« LA CONFERENCE », un film indispensable
Tourné par un réalisateur allemand, Matti Geschonneck, avec des acteurs allemands, ce film, inspiré par le compte-rendu d’Adolf Eichman, restitue la conférence dite de Wannsee qui fut une étape majeure dans la destruction des Juifs d’Europe. Il est en salle en France depuis le 17 avril.
1 heure et 48 minutes en compagnie de hauts-dignitaires allemands convoqués dans une luxueuse villa au bord d’un lac aux eaux paisibles dans un site nommé Wannsee non loin de Berlin. C’est le film LA CONFÉRENCE dont on ressort avec un coup de froid dans le dos.
Tous ces dignitaires du régime nazi, à commencer par Reinhard Heydrich, le plus gradé, apparaissent à l’écran successivement, avec leurs petites manies, leurs confidences entre amis… Ils sont une quinzaine occupant des fonctions diverses dans l’appareil nazi (armée, ministères, SS...). Ils ont chacun reçu quelques semaines auparavant une invitation en bonne et due forme signée Heyrich en ces termes : « le 31 juillet 1941 le Reichsmarschall du Grand Reich allemand (Göring) m'a chargé, avec l'assistance des autres autorités centrales, de faire tous les préparatifs organisationnels et pratiques en vue d'une solution d'ensemble de la question juive et de lui faire dès que possible des propositions détaillées ». Rendez-vous est pris pour le 9 décembre suivant. La « solution d’ensemble » évoquée très vite se mue en « solution finale »
Une fois réunis, chacun à sa place autour de la vaste table va s’efforcer de défendre son territoire. L’un ne veut pas qu’on porte atteinte aux lois anti-juives (dites de Nuremberg) qu’il a contribué à élaborer, l’autre, haut responsable de l’armée, s’émeut des atteintes au moral des soldats -sujets à dépressions- qui ont eu ordre de tirer sur des hommes, femmes et enfants (on évoque Babi-Yar), un autre, soucieux des finances du Reich, se demande comment récupérer les biens des Juifs expédiés vers l’est… Mais après quelques échanges à peine un peu aigres, l’accord au final se fait sans à-coups. Et pour cause, tous sont acquis à l’idéologie nazie et l’expression « solution finale », ne sort-elle pas de la bouche même de Hitler.
Supprimer 11 millions de Juifs européens
L’idée, ici, n’est pas de résumer ce film indispensable -plutôt d’encourager à l’aller voir- mais surtout de constater, sinon de comprendre, au-delà des désaccords historiques sur le rôle exact de cette « conférence » dans la « destruction des Juifs d’Europe », comment des gens ayant fait des études dites supérieures, apparemment censés, tenant des discours élaborés, ont pu en arriver à ce degré d’inhumanité, de monstruosité consistant à « chosifier » des personnes humaines -en ont-ils même conscience ?-. La palme revenant à Adolf Eichmann qui détaille par le menu la mécanique des chambres à gaz et des crématoires alors en cours d’expérimentation.
Le but, dit Heyrich -avec une voix doucereuse dans le film »- est de supprimer 11 millions de Juifs européens. Cela apparemment ne choque personne autour de la table de conférence. Tout juste l’un des participants suggère-t-il qu’on pourrait peut-être simplement stériliser les plus âgés pour les empêcher de se reproduire. Suggestion balayée d’un revers de main. Un autre -en charge d’une zone de l’Est- préfèrerait s’occuper d’abord des Juifs de son propre territoire avant d’en « traiter » d’autres...
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On ressort de la salle de cinéma avec un peu le sentiment qu’on vient d’assister à la réunion du Conseil d’Administration de l’entreprise Landa, qu’elle produise des bottes de fourrage, des boulons, des parfums, des machine-outils… ou même à une conférence de rédaction d’un grand quotidien ou d’un journal télévisé au cours de laquelle chacun des chefs de service (politique, économie, société…) fait valoir son actualité et demande plus de place dans la prochaine édition.
Sauf qu’autour de la table de conférence de la villa de Wannsee, on traite d’êtres humains d’ores et déjà CHOSIFIES. La chosification d’êtres humains, voilà ce dont ce film nous parle, voilà avec quoi il nous agresse au plus profond.
Comment ne pas imaginer dès lors à ce que pourrait être un conseil des Ministres sous Présidence d’extrême-droite ? Ah peut-être ne « chosifieraient-ils » pas les Juifs, mais plutôt les Immigrés. De Darmanin à Le Pen, on voit aujourd’hui comment sont qualifiés les sans-papiers. Pas de « solution finale » à leur égard, juste des expulsions…
Comment ne pas songer aussi à ce ministre israélien fondamentaliste d’extrême droite pour qui la Palestine, voire les Palestiniens, n’ont pas vraiment d’existence ?
C’est la même détermination génocidaire qui affleure des conférenciers de Wannsee à la « radio des mille collines » (RWANDA 1994) dont le mot d’ordre « Tuez tous les cafards » évoquait ouvertement le massacre des Tutsis. Les éditoriaux de cette radio criminelle firent plusieurs centaines de milliers de victimes (en majorité Tutsies)
Pulsion de mort, bête immonde…
Sylvain GOUZ
23 avril 2023