L' Economie Politique
Texte inséré à la demande de Madeleine Grawitz sous l’intitulé Section 9 « Economie Politique » du Chapitre 4 « Les différentes sciences sociales » de la 11ème édition de son ouvrage « Méthodes des sciences sociales » Précis Dalloz, 1993
Section 1 - Problématiques
Quatre orientations distinctes, relatives à l'objet de la connaissance économique et à ses méthodes, ont prévalu depuis l'avènement de l'Économie politique en tant que discipline scientifique autonome, au milieu du XVIIIème siècle en France, sous l'impulsion de l'école physiocratique.
La première, qui trouve sa source dans les œuvres des économistes classiques anglais, notamment d'Adam Smith et de David Ricardo, lie l'analyse de la formation d'un excédent net de richesses au cours d'une période donnée, à des hypothèses théoriques fondamentales sur la place et le rôle des différentes catégories d'agents économiques dans la production, places et rôles qui fondent leur droit à une part déterminée du surplus. Cette orientation théorique se perpétue aujourd'hui dans l'œuvre de Piero Sraffa (1960) et de ses adeptes .
La seconde orientation théorique, plus attentive aux formes historiques et aux singularités nationales qui président à l'exercice des activités économiques, s'intéresse aux faits d'échange, onéreux ou non, qui accompagnent les transformations de la division sociale du travail. Illustrée au XIXème siècle par les travaux de l'école historique allemande , cette orientation se perpétue avec une inflexion significative de la réflexion vers l'analyse des cadres sociaux, notamment institutionnels, dans les travaux de l'école institutionnaliste aux États-Unis. En France, l'oeuvre de S.C. Kolm (1984), en dépit de son apparent syncrétisme, porte la marque d'interrogations qui l'inscrivent nettement dans ce courant.
La troisième orientation théorique, dominante aujourd'hui dans la littérature économique anglo-saxonne, tend à se confondre avec l'apparition et le développement de l'école néo-classique : la préoccupation fondamentale de ce courant consiste, en effet, dans l'analyse des comportements individuels, supposée réductible à la mise en oeuvre d'une axiomatique des choix. En outre, prenant principalement appui sur les préceptes de l'individualisme méthodologique, entrevus par Carl Menger (1883 ») et codifiés par Joseph Schumpeter , ce courant postule qu’on ne peut rendre compte de la genèse des phénomènes sociaux et de leur signification qu’en référence aux expériences mentales des individus.
La quatrième orientation a toujours exprimé les exigences d’une réflexion critique sur les conditions sociales dans lesquelles se constitue et se développe la connaissance économique. Inspirée de l'œuvre de Karl Marx , cette orientation fonde sa critique de la prétention à l'objectivité du savoir économique sur l'analyse des conditionnements idéologiques et des facteurs historiques qui gouvernent la mise en place des rapports sociaux de production et d'échange. Outre les courants d'inspiration marxiste, cette orientation se manifeste aux États-Unis sous la forme d'une école radicale et, en France, dans un regroupement intitulé Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (M.A.U.S.S.) . Ainsi richesse, échanges, choix et rapports sociaux constituent les thèmes fondateurs de l'économie politique dans sa dimension tant positive que critique .
§1 - L'école classique ou l'intemporalité des structures
Parce qu'ils lient la compréhension des phénomènes de production à des hypothèses déterminées sur la répartition, les économistes classiques parviennent à montrer l'existence d'une causalité structurelle gouvernant aussi bien les évolutions à long terme du système économique que ses formes d'extension dans l'espace. Mais cette causalité structurelle reste historiquement indéterminée. Si Adam Smith montre que la structure des qualifications de la main-d'œuvre est un élément décisif du processus d'accumulation des richesses et dépend fondamentalement de la division du travail, il ne parvient pas à rendre compte de la genèse historique des catégories de travail productif et de travail improductif. Elles constituent pourtant la base logique du processus d'accumulation du capital, objet de l'analyse. Dès lors, des lois économiques réputées universelles et immanentes voient en réalité leur validité suspendue aux conditions dans lesquelles le capital a été historiquement accumulé.
§2 - De l'école historique allemande aux courants institutionnalistes américains
Les fondateurs de l'École historique allemande, Knies, Roscher, Hildebrandt et les chefs de file du courant institutionnaliste aux États-Unis tels T. Veblen, W.C. Mitchell, R.C. Commons, C. Ayres partagent la même critique fondamentale de l'école classique : la remise en cause du postulat d'homogénéité du comportement des sujets économiques, l'homo œconomicus. Alors que ces deux écoles se donnent pour objectif l'étude de l'évolution des économies nationales, en tant que processus historique, leurs instruments d'analyse diffèrent. La compréhension de la genèse et du rôle des institutions occupent une place privilégiée dans l'explication chez les institutionnalistes, alors que l'école historique allemande se borne à une interprétation ne suggérant aucune causalité particulière. Car C. Menger (1883) le souligne : « Nous obtenons l'intelligence historique d'un phénomène en recherchant sa genèse individuelle, c'est-à-dire en nous représentant les circonstances concrètes au milieu desquelles il a pris naissance avec ses caractères propres [...] Nous obtenons l'intelligence théorique d'un phénomène concret lorsque nous l'envisageons comme le cas particulier d'une certaine loi de succession ou de coexistence des phénomènes... » .
En France, de F. Simiand à F. Perroux, en passant par L. Brocard, J. Marchal, G. Pirou, une lignée d'économistes hétérodoxes constitue une réplique continentale de l'institutionnalisme américain.
§3 - L'école néoclassique : une genèse économique des phénomènes sociaux dépourvue d'ancrages structurels
Si l'interprétation des fondements épistémologiques de l'œuvre du fondateur du marginalisme autrichien, Carl Menger, fait actuellement l'objet de discussions passionnées , il n'en reste pas moins que la théorie néoclassique conserve aujourd'hui deux caractéristiques fondamentales léguées par le marginalisme autrichien. A un principe de rationalité, sorte de principe synthétique a priori, s'ajoute, une construction génétique des phénomènes sociaux fondée sur les préceptes de l'individualisme méthodologique. Le principe de rationalité permet cette rupture épistémologique suivant laquelle von Mises déclare que la théorie subjective de la valeur « a transformé la théorie des prix de marché en une théorie générale du choix humain » . Quant à l'individualisme méthodologique, il permet selon F. von Hayek (1953), de mettre au jour le processus de constitution des phénomènes sociaux : « De ce que sont les conceptions et les opinions des individus qui nous sont directement connues et forment les éléments à partir desquels nous devons construire, pour ainsi dire, les phénomènes plus complexes, découle une autre différence importante entre la méthode des disciplines sociales et celle des sciences de la nature. Dans les premières, les attitudes individuelles sont des éléments familiers et nous essayons par leur combinaison de reproduire des phénomènes complexes, les résultats des actions individuelles, qui nous sont beaucoup moins connus. Cette démarche conduit souvent à découvrir dans des phénomènes complexes des principes de cohérence structurelle qui n'avaient pas été, et sans doute, ne pouvaient être établis par l'observation directe ». Ce qu'omet de dire F. von Hayek, c'est précisément l'incapacité de la théorie néoclassique à faire émerger une signification quelconque, susceptible de rendre intelligible les principes de cohérence structurelle qu'elle découvre. Faute d'une théorie des relations et des niveaux hiérarchisés de la réalité, la théorie néoclassique produit des résultats souvent ingénieux, mais inintelligibles, sa méthode même excluant toute démarche théorique susceptible de générer un sens, au-delà de l'expérience individuelle.
§4 - Les tendances critiques : marxistes, radicales et anti-utilitaristes
La spécificité de la critique marxiste de l'économie politique réside dans ses fondements matérialistes et dialectiques. C'est, en effet, matérialisme dialectique qui permit à la critique marxiste, seule d'abord, en concurrence avec d'autres théories de la société aujourd'hui, de rendre compte de l’intelligibilité des phénomènes sociaux et d'en livrer la signification au regard du processus historique d'évolution des sociétés. Joseph Schumpeter a for¬tement souligné cette originalité de l'œuvre de Marx. Pour lui : « Marx fut le premier économiste de grande classe à reconnaître et à enseigner systé¬matiquement comment la théorie économique peut être convertie en ana¬lyse historique et comment l'exposé historique peut être converti en his¬toire raisonnée » . Cette performance est directement liée à la théorie marxiste des classes sociales « l'instrument analytique qui, en reliant l'in¬terprétation économique de l'histoire aux concepts de l'économie de profit, regroupe toutes les données sociales et fait converger tous les phénomènes » .
Néanmoins, les deux autres tendances critiques qui partagent avec l'analyse marxiste la préoccupation fondamentale d'élucider l'influence des rapports sociaux sur les formes et le contenu de l'activité économique, se séparent de celle-ci à d'autres égards. Ainsi le mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales souscrit-il vraisemblablement à cette affirmation de Marc Guillaume (1989) selon laquelle « en dépit de son ambition d'être une explication globale de l'histoire, le marxisme en substituant à la rationalité d'un sujet individuel celle d'une classe sociale, n'a produit qu'un simple déplacement à l'intérieur du champ utilitariste » . Le courant radical aux États-Unis, initialement regroupement hétérogène inspiré de l'anarchisme libertaire et de divers courants marxistes, bénéfice aujourd'hui d'une reconnaissance académique qu'il doit à la manière dont il réintègre la dimension politique des problèmes économiques et dont il promet des réponses appropriées à des questions sociales controversées .
Section 2 - Les principaux débats de méthode depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Il est frappant de constater le retour cyclique d'un diagnostic de crise de la pensée économique. Formulé au seuil des années 50, par Henri Denis (1951) et Jean Marchal (1951), ce diagnostic renvoyait alors à la crise d'un modèle de la connaissance scientifique emprunté aux sciences de la nature, modèle opposé à l’affirmation de l’économie politique comme science sociale. A la fin des années 70, les fondements de la connaissance économique font à nouveau l'objet d'une remise en cause sous la double pression du constat de l'incapacité des théories économiques à fournir une explication de la crise économique, et de la dégénérescence des programmes de recherche, prenant appui sur les principes de l'individualisme méthodologique. Au milieu des années 80, enfin, dans un contexte où s'affirment en philosophie des sciences des conceptions nouvelles des critères et des formes de développement de la connaissance, on reproche à l'économie politique sa tendance marquée au syncrétisme. Celle-ci tendrait à masquer la crise de l'exigence d'unification d'un savoir désormais morcelé et à élu¬der la réflexion critique nécessaire pour surmonter le net appauvrissement sémantique de la discipline depuis la révolution keynésienne.
a) L'économie politique, science de l'homme et de la société.
Henri Guitton (1951) a bien circonscrit les enjeux des débats que suscite l'abandon du modèle des sciences physiques sur lequel l'économie politique s'était constituée, au profit de « cette ambition contemporaine qui veut faire de l'économie politique [...] une science dont il n'existe encore aucun modèle, une science originale [...] Le sens de l'action humaine conduit à une nouvelle conception de la science [...] C'est à une nouvelle union, que l'on est amené, celle qui doit rapprocher dans une discipline commune la connaissance et l'action, la science et la conscience » . Cette recherche des fondements de l'économie politique comme science sociale, conduit à deux interrogations, l'une relative à la spécificité des études du comportement humain et des faits de société propres à l'économie politique, par rapport aux connaissances et aux méthodes de l'histoire et de la sociologie ; l'autre relative au statut des mathématiques dans l'élaboration d'une discipline économique, envisagée comme savoir opérationnel en vue de l'action. Sur le premier point, les économistes français acceptent l'opinion exprimée par Jean Marchal selon laquelle l'économie est politique. Il convient d'ajouter à la définition classique de l'économie comme science de l'administration des ressources rares, en vue de la satisfaction des besoins humains, que « les hommes sont amenés :
· à coordonner les moyens dont ils disposent d'une certaine façon au sein des institutions existantes ;
· à modifier ces institutions elles-mêmes, soit en agissant isolément, soit en se regroupant, soit en réclamant l'intervention de cet organisme politique qu'est l'État ;
· à transformer, dans une certaine mesure, les besoins sous la pression des résistances que peut opposer le milieu naturel ou social à leurs efforts d'aménagement » .
L'évolution des mathématiques elles-mêmes permettra à l'économie politique de concilier les exigences de la connaissance et de l'action. En effet, grâce aux mathématiques nouvelles, il est désormais possible de s'affranchir du seul recours à la statistique et à l'analyse fonctionnelle, et de découvrir que le règne de la nécessité ne se confond pas inévitablement avec celui de la quantité. La théorie des jeux constitue à cet égard un exemple des changements que suscite dans la réflexion économique l'emploi des « mathématiques de l'homme ». Cette théorie, ainsi que le rappelle C. Lévi-Strauss « participe simultanément de deux grands courants de pensée [...] : d'une part, l'économie pure ou qui se veut telle, portée à identifier l'homo œconomicus avec un individu parfaitement rationnel ; de l'autre, l'économie sociologique et historique telle que l'a créée Karl Marx, qui veut être d'abord la dialectique d'un combat. Or les deux aspects sont également présents dans la-théorie de von Neuman. Pour la première fois, par conséquent, un langage commun est mis à la disposition de l'économie dite bourgeoise et capitaliste, et de l'économie marxiste ».
b) L'impuissance face à la crise et la recherche de méthodes différentes de celles de l'individualisme méthodologique.
Magistralement analysée par J. Robinson, l'impuissance de l'économie politique à traiter « les grands problèmes que chacun sent être urgents et menaçants » , a été confirmée par le désarroi de la théorie face à la crise économique contemporaine imputable à des questions de technique économétrique et aux limites inhérentes aux principes de l'individualisme méthodologique.
Sur le plan de la technique économétrique, on reproche aux restrictions imposées aux paramètres structurels des modèles d'inspiration keyné¬sienne, de reposer sur des conventions arbitraires dont l'opportunité n'est plus certaine . Faute de fondements théoriques justifiant les procédures d'identification de ces paramètres, les modèles utilisés pour l'élaboration des politiques économiques - et la critique dépasse ici évidemment les seuls modèles d'inspiration keynésienne - perdent tout à la fois pertinence et opérationnalité.
Sur le plan des techniques heuristiques, un double effort s'est manifesté en vue de parer aux rendements décroissants des programmes de recherche appliquant les principes de l'individualisme méthodologique. D'une part, l'étude des comportements individuels s'est désormais inscrite dans un « individualisme institutionnaliste » dont J. Agassi (1975) avait formulé les traits fondamentaux. Ces nouveaux principes semblent aujourd'hui inspirer des œuvres très différentes d'inspiration sraffienne ou néokeynésienne. Ils sont également présents, souvent de façon implicite, dans les analyses qui relèvent de l'économie appliquée, et de disciplines telles que l'économie du travail, de la santé, l'économie urbaine, régionale et rurale. D'autre part, la remise en cause aux États-Unis par l'école behavioriste du comportement de maximisation tel que l'envisage la théorie néoclassique, a permis le développement d'un courant de pensée évolutionniste où les institutions occupent une part privilégiée dans l'analyse et l'explication. En ne confondant plus l'acteur et l'action, les résultats et la logique de comportement, l'école behavioriste a ouvert la brèche aux seules tentatives crédibles d'alternatives à l'individualisme méthodologique.
c) Le pluralisme méthodologique : un consensus mou devant le morcellement d'une connaissance éclatée ?
Beaucoup d'observateurs partagent sans doute le diagnostic de A. Caillé (1989) qui interprète les penchants actuels des économistes théoriciens au syncrétisme, comme le crépuscule de l'économie politique. En réalité, ce syncrétisme constituerait une issue, la seule accessible d'ailleurs, à l'impasse qui vient « de ce qu'elle [l'économie politique] a cru pouvoir s'édifier sur l'hypothèse de la séparabilité du système économique par rapport au système social et sur l'oubli du fait que les grandeurs économiques ne sont jamais que des expressions duales des rapports sociaux » . Hormis le syncrétisme, deux autres voies restent ouvertes : l'une qui ne rétablirait les liens de l'économique et du social, qu'en situant socialement le discours de l'économiste afin de mieux connaître la genèse des arguments qui font autorité et les procédures qui leur assurent cette consécration. Cette forme de « rhétorique économique » a été illustrée par D. Mc Closkey (1985). L'autre voie consiste à réactiver l'analyse de la sémantique économique, et à prôner donc l'avènement d'une méthodologie de l'interprétation. Pour C. Schmidt (1987), la sauvegarde de l'unité de l'économie théorique passe par un contrôle rigoureux des rap¬ports entre domaines d'interprétations des énoncés et formalisation axiomatique de ceux-ci. Ce contrôle est sans doute justiciable d'une méta-théorie de l'économie, c'est-à-dire d'une réflexion épistémologique sur l'acte de connaissance en économie, dont nous ne voyons pour l'instant que les premiers balbutiements.
Section 3 – Ruptures théoriques et renouvellements méthodologiques
§1 - Deux ruptures théoriques majeures
La figure d'un nouveau syncrétisme, unificateur et uniformisant, paraît au demeurant ne pouvoir être aisément conciliée avec l'avènement de deux courants théoriques totale¬ment originaux, c'est-à-dire sans prédécesseurs, à savoir la nouvelle école classique aux U.S.A. et l'économie des conventions en France .
La nouvelle école classique présente trois caractéristiques : elle montre que les marchés atteignent l'état d'équilibre ; elle postule que les agents agissent au mieux de leurs intérêts ; elle suppose un comportement d'anti¬cipation rationnelle qui consiste, en connaissant les lois de probabilité objec¬tives, à tirer le meilleur parti d'informations limitées. De ce fait, c'est en référence aux propriétés de l'état d'équilibre que les fluctuations économiques peuvent être comprises. Celles-ci sont alors suscitées par les réactions des agents à des changements non anticipés des variables qui influent sur leurs décisions. La grande nouveauté de cette théorie réside dans la conception inédite de la politique économique qu'elle développe. Comme l'écrivent R.E. Lucas et T.J. Sargent (1989), il s'agit fondamentalement « de penser la politique économique comme un choix de règles du jeu stables, bien comprises par les agents économiques. C'est seulement dans un tel cadre que la théorie économique servira à prédire les décisions des agents »
Le choix de ces règles du jeu relève-t-il pour autant d'une réflexion purement économique? Si oui, comment en expliciter les enjeux ? D’une certaine manière l'école française de l'économie des conventions, apporte une réponse non ambiguë à ces questions. En effet, pour A. Orléan (1989) il est impossible de construire sur les marchés financiers la représentation régulatrice des anticipations individuelles, puisque par hypothèse celle-ci ne naît pas de l'interaction des comportements individuels . Il faut donc à l'aide des démarches des sciences cognitives construire une telle représentation. Il s'agit d'analyser « les règles, comme dispositifs cognitifs collectifs » et de montrer comment la production de ces règles permet aux interactions interindividuelles de prendre la forme d'un contrat ou d’une organisation (fait matériel) ou d'une représentation sanctionnant la coopération volontaire des individus au sein d'un ensemble. Ainsi, ce qui apparaissait comme une unité élémentaire de l'analyse, l'entreprise en tant qu'organisation, devient le résultat d'une démarche heuristique centrée sur les processus cognitifs grâce auxquels les institutions économiques fonctionnent.
§2 - Les tendances actuelles en méthodologie économique.
Les débats qui scandent l'évolution de la philosophie des sciences ont de nombreux échos chez les économistes et il n'est guère étonnant de les voir s'inspirer des nouvelles tendances de l'épistémologie pour procéder à intervalles réguliers à une évaluation critique de leurs programmes de recherche. Ainsi, à la critique des fondements de la connaissance économique inspirée du positivisme logique à laquelle avait procédé dans l'entre-deux guerres l'américain T.W. Hutchison (1938), ont succédé les réponses opérationnaliste de. P.A. Samuelson (1947), instrumentaliste de M. Friedman (1953) et conventionnaliste de F. Machlup (1978). Alors qu'en France trois ouvrages majeurs s'essayaient à une évaluation bachelardienne (G.G. Granger, 1955), néo-poppérienne (P. Mingat, A. Salmon et A. Wolfelsperger, 1985) et d'inspiration systémique liées aux théories de l'autoorganisation (C. Prou et C. Walliser, 1988) des développements de la connaissance économique au XXeme siècle, les travaux anglo-saxons suivaient d'assez près les tendances de la philosophie analytique. Ainsi aux standards néo-poppériens magistralement illustrés par M. Blaug (1980), répondaient des mises en perspective plus originales avec les ouvrages inspirés de la méthodologie des programmes de recherche de Imre Lakatos, dus à Spiro Latsis (1976) et à Sidney Weintraub (1985). La philosophie anarchiste de la connaissance de P. Feyerabend n'est pas non plus étrangère au pluralisme méthodologique de B. Caldwell (1982, 1984). Un certain éclectisme inspire les recherches conduites par L. Boland (1982), A. Rosenberg (1976) et D. Hausman (1988), contributions parmi les plus vigoureuses et les plus originales de ces dernières années.
Ballottée entre la tentation du syncrétisme et celle du pluralisme méthodologique, l'économie politique peut seulement surmonter les conséquences d'une tendance au morcellement du savoir par un retour aux sources. Celui-ci permettrait de répondre aux exigences épistémologiques contemporaines en considérant cette discipline comme ancrée dans une philosophie politique et tributaire des méthodes des sciences sociales. Un tel retour aux sources implique de substituer une économie politique des acteurs à une économie politique des actes.
Bibliographie
AGASSI (J.) 1975. - « Institutional Individualism », British Journal of Sociology, vol. 26, pp. 144-155.
ALLAIS (M.) 1949. - « L'emploi des mathématiques en économie politique », Metrœconomica.
ATTALI (J.), GUILLAUME (M.) 1974. - L'anti-économique, P.U.F., 240 p.
BARRE (R.) 1950. - « Les critères modernes de la statique et de la dynamique », Revue Économique, n° 2, pp. 185-202.
BARTOLI (H.) 1950. - « La méthode marxiste », Revue d'Économie Politique, pp. 37-72.
BARTOLI (H.)1992. - L'économie unidimensionnelle, Economica, Paris, 528 p.
BETTELHEIM (C.) 1949. - « Économie Politique et Sociologie Économique », Annales E.S.C., pp. 266-278.
BETZ (H. K.) Fall 1988. - « How Does German Historical School fit ? », History of Political Economy, vol. 20, n° 3, pp. 409-430.
BIENAYME (A.) 1987. - « Une Économie Politique pour l'Entreprise », Revue d'Economie Politique, vol. 97, n° 3.
BLAUG, (M.) 1980. - « The Methodology of Economics: Or How Economists Explain ». Cambridge : Cambridge University Press, trad. Economica 1987.
BOLAND (L. H.) 1979. - « Knowledge and the role of Institutions in Economic Theory », Journal of Economic Issues, vol. 13, pp. 957-972.
BOLAND (L. H.) - 1982. - The Foundations of Economic Method, London, Allen and Unwin.
BOLAND (L. H.) - 1989. -The theory of Economic Model building, London, Routledge.
BOLAND (L. H.) - 1991. - « The theory and method of economic methodology », Methodus, vol. 3, n° 2, pp. 6-17.
BOULDING (K. E) 1991. - « What is evolutionary economics », Journal of Evolutionary Economics, vol. 1, n° 1, p. 917.
BOWLES (S.), EDWARDS (R.) 1989. - « Radical Political Economy », volumes 1. et 2, in Schools of thought in economics, tome 8, collection dirigée par M. BLAUG, Edwar Elgar Publishing Limited, 832 pages.
BROCHIER (H.) 1987. - « Les théories économiques sont-elles réfutables ? », Économies et Sociétés, série Œconomia, n° 8.
CAILLE (A.) 1989. - « Le crépuscule de l'Économie Politique », Revue du M.A.U.S.S., n° 3, pp. 73-84.
CALDWELL (B.) 1982. - Beyond Positivism : Economic Methodology in the Twentieth Century. New York, Allen and Unwin.
CALDWELL (B. 1984. - (Editor), Appraisal and Criticism in Economics, Londres, Allen and Unwin.
CUBEDDU (R.) 1985. - « Fonti Filosofiche Delle « Untersuchungen über die Methode der Socialwissenschaften » di Carl Menger, Quaderni di Storia dell'economica politica, Anno III, n° 3, pp. 73-126.
DE ALESSI (L.) 1965. - « Economic Theory as a Language », Quaterly Journal of Economics, vol., pp. 472-477.
DEFALVARD (H.) 1992. - « Critique de l'individualisme méthodologique revue par l'économie des conventions », Revue Économique, vol. 43, n° 1, pp. 127-143.
DEMAILLY (A.), LEMOIGNE (J.-L.) 1986. - (Eds.) Sciences de l'Intelligence, sciences de l’ Artificiel, avec H. Simon, Presses Universitaires de Lyon, collection Science des Systèmes.
DENIS (H.) 1951. - La crise de la pensée économique. P.U.F. Que sais-je, n° 483.
DOLAN (E.) 1976. - (ed.) The Foundations of Modern Austrian Economics. Kansas City : Sheed and Word, 1976.
DOMARCHI (J.) 1948. - « Théorie économique et matérialisme dialectique », Temps modernes, pp. 845-870.
DUFOURT (D.) 1983. - La théorie de la firme comme obstacle épistémologique, in Problématiques et Méthodes en Économie Industrielle, Editions Economica, Paris,pp. 59-66.
DUFOURT (D.) 1992. - « Les relations économie-histoire et le statut scientifique des sciences sociales chez Hicks et Schumpeter », Revue française d'économie, vol. 111, n° 1, pp. 167-214.
EARL (P. E.) 1989. - « Editor Behavioural Economics », volumes 1 et 2, in Schools of Thought in economics, tome 6, collection dirigée par M. BLAUG, Edwar Elgar Publishing Limited.
FAVEREAU (0.) 1987. - « Du bon usage de la logique en méthodologie économique », in Cahiers de l'Association Charles-Gide, Université de Montpellier, vol. 1, pp. 71-92.
FAVEREAU (0.) 1989. - « Organisation et Marché », Revue française d'Économie, vol. 4, n°1, pp. 65-96.
FRIEDMAN (M.) 1953. - The Methodology of Positive Economics, in M. FRIEDMAN, Essays in Positive Economics, Chicago, Chicago University Press.
GARROUSTE (P.) 1985. - Machlup versus Hutchison : La critique des systèmes de prescription méthodologiques comme préalable à l’élaboration de nouveaux programmes de recherche en économie, in La notion de révolution scientifique en Économie, 1er colloque de l'Association Charles- Gide Université de Montpellier, 10 p.
GRANGER (G. G.) 1955. - Méthodologie économique, PUF, Paris.
GUILLAUME et al. 1989 - « La Science Économique en France », Repères n° 74, La Découverte, Paris.
GUITTON (H.) 1951. - L'objet de l'Économie Politique, Paris, Marcel Rivière.
HAUSMAN (D.) 1989. - « Economic Methodology in a Nutshell », The Journal of Economic Perspectives, vol. 3, n° 2, pp. 115-127.
HAYEK (F.) (Von) 1953. - Trad. Scientisme et sciences sociales. Essai sur le mauvais usage de la raison. Réimpression Agora, n° 11, Plon, 1986.
HICKS (J. R.) 1976. - Revolution in Economics, in Method and Appraisal in Economics, Latsis S. (ed.), Cambridge University Press.
HICKS (J. R.) - 1979. - Causality in Economics, Oxford, Basil Blackwell.
HIRSCHMAN (A. D.) 1958. - Trad. 1974, Stratégie du développement économique, Ed. Ouvrières, 246 p.
HUTCHISON (T.) 1938. - The Significance and Basic Postulates of Economic Theory, Reprinted New York, A.M. Kelley, 1960.
JESSUA (C.) 1988. - Histoire de la théorie économique, P.U.F., 576 p.
KARSTEN (S. G.) 1983. - « Dialectics, Functionalism and Structuralism in economic thought », American Journal of Economics and Sociology, vol. 42, pp. 179-192.
KAUFMAN (F.) 1983. - « On the Subject Matter and Method of Economic Science », Economica, vol. 42, pp. 381-401.
KING (J.E.) 1989. - Ed., in Schools of thought in economics, Marxian Economics, volumes 1, 2 et 3, tome 9, collection dirigée par M. Blaug, Edwar Elgar Publishing Limited.
KIRMAN (A.) 1989. - « The Intrinsic Limits of Modern Economic Theory : The Emperor has no clothes », The Economic Journal, vol. 99, pp. 126- 139.
KNIGHT (F.) 1956. - On the History and Method of Economics, Chicago, Chicago University Press.
KOLM (S.C.) 1984. - La bonne économie, La réciprocité générale, P.U.F., Paris.
KOLM (S.C.) - 1984. - Le libéralisme moderne, P.U.F., Paris.
LATSIS (S.) 1976. - (ed.), Method and Appraisal in Economics, Cambridge : Cambridge University Press.
LEVI-STRAUSS (C.) 1954. - « Les mathématiques de l'homme », Bulletin International des Sciences Sociales, vol. 6, n° 4, pp. 643-653.
LUCAS (R.) 1989. - Studies in business cycle theory, M.I.T. Press.
LUCAS (R.), SARGENT (T.J.) 1983. - « Après la macroéconomie keynésienne », Babylone, n° 1, pp. 155-188.
LUNGHINI e altri. 1984. - « La Scienza impropria. Metodi e Usi della teoria economica », Metamorfosi, vol. 8, Milano, Franco Angeli Editore.
MC CLOSKEY (D.) 1985. - The rhetoric of Economics, Madison : University of Wisconsin Press.
MC CLOSKEY (D.) 1991. - « Economic Science. A search through the hyperspace of assumptions », Methodus, vol. 3, n° 1, pp. 6-16.
MACHLUP (F.) 1960. - « Operational Concepts and Mental Constructs in Model and Theory Formation », Giornale degli Economisti, vol. 19, pp. 553-558.
MACHLUP (F.) 1978. - Methodology of Economics and Other Social Sciences, New York, Academic Press.
MALINVAUD (G.) 1973. - « Induction et Science Économique », Journal de la Société de Statistique de Paris, 114e année, n° 4, pp. 266-274.
MARCHAL (A.). 1951-1953 - La méthode scientifique et la science économique, laine 1, tome 2, Librairie de Médicis, Paris.
MARCHAL, (J.) 1951. - « La crise contemporaine de la science économique », Banque, pp. 1-6.
MARCHAL, (J.) 1955. - Cours d'Économie Politique, Paris, Librairie de Médicis.
MENGER (C.) 1883. - Untersuchungen über die Methode der Sozial wissenschaften, Leipzig, 291 p.
MINGAT (A.), SALMON (P.), WOLFELSPERGER (A.) 1985. - Méthodologie économique, Paris : Presses Universitaires de France.
MISES (L. von) 1949. - Human action. A treatise on economics, New Haven, Yale University Press.
MISES (L. von) 1983. - 1960, Epistemological Problems of Economics, Princeton, N.J. : Van Nostrand.
MONGIN (P.) 1984. - « Modèle rationnel ou modèle économique de la rationalité », Revue Économique, n° 1, pp. 9-63.
MONGIN (P.) 1987. - « Le problème du réalisme des hypothèses en économie et dans la science empirique », Économies et Sociétés, série Œconomia, n° 8.
ORLÉAN (A.) 1989. - « Pour une approche cognitive des conventions économiques », Revue Économique.
PALMADE (G.) dir. 1967. - L'économique et les sciences humaines, 2 vol., Dunod.
PAULRE (B.) 1985. - La causalité en économie. Presses Universitaires de Lyon, Collection Science des Systèmes.
PROU (C.), WALLISER Éditions 1988. - La Science Économique. Collection Économie et Société. Editions du Seuil, Paris.
RICKETTS (M.) 1989. - Ed. « Neoclassical Microeconomics », volumes 1 et 2, collection School of thought in économies, tome 3, dirigée par M. Blaug, Edwar Elgar Publishing Limited, 764 pages.
ROBBINS (L.) 1935. - An Essay on the Nature and Significance of Economic Science, 2e ed., Londres, Macmillan.
ROBINSON (J.) 1972. - « The second crisis of economic theory », The American Economic Review.
ROSENBERG (A.) 1976. - Mieroeconomic Laws : A Philosophical Analysis. Pittsburgh: University of Pittsburgh Press.
SALMON (P.) 1987. - « Modèles, théories et arguments en économie Cahiers de l'Institut de Mathématique Économique, n° 100, Université de Dijon, 27 pages.
SALMON (P.) 1976. - « La méthode hypothético-déductive et les raisonnements eu termes de " comme si" en économie. Illustration par la théorie moderne du marché financier », Revue d'Économie Politique.
SAMUELS (W. J.) ed. 1990. - Economics as Discourse, London, Klews Academics Publishers.
SCHMIDT (C.) 1976. - « Quelle critique de l'Économie Politique?» Avant Propos à Nouvelle Critique de l'Économie Politique sous la direction de G. Grellet, Calmann-Lévy, Paris, pp. 7-13.
SCHMIDT (C.) 1985. - La Sémantique économique en question, Calmann-Lévy, Paris.
SCHMIDT (C.) 1987. - « Sur le problème des fondements en économie théorique » Cahiers de l'Association Charles Gide, Université de Montpellier, vol. 1
SCHUMPETER (J.) 1908. - « On the concept of social value », Quaterly Journal of Economics, pp. 213-232.
SCHUMPETER (J.) 22-29 août 1914. - « Die " positive " Méthode in der National ökonomie » Deutsche Literaturzeitung, nos 34/35, pp. 2100-2108.
SCHUMPETER (J.) 1963. - Capitalisme, socialisme et démocratie, trad. Payot, Paris.
SCHUTZ (A.) 1967. - Trad. The Phenomenology of the Social World, (Der sinnhafte Aufbau der sozialen Welt), 1932. Northwestern University.
SIMIAND (F.) 1912. - La méthode positive en science économique, Paris, Félix Alcan, 208 p.
SIMON (H.) 1982. - Models of bounded rationality, 2 volumes, Cambridge, Mass., M.I.T. Press.
SMITH (V. L.) 1991. « Rational choice. The contrast between Economics and Psychology », The Journal of Political Economy, vol. 99, n° 4, trad. par¬tielle 1992, in Problèmes économiques, n° 2277, p. 5-12.
SRAFFA (P.) 1960. - La production de marchandises par des marchandises, Trad. Dunod, 1970.
STEEDMAN (I) 1989. - Ed., « Sraffian Economics », volumes 1 et 2, collection Schools of thought in economics, tome 4, dirigée par M. Blaug, Edwar Elgar Pub. Limited, 814 pages.
STONIER (A.), BODE (K.) 1937. - « A New Approach to the Methodology of Social Sciences », Economica, nouvelle série, vol. 4, pp. 406-424.
WALLISER (B.) 1986. - « Le problème de l'induction et de la réfutation en économétrie » École Nationale des Ponts et Chaussées, Cahiers du CERAS, n° 55.
WEINTRAUB (E.R.) 1985. - General Equilibrium Analysis : Studies in Apprai¬sal, Cambridge, Cambridge University Press.
WOO (Henry K. H.) 1986. - What's wrong with the Formalization in Economics ? An epistemological critique. Newark, Californie Victoria Press.
WOLFF (J.) 1975. - L'Économie Politique. Objet, méthode, nature. Cujas.