La caverne
J’habite un petit village en lisière de forêt, un endroit d’apparence paisible probablement construit sur une faille spatio-temporelle. Chez nous, les nouvelles circulent si vite qu’elles ont bien souvent fait le tour des villageois avant même qu’elles n’aient eu lieu. Et pourtant, dans ces habitations-miradors, dans lesquelles rien n’échappe jamais à personne, subsiste un semblant de mystères et de légendes, de suppositions, de questions sans réponses. Ceux qui entourent la Grotte.
La Grotte, c’est cette caverne naturelle au fin fond de la forêt limitrophe de mon jardin. Cette forêt que je regarde souvent en me disant qu’elle et moi, on n’est vraiment pas faites du même bois. C’est une forêt luxuriante, principalement composée de chênes, si belle que même les croassements des corbeaux qui quittent son dense feuillage une nuit de pleine lune me bercent sans me terrifier. C’est une forêt dans laquelle les loups n’hurlent pas : ils chantent.
Si tous ont peur de la Grotte, moi, je m’y sens irrémédiablement attirée. Depuis toujours. Je sais où elle est. J’ai en mémoire le taillis de charmes – ils sont rares dans notre région, suffisamment pour retenir notre attention – qu’il faut traverser avant de la voir se dessiner. Je l’ai déjà approchée, à plusieurs reprises. Mais ce matin, malgré moi, elle m'aura attirée jusqu'à elle.
Je suis face à cette caverne, dans lequel le monstre est terré. Personne ne l’a jamais vu, mais les rugissements qui remontent parfois jusqu’à la surface ne laissent aucun doute quant à son existence. On ne sait pas à quoi il ressemble.
La légende dit qu’il sort parfois de son trou pour se mélanger à la population locale. Il saurait prendre la forme d’un voisin sympathique et serviable. On dit qu’il peut même sourire, mais sans les dents. Car on suppose qu’elles sont terriblement acérées, peut-être même avec une goutte de sang séché sur l’une de ses canines – on le reconnaîtrait immédiatement, s’il esquissait un sourire pareil. Et tout le monde s’en méfierait. C’est par sa faculté de métamorphose qu’il est dangereux. Insidieux.
Cette croyance est si ancrée chez nous qu’on s’en sert pour dissuader les enfants de s’enfoncer trop profondément dans les bois. C’est là que les hypothèses divergent : certains disent que le monstre peut vous dévorer, sans jamais laisser une seule miette de vous. Vous disparaissez, tout simplement. Comme si vous n’aviez jamais existé. D’autres pensent qu’il a la courtoisie de vous recracher, de vous rendre à votre mère – mais dans un état si lamentable qu’elle-même serait incapable de vous reconnaître.
Au village, il y en a un qui dit avoir survécu. On parle de lui à la boulangerie ou sur le fauteuil du seul coiffeur à des dizaines de kilomètres à la ronde, sans jamais prononcer son prénom – on l’appelle seulement Trompe-la-mort pour se moquer de lui. C’est le vieux fou du coin. Il paraît qu’il y en a un dans chaque village.
Moi, je suis convaincue qu’il est fou de ne pas le croire. Qu’y a-t-il de plus déraisonné que de refuser l’espoir ?
Je suis toujours face à cette caverne. C’est un trou noir qui semble sans fond. Pourtant, je devine le monstre tapi dans l’obscurité. Je le regarde. Je sais qu'il me regarde aussi. J'ai peur. Mais j'espère un jour reprendre dignement le flambeau de Georges - c'est son prénom - et devenir la nouvelle folle du village, celle qui aura survécu, elle aussi. J’ouvre alors le miroir de mon armoire murale pour me servir dans mon flacon d’anti-dépresseurs.
Fondatrice & directrice chez Le Greffier / Profiler marketing / rédactrice publicitaire / coach littéraire / auteure
4 ansSuperbe texte, j'aime beaucoup. Bravo !
CHARGEE DE DEVELOPPEMENT
4 ansen tout cas j'aime le début ....
Comptable chez Cabinet Meyer
4 ansToujours ces chutes dont tu as le secret...
consultant
4 ansMagnifique texte et quel style!. Merci pour la vidéo "dépression " Bonne journée Morgane.
Ingénieur développement informatique chez Tornos SA
4 ansTrès très très bon texte. Est ce que cet endroit existe?