La Catalogne pose la question de l'Espagne comme Etat fédéral
Crédits photo Jules Bedo

La Catalogne pose la question de l'Espagne comme Etat fédéral


Mon entretien avec El Watan

L’avenir de l’Espagne, telle qu’on la connaît, est en jeu. Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a demandé mercredi au président de la Catalogne, Carles Puigdemont, de clarifier ses intentions, sous la menace d’utiliser l’«option nucléaire» : la suspension de l’autonomie de la Catalogne. Chacun a fait un pas de son côté : l’Espagnol et l’indépendantiste catalan ont laissé du temps au temps. Mais l’horloge tourne rapidement alors que tous les deux profitent de cette accalmie pour affûter leurs armes. Virginie Tisserant analyse les enjeux que pose pour l’Espagne le dossier catalan. Entretien réalisé par Zine Cherfaoui pour El Watan

- Le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, a beaucoup tourné autour du pot, lors de son discours prononcé mardi devant le Parlement catalan. Pour de nombreux observateurs, son intervention a davantage rajouté de la confusion à une situation déjà extrêmement compliquée. Alors la Catalogne est-elle oui ou non indépendante ?

Le discours de Carles Puigdemont est un tour de communication politique qui vise à susciter l’intérêt et à pousser son adversaire (Madrid) à endosser la responsabilité du conflit. D’un point de vue symbolique, la Catalogne a gagné son indépendance et mis sur la scène politique la question de la pérennité de la monarchie constitutionnelle ou la recomposition en un régime fédéral. Si transition démocratique il y a, d’un point de vue historique, c’est maintenant que ça se passe.

- Justement, à quoi sert de proclamer l’indépendance de la Catalogne si c’est pour ensuite demander au Parlement de la suspendre ? A quelle logique répond la manœuvre ?

La politique se définit par la lutte pour l’obtention du pouvoir et, comme disait Michel Foucault, le pouvoir est un rapport de forces, au pluriel. Le langage réinvente, projette et traduit les mutations de notre société dans une logique de conquête. A quoi cela sert-il ? A montrer que la Catalogne est prête mais, au-delà, créer une conscience collective de lutte disposée à se mobiliser de manière radicale pour les prochaines échéances électorales. Dans son discours, Carles Puigdemont dit ouvertement qu’il n’est pas révolutionnaire.

L’histoire éclaire toujours le présent mais n’est que trop peu mobilisée pour comprendre les faits contemporains. Résumer la question catalane à de l’égoïsme, à un manque de solidarité et à un problème économique, c’est nier qu’un pays est le fruit d’une histoire et d’une politique.

Tout ceci rappelle les années 1930, lors du pronunciamiento de la Seconde République espagnole (1931-1939), de nombreux officiers avaient alors rejoint le rang des «rebelles» et même des «anarchistes» et déclaraient : «Un besoin passionné de justice jaillit des entrailles de la nation. Plaçant ses espoirs dans une République, le peuple est déjà dans la rue. Nous aurions voulu faire connaître les désirs du peuple par les moyens légaux, mais cette voie nous a été barrée. Quand nous avons demandé la justice, on nous a refusé la liberté. Quand nous avons demandé la liberté, on nous a offert un Parlement croupion analogue à ceux du passé, fondé sur des élections frauduleuses, convoqué par une dictature, instrument d’un roi qui a déjà violé la Constitution. Nous ne recherchons pas la solution extrême, une révolution, mais la misère du peuple nous émeut profondément. La révolution sera toujours un crime ou une folie tant qu’existent la loi et la justice. Mais elle est toujours juste quand domine la tyrannie.»

La question est pourquoi en sommes-nous là ?Mais tout simplement parce que la transition espagnole, qui commence à la mort du général Franco en 1975, a été avant tout antidémocratique, elle s’est construite sur des accords de partis, d’élites et de partenariats économiques, donc loin et surtout sans le peuple. La monarchie constitutionnelle est institutionnalisée au détriment de la construction de la chose publique. Mais, en réalité, qui pouvait aller contre celui qui a rendu la démocratie à l’Espagne : Juan Carlos, héritier de la couronne choisi par Franco pour lui succéder.

- L’attitude du président catalan peut-elle s’interpréter comme une reculade face aux pressions de Madrid et de Bruxelles ?

Non pas une reculade mais de la stratégie. La Catalogne n’a pas les moyens de ses ambitions et elle le sait bien. Pour autant, je pense que le rôle de Bruxelles a favorisé clairement la montée des nationalismes régionaux comme le processus libératoire qu’ils prônent. L’intégration européenne à marche forcée n’a fait que conforter et aggraver la négation des Etats-nations et renforcer les identités nationalistes radicales (Brexit).

- A votre avis, le référendum du 1er octobre peut-il être perçu comme une démonstration de force que les Catalans comptent juste utiliser pour mieux négocier un nouveau statut pour la Catalogne, avec plus d’autonomie... mais sans aller à l’indépendance totale ?

Clairement, le référendum du 1er octobre est le premier pas institutionnel d’un processus libératoire vis-à-vis de la centralisation madrilène et de toute sa symbolique : corruption et mauvaise gestion. Le risque est l’instrumentalisation politique de cette volonté. La démonstration de forces est clairement établie, mais il s’agit avant tout d’une lutte d’élites politiques et économiques héritières du franquisme. Les pouvoirs économiques, les institutions financières comme La Caixa ou la Banque Sabadell, par exemple, n’ont clairement pas intérêt à partager le pouvoir central avec les élites périphériques.

- Se peut-il justement que d’âpres négociations ont été menées loin des caméras des médias entre les différents acteurs de cet épisode politique qu’est en train de vivre le royaume d’Espagne pour que la crise ne dégénère pas et pour qu’un compromis soit donc trouvé ?

Oui, certainement. Mais la bataille a déjà été trop médiatisée pour qu’un consensus soit finalement trouvé facilement. Ce qui est le plus envisageable et qui serait salutaire c’est que la Catalogne dispose des mêmes prérogatives d’autonomie fiscale que la Communauté autonome du Pays basque. Le système dit «foral», dont jouissent la Navarre et le Pays basque, fonctionne à l’écart du système de financement commun aux 15 autres régions espagnoles.

Il n’y a par exemple pas d’administration fiscale espagnole dans les territoires basques, les impôts sont prélevés et gérés par l’administration locale. Mais, au-delà de l’aspect fiscal dans lequel tout le monde veut enfermer cet événement historique, le cas catalan pose la question de l’Espagne comme Etat fédéral.

- Comment voyez-vous la suite des événements ? A votre avis, quelle sera l’attitude de Madrid face à la sortie de Carles Puigdemont ?

Avec crainte évidemment, car les débordements qui ont eu lieu m’attristent, mais également avec un grand intérêt historique. La Catalogne pousse le gouvernement central sur le chemin d’une nouvelle et véritable transition démocratique, et je suis certaine que cette question sera au cœur des prochaines échéances électorales.

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