La blockchain va transformer tous les secteurs
Blockchain, la révolution dont tout le monde parle
Article de Stéphane Loignon
Sorte de livre comptable numérique géant, la blockchain pourrait bientôt permettre des transactions en ligne, sans intermédiaire et sans risque. Décryptage.
En 1993, Marc Andreessen, étudiant américain, mettait au point le premier navigateur Internet. Personne n’aurait deviné que cette invention allait permettre au Web, qui était alors un réseau compliqué réservé aux informaticiens, de devenir un outil utilisé désormais par 3,2 milliards de personnes. Aujourd’hui, Marc Andreessen, à la tête de son propre fonds d’investissement, parie sur une nouvelle technologie : la blockchain, « la révolution la plus importante depuis Internet », a-t-il confié au New York Times. Beaucoup, comme l’auteur canadien Don Tapscott, partagent son avis. La blockchain permettrait en effet de se passer de tous les intermédiaires dans les échanges commerciaux ou administratifs. Cette base de données sécurisée de transactions anonymes pourrait faire émerger une véritable « économie du partage », où les individus se vendraient des biens et des services entre eux, en payant des commissions bien plus faibles qu’aujourd’hui, voire nulles. Ils court-circuiteraient ainsi les établissements financiers (banques, compagnies de cartes de crédit, assurances), les plateformes collaboratives (Uber, Airbnb, Le Bon Coin...), voire les notaires et les administrations, tous condamnés à se réinventer pour ne pas disparaître. Explications.
Qu’est-ce qu’une blockchain ?
C’est une « base de données numérique infalsifiable sur laquelle sont inscrits tous les échanges (d’argent, de contrats, etc., NDLR) effectués entre ses utilisateurs », selon la définition de l’ouvrage collectif La Blockchain décryptée (éditions Netexplo, 2016). But du système : certifier toutes ces informations et les rendre incontestables. « C’est-à-dire assurer le rôle d’un tiers de confiance que joue par exemple un notaire qui gère un cadastre, ou un banquier qui gère un livre comptable », précise Emmanuel Methivier, directeur du CAStore, la plateforme d’applications du Crédit agricole. La première blockchain a été créée en 2008 pour la monnaie virtuelle bitcoin. Elle est d’accès public (comme sa concurrente Ethereum), mais certaines sont privées.
Comment ça marche ?
Imaginons un transfert d’argent entre deux personnes sur une blockchain (voir infographie page suivante). Chacune apparaît sous un pseudonyme (A et B, par exemple), pour garantir l’anonymat de la transaction. Toutes deux ont une clé (un code) publique et une autre privée pour envoyer et recevoir de l’argent. La transaction est enregistrée sous forme d’un code informatique, parmi un ensemble d’autres transactions qui forment un « bloc ». Ce bloc apparaît dans le base de données géante de la blockchain. « Tous les utilisateurs de la blockchain possèdent ce même registre et à chaque fois qu’une personne y écrit quelque chose, c’est répliqué dans tout le réseau », précise François Dorléans, directeur des opérations de la start-up française Stratumn, qui s’appuie sur la technologie blockchain pour créer des outils à destination des entreprises. Certains utilisateurs, appelés « mineurs », entrent alors en compétition pour être les premiers à vérifier les transactions du bloc (s’assurer par exemple que A dispose bien des fonds nécessaires à envoyer à B), contre rémunération. Une fois le bloc validé, il est lié au précédent, afin de former une chaîne de blocs (la blockchain), quasiment impossible à truquer par la suite.
Qu’est-ce que cela va changer ?
Don Tapscott, 69 ans, spécialiste canadien des nouvelles technologies.Ana Grillo
La blockchain va transformer tous les secteurs où des intermédiaires prélèvent des commissions importantes, à commencer par les banques. Celles-ci tentent d’ailleurs de s’approprier cette nouvelle technologie. Fin juin, la Caisse des dépôts, la BNP ou encore la Société générale ont annoncé un partenariat pour favoriser le financement des PME grâce à la blockchain. Le CAStore expérimente quant à lui le paiement de sous-traitants avec un tel système. « C’est aussi très intéressant pour les micro-paiements et les transferts d’argent à l’étranger », ajoute Eric Lévy-Bencheton, consultant au cabinet Keyrus, spécialisé dans le numérique. Les assureurs vont eux aussi devoir s’adapter. La blockchain est en effet capable de calculer de façon automatisée le niveau de cotisation ou de remboursement des assurés. Les géants d’Internet sont également menacés. La start-up anglaise Arcade City et l’israélienne La’Zooz ambitionnent de mettre directement en relation chauffeurs et clients, sans faire appel à la plateforme de l’entreprise californienne Uber. L’application de commerce entre particuliers OpenBazaar veut bousculer Ebay et Le Bon Coin. Le changement concerne aussi le secteur des administrations publiques. La start-up Guardtime a sécurisé sur la blockchain les dossiers médicaux d’un million d’Estoniens. Au Ghana, l’ONG Bitland enregistre les titres de propriété et les transactions dans un registre blockchain qui fait office de cadastre. Cet outil pourrait par ailleurs faciliter le vote électronique.
Quelles limites ?
Encore embryonnaire, la blockchain reste freinée par sa lenteur relative (plus de dix minutes pour enregistrer une transaction) et son coût énergétique (elle mobilise beaucoup d’ordinateurs). Elle est aussi la cible de hackers : si les pirates du Web ne parviennent pas à altérer la chaîne de blocs, ils sont en mesure de repérer des failles dans les applications pour détourner de l’argent.
Don Tapscott : « échanger ce qui a de la valeur en sécurité sur le net »
Finance, énergie, musique... Pour l’auteur canadien de Blockchain Revolution, tous les secteurs seront concernés par ce nouveau système.
Propos recueillis par Stéphane Loignon
Comment définiriez-vous la blockchain ?
C’est une base de données, partagée dans des millions d’ordinateurs, qui permet aux utilisateurs d’échanger, sans intermédiaire, de l’argent, des actions, de la musique, des votes, des découvertes scientifiques... Quoi que ce soit qui a de la valeur.
En quoi est-ce une révolution ?
Aujourd’hui, pour organiser des transactions, nous avons recours à des intermédiaires qui établissent un lien de confiance entre nous : les banques, les compagnies de cartes de crédit, Apple pour la musique... Ils font un bon boulot, mais il y a des problèmes. D’abord, ils sont centralisés, donc vulnérables aux cyberattaques. Ensuite, ils excluent de l’économie 2,5 milliards de personnes (soit environ un tiers de la population mondiale, NDLR), trop pauvres pour détenir un compte bancaire. Ils sont aussi très lents. Enfin, ils se rémunèrent par une commission ou en capturant vos données personnelles. Imaginez maintenant un Internet non pas de l’information, comme aujourd’hui, mais de la valeur, où nous pourrions acheter et revendre des biens, garantir la confiance mutuelle, partout dans le monde, sans intermédiaire central. Ce ne sont pas seulement les banques qui pourraient être éliminées, mais toutes les institutions.
Quels secteurs seront bouleversés ?
La finance sera méconnaissable dans dix ans. L’application de transport Uber pourra être remplacée par un simple logiciel, par lequel les chauffeurs percevront l’intégralité des revenus. Idem pour Airbnb. Dans l’énergie, la compagnie Nasdaq a dévoilé un système de distribution fondé sur la blockchain : un panneau solaire sur votre toit génère de l’électricité et vous la revendez directement au réseau, qui paie la totalité du prix (au lieu de passer par un intermédiaire comme EDF, NDLR). Dans la musique, la chanteuse britannique Imogen Heap a créé une plateforme fondée sur la blockchain, où les musiciens sont payés en premier. C’est une révolution plus grande que celle d’Internet. C’est la technologie la plus importante des décennies à venir.
Concrètement, quel est l’avantage pour les utilisateurs ?
Dans mon livre, je raconte l’histoire d’Emily Domingo, femme de ménage à Toronto. Pendant vingt-deux ans, elle a envoyé de l’argent à sa mère aux Philippines, en payant 10 % de commission pour que l’argent arrive de quatre à sept jours plus tard. Désormais, elle utilise Abra, une application bitcoin (une monnaie virtuelle qui fonctionne grâce à une blockchain, NDLR), installée sur son téléphone mobile : elle donne le montant qu’elle veut envoyer, l’adresse de sa mère, et l’argent arrive en un millième de seconde. Sa mère ouvre l’application sur son mobile. Apparaît une carte où sont géolocalisés les guichetiers Abra qui circulent près de chez elle, comme des chauffeurs Uber. Elle en sélectionne un à six minutes de là, noté cinq étoiles. L’argent (des pesos philippins) est directement livré chez elle. La commission est dérisoire (de 0,25 % à 2 % maximum suivant les guichetiers, NDLR).