Les écoles et les établissement scolaires aujourd’hui, dernier atout de l’École ?

Les écoles et les établissement scolaires aujourd’hui, dernier atout de l’École ?

Si la massification du système scolaire est un fait incontestable, on ne peut pas dire qu’il en soit de même de sa démocratisation. Les résultats du PISA 2022 nous l’ont une fois encore montré : en France, le déterminisme social débouche souvent sur un déterminisme scolaire. Nouveauté du cru 2022, le nombre de jeunes français de 15 ans considérés par ce programme comme en réussite a sévèrement chuté. C’est très probablement à l’aune de ce dernier résultat qu’il faut comprendre l’origine du « choc des savoirs » voulu par le ministre de l’éducation Gabriel Attal, lui-même sous le choc du PISA 2022[1].

 

Il serait bien présomptueux ici d’écrire ce qu’il conviendrait de faire. Aussi nous contenterons-nous de dégager quelques pistes de réflexion. Commençons par rappeler quatre choses : les contraintes budgétaires, le poids de la dette publique et celui des pensions dans la fonction publique sont énormes et conditionnent donc, pour partie, la marge de manœuvre politique ; nous vivons une compétition mondiale qui requiert la formation d’une élite efficace, diverse et adaptée, répondant aux exigences présentes et, si possible, futures de cette compétition comme à celle des enjeux mondiaux ; beaucoup des métiers de demain n’existent peut-être pas encore et nécessiteront une grande capacité d’adaptation, de même que beaucoup d’autres disparaîtront peut-être, notamment dans le secteur tertiaire ; l’homo numericus, pour reprendre le titre d’un livre de Daniel Cohen, est en devenir et nos repères traditionnels s’en trouvent bouleversés.

 

A la fin de l’année 2023, un « choc des savoirs » a donc été décrété afin de « réarmer » l’École. Les plus anciens de la maison ont une nouvelle fois déclaré : « Il est urgent d’attendre ! ». La disparition, à la rentrée scolaire 2024, de l’éphémère « heure de soutien et d’approfondissement » en classe de 6ème, sans même avoir évalué son niveau d’efficacité et après une seule année d’existence, en fournit une parfaite illustration. En effet, trop de politiques se sont succédé, l’une chassant l’autre, sans que l’on sache vraiment toujours ce qui avait fonctionné ou non, lassant un peu plus à chaque fois ceux qui devaient les appliquer. On peut même se demander si l’État a encore les moyens voire la volonté de piloter l’École. Autrement dit, l’échelon national est-il encore le plus pertinent dans la perspective du changement dans et de l’École ?

 

En effet, face à l’impuissance de l’École à prendre en charge tous les élèves et à les faire progresser, ne faut-il pas davantage décentraliser et/ou déconcentrer afin de mettre écoles et établissements scolaires au cœur du système ? Le constat sur ces vingt dernières années est alarmant : notre système éducatif est de moins en moins performant. Ainsi, peut-on encore faire semblant de croire à ou de brandir à tout-va une « égalité des chances » alors qu’on sait bien que la trajectoire scolaire est, hélas, de plus en plus liée à son lieu de résidence et à son milieu social ? Bien sûr, tout n’est pas de la seule faute ou responsabilité du système scolaire : tant s’en faut ! C’est bien pour cela que la question de la pertinence de l’application uniforme d’une politique d’éducation et d’instruction sur tout le territoire doit se poser.

L’objection de « l’égalité républicaine » ne manquera pas alors d’être invoquée. L’égalité n’implique pas l’uniformité ! La centralisation du pouvoir politique, de la conception à l’application d’une décision politique, et le parisianisme des élites dirigeantes, ne sont-ils pas devenus des obstacles à toute « refondation » de l’École ? Autrement dit, il faut s’interroger sur les différentes possibilités d’évolution de l’École : conserver le système éducatif actuel, en essayant de l’améliorer ; confier plus d’initiatives et de responsabilités aux échelons inférieurs ; laisser une marge de manœuvre, sinon totale du moins très grande, aux écoles et aux établissements scolaires : la fameuse « autonomie ».

Source de multiples innovations pédagogiques, lieu de vie des élèves et lieu par essence de l’acte pédagogique, les écoles et les établissements scolaires ont, encore aujourd’hui, un fonctionnement très uniforme. Que peut-on attendre de leur autonomie, à supposer qu’elle existe vraiment et qu’elle ne soit pas symbolique ? Jusqu’où faudrait-il la pousser et avec quels moyens ? Quelles conséquences cela aurait-il sur la carte scolaire, les politiques de ressources humaines et les inégalités territoriales ? Quel statut administratif pour l’école maternelle et élémentaire ainsi que leurs directrice et directeurs ? Enfin, quels impacts concrets dans les classes, sur les professeurs et auprès des parents ?

Evidemment, il serait vain de parler d’autonomie sans y adjoindre une nécessaire et incontournable culture de la responsabilité et de l’évaluation. Responsabilité de qui ? Evaluation de quoi ou/et de qui ? On le voit, beaucoup de questions se posent, avec autant de réponses à apporter, qui ne peuvent venir qu’après un débat d’idées, sans que les idéologies partisanes arrivent à prendre le dessus, et, surtout, avec le souci de trouver des solutions dans l’intérêt de notre jeunesse. Pour y répondre, il serait évidemment nécessaire d’examiner aussi ce qui se fait dans d’autres pays.

La malheureuse expression de l’ancien ministre Claude Allègre, prononcée en juin 1997, « Il faut dégraisser le mammouth ! », a plombé pour longtemps toute velléité de ses successeurs de s’attaquer à l’administration du ministère de l’éducation nationale et a laissé croire à l’opinion publique qu’il était suradministré. Les effectifs de ce ministère donnent effectivement le vertige et il a, à plus d’un titre, bien des points communs avec l’Armée rouge. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, on s’apercevra que le premier cercle des corps d’encadrement, celui des personnels d’inspection et de direction, n’est pas très étoffé. C’est là un maillage territorial pourtant essentiel qu’il conviendrait de renforcer pour accompagner de façon bien plus rapprochée les équipes des écoles et des établissements scolaires. Il faudrait également que certains professeurs, je dis bien « certains », cessent enfin de considérer qu’ils sont omniscients, exercent une profession libérale et qu’ils n’ont de compte à rendre à personne.

Oui, c’est peut-être en plaçant les écoles et les établissements scolaires au centre du jeu et en faisant bien davantage confiance aux « acteurs de terrain », comme on dit, en les responsabilisant et en mobilisant leur intelligence, que des solutions efficaces et pérennes seront trouvées. Le président Georges Pompidou déclarait en son temps : « Arrêtez d’emmerder les français ! ». Pour le paraphraser, « arrêtons d’emmerder les professeurs avec une réforme chaque année ! ». Recentrons-nous ! Si un seul chantier devait être ouvert pendant la fin de cette mandature, ma conviction est qu’il devrait être celui de la gouvernance du système éducatif.


[1] Les mesures qu’il comptait prendre ont d’ailleurs été annoncées le 5 décembre 2023, le jour-même de la parution officielle des résultats du PISA 2022.

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