourd de conséquences. Les recherches d’acquisitions en ce domaine a pour effet de faire grimper les prix. Davantage d’argent s’applique sans modification du bien en lui-même, à sa valeur spéculative : œuvres d’art, terrains, biens immobiliers, denrées sur les marchés à terme, valeurs mobilières… on en connaît les dérives qui vont parfois jusqu’à l’extravagance. L’effet de ces placements peut être dévastateur lorsque les objets de spéculation englobent des biens qui peuvent être considérés comme vitaux pour une part de la population. Les arbitrages censés aboutir à l’équilibre des valeurs d’échange s’en trouvent complètement faussées, le cas limite étant le chantage au logement, à la santé, à la survie même.

Le patrimoine acquis devient la cause d’un nouveau prélèvement : dividendes, loyers… On en vient au rôle du capital qui caractérise le système économique dans lequel on baigne.

- l’argent est prêté. On en vient de ce fait au point 3. Car si le profit entraîne en contrepartie la raréfaction de l’argent dans le circuit des échanges, le manque qui en résulte a besoin d’être compensé pour que le système continue à tourner. Le prêt est donc l’un des moyens qui va permettre de remettre de l’argent sur le brin supérieur (pointillés) qui a tendance à se distendre. Si tout le profit était ainsi prêté, et si le prêt se faisait à taux zéro, le système ne serait pas bloqué, mais aurait cependant une particularité inquiétante : les sommes prêtées s’ajouteraient les unes aux autres à chaque rotation, et au bout du compte, la totalité de l’argent appartiendrait aux faiseurs de profit et serait simplement « prêtée au système », tout simplement parce que tout élément de monnaie passée par la case « profit » est marqué comme propriété de celui qui l’a réalisé1.

Le pire n’est pas encore atteint à moins que nous n’évoquions l’intérêt. En effet, si les montants accumulés par le profit sont prêtés avec intérêt annuel, cela constitue un nouvel outil de prélèvement qui vient s’ajouter et aggrave encore la dérive du système.

La solution du point 3 peut aussi être un grand classique : la « planche à billets ». Puisqu’il manque de liquidités pour faire que le système se décoince, il faut en injecter. Cela se fait de différentes façons. On peut évidemment penser à la monnaie que peuvent émettre les banques centrales. Ce n’est pas l’essentiel.

La première source d’argent vient des banques. Celles-ci prêtent en réalité beaucoup, beaucoup plus que ce que permettrait la simple épargne des déposants. Et cet argent créé par un simple jeu d’écriture doit cependant être remboursé. L’objet du prêt sert le plus souvent à l’achat d’un bien consommable, ou qui, en tout cas, se dégrade dans le temps, et à terme, l’achat doit être renouvelé.

Si notre système arrivait en « régime de croisière », la création monétaire – essentiellement de la dette – servirait juste à compenser la prise de valeur du patrimoine durable (non consommable)2. Mais cette prise de valeur croît sans cesse. Pour la compenser, les banques doivent donc prêter de plus en plus. À défaut de cette croissance de la dette, le système se bloque. Il n’y a donc pas de régime de croisière pour ce dispositif instable. Cette instabilité que de nombreux économistes appellent de leurs vœux comme le Graal du succès économique, c’est la sainte Croissance. Elle n’a pas réellement d’intérêt sauf à savoir à quoi elle est due et à qui elle profite. On sait en tout cas qu’elle ne profite pas à la planète, pas davantage au particulier lambda qui voit s’éloigner la possibilité d’acquérir un patrimoine de moins en moins accessible.

On sait qu’un arbre ne grimpe pas jusqu’au ciel. Alors comment ne pas voir que notre économie qui creuse les déséquilibres est seulement condamné à la dérive ? Seule la théorie des chaos nous indique la solution de la fin.

Peut-on retrouver un peu d’optimisme ?

L’analyse qui vient d’être faite plaide en défaveur du profit : son fonctionnement dans un monde fini est impossible à défendre. En fait, le système est vicié chaque fois que l’argent s’accumule. On comprend mieux les raisons qui ont fait que dans la plupart des traditions, depuis des siècles, la notion de prêt avec intérêt était tout simplement bannie.

On ne peut pourtant pas condamner le principe de l’impôt, ce prélèvement à même de financer des tâches d’intérêt général, ni culpabiliser le négociant qui prend sa « marge ».

On ne peut pas interdire non plus le négoce au niveau international. Le monde étant ce qu’il est, peut-il vraiment être question de fermer les frontières et de fonctionner an autarcie ? Mais peut-on commercer avec des pays qui ont encore du chemin à faire pour rejoindre les standards occidentaux ? Si le coût de la vie est moins élevé d’un côté, il est logique de taxer les transactions en provenance de ce pays. Mais pour que le système tourne sans se bloquer, il faut subventionner avec le même taux les transactions qui s’opèrent dans l’autre sens (figure 7). Cela revient en fait à respecter le les cours différents de deux monnaies distinctes. En respectant cela, le pillage d’un pays qui entraîne le chômage dans l’autre n’est plus possible.

Figure 7

L’injustice du monde n’est pas fatale, la pauvreté non plus. Il reste à trouver un modus vivendi qui préserve les ressources de la planète tout en permettant de satisfaire les besoins vitaux des humains, et plus si l’envie s’en mêle.

Pour aller plus loin

Le « système », tel qu’il a été présenté, est une forme basique des échanges facilités par une mesure comptable – la monnaie – en tant que simple mesure d’équivalence. Mais une équivalence qui n’a pas d’étalon et acquiert de ce fait une valeur élastique, spéculative. Cette incertitude sur la valeur, si elle existe déjà pour des biens tangibles, l’est davantage encore pour les services et d’une manière générale tous les biens immatériels. Par exemple des droits en propriété intellectuelle peuvent être vendus et l’argent reconverti en appartement. Les planches présentées doivent donc être vues comme de géométrie mouvante, ce qui en rend l’interprétation bien plus subtile et renvoie à la complexité du système économique réel.

On en vient au rôle à la fois utile et pervers du capital.

- Utile parce que les amas financiers permettent de mettre en œuvre de gros moyens pour mettre en place les outils de la production de masse, pour parvenir à mener des recherches scientifiques coûteuses, permettre des avancées technologiques…

- Pervers lorsque le détenteur prétend « faire travailler son argent » Le revenu d’actions, le profit des loyers après déduction des charges, c’est effectivement comme si le patrimoine travaillait puisqu’il perçoit une rémunération en échange de sa seule existence. Dans cet esprit, le capital offre un service. De fait, le détenteur qui tente une aventure industrielle prend un risque, et ce risque a effectivement un rôle utile qui vaut rémunération. Mais dans quelle proportion ?

- Pervers aussi lorsque le patrimoine en arrive à mettre la main sur les conditions d’existence vitales. Les échanges économiques peuvent tourner en une forme de chantage qui fausse complètement les valeurs d’échange. De ce point de vue, l’adoption d’un revenu de base qui garantirait l’accès à un minimum vital permettrait sans doute d’assainir le marché.

Ce petit travail qui se veut « pédagogique » aura néanmoins atteint son objectif s’il permet de mieux comprendre :

- que l'argent lorsqu’il s’accumule permet d’acquérir des biens, jusque dans le domaine public, et donc s'accaparer des droits sur le travailleur, pour ensuite lui louer ou lui revendre ce dont il l'a dépossédé. Et ainsi de suite.

- que le système ne survit que par une fuite en avant d'endettement dont la masse croissante d'intérêt est illusoirement assumée par l'inflation d'une part, (qui appauvrit les utilisateurs de la monnaie), et la croissance économique forcée (qui asphyxie la planète) ;


1 On mesure ici l’ineptie de la théorie du « ruissellement » qui voudrait faire croire que l’enrichissement des riches finirait par enrichir aussi les pauvres.

2 Et nous avons tous en tête à la fois les valeurs incroyables attribuées lors de la vente à des toiles d’artistes nomenclaturés et la valeur monstrueuse de la dette.

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