La barbarie qui s’annonce, ou les guerres de croyances à l’âge des armes autonomes
La barbarie qui vient ne sera peut-être ni la pseudo-guerre des intelligences, ni la concurrence Chine – Etats-Unis.
Dès à présent s’installe la possibilité d’une vraie barbarie inédite, physique, internationale, redoutable : les guerres de croyances, potentiellement dotées des nouvelles armes létales, autonomes (« robots tueurs ») ou guidées par la reconnaissance faciale.
1. La première dynamique à l’œuvre est l’essor mondial des croyances, fondées ou non. « Croyance » est bien plus large que les religions monothéistes. Il s’agit de leurs radicalités violentes, ou leurs dévoiements légitimant un terrorisme international. Il s’agit également des visions alternatives, complotistes voire conspirationnistes de toutes sortes. Les études d’opinion récemment commandées par l’université de Cambridge, ou par la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch à l’Ifop sont édifiantes : 25 % des Français pensent que « l’immigration est organisée délibérément par nos élites pour aboutir à terme au remplacement de la population européenne par une population immigrée », 22 % estiment qu’il « existe un complot sioniste à l’échelle internationale ».
2. La deuxième tendance est la disqualification de la raison argumentée au profit du rapport de forces. Ces croyances n’appellent ni l’épreuve des faits, ni le travail patient et expérimental de la raison, ni le doute. Descartes, les Lumières et les pères de la Troisième République sont bien loin. Parce que la croyance puise en elle-même son propre ressort. Elle érige le dissident en héraut de la critique (qui a le courage de mettre en cause l’opinion mainstream), lui décerne à ce titre des lettres de noblesse, et transfigure tout contre-argument éventuel en patente illustration de l’existence d’un complot.
3. Le troisième phénomène consiste en la possible production d’armes létales, décuplées par la puissance des nouvelles technologies : reconnaissance faciale, armes autonomes, sans parler des cyberattaques.
Les théocraties terroristes, les croyances complotistes sont par nature en rivalité contre les visions dominantes qui professent l’apologie du doute ; et cette rivalité ne saurait se résoudre par la raison argumentative. Leur prospérité se nourrit en partie des réseaux sociaux et du mal-être intrinsèque de nos sociétés, qui collectionnent des vies personnelles déliées, solitaires ou sans finalités perçues. Pour beaucoup, ces croyances désignent l’autre – leurs détracteurs désignés – comme des conspirateurs qui méritent davantage l’anathème ou la force de l’offense que la respectueuse et sage confrontation des arguments. Par nature, un complot supposé n’a d’autre vocation que d’être dissous.
Cette virulente confrontation des croyances prend une face nouvelle lorsqu’émerge la possibilité de nouvelles armes de destruction massives, sophistiquées mais mille fois plus accessibles que ne pouvait l’être, jadis, l’arme nucléaire. Qui contraindra tel groupe à ne pas produire d’armes létales autonomes ? Aux Etats-Unis comme en Europe, des dirigeants de grandes entreprises s’opposent à la production des « robots tueurs » ; Stephen Hawking, Noam Chomsky, Steve Wozniak leur avaient ouvert la voie. Mais par la force du digital, la technologie est un savoir qui se diffuse. Et l’autonomie des véhicules, ainsi que la reconnaissance faciale, sont déjà à la portée de beaucoup.
Pour conjurer la barbarie qui vient, les recours pourraient être une organisation de régulation internationale, ou de puissants mouvements pacifistes. Mais la première suppose une capacité de coordination internationale qui ne se dessine pas pour le moment, et la seconde apparaît nimbée d’un voile de naïveté qui semble la compromettre à peine née.