La conservation-restauration des fonds photographiques en question

La conservation-restauration des fonds photographiques en question

Je travaille beaucoup avec les services d'archives depuis vingt ans, et force est de constater que les principes de la conservation-restauration du patrimoine photographique ne sont pas toujours bien connues des archivistes, ou bien comprises. Un article qui vient de paraître en témoigne. Il comprend beaucoup d'inexactitudes, voire d'erreurs du point de vue de la conservation-restauration. Certaines sont probablement de mauvaises retranscriptions du journaliste, d'autres représentent à mon sens un problème de compréhension des enjeux et des possibilités de conservation.

Je reprends l'article point par point :

"Au fil des années, le trésor a croupi, jusqu'à finalement pourrir" : Les négatifs sur verre ne pourrissent pas, ils moisissent, ce n’est pas la même chose. Il s’est produit un développement de micro-organismes du fait du stockage et de l'oubli de ces négatifs sur verre dans un lieu inadapté à la conservation, trop humide (probablement les caves de l'institution judiciaire, cas déjà vu dans un autre service avec lequel j'ai travaillé).

"Dans l'idéal, il faudrait désinfecter une à une à l'alcool les milliers de plaques. Impossible en l'espèce." : L'alcool n'est pas efficace pour désinfecter les plaques. On utilise l'éthanol pur en dilution avec de l’eau pour nettoyer le côté verre. Pour le côté émulsion, on utilisait par le passé du trichloroéthane, mais c'est un produit très toxique pour l'homme, donc on ne l'emploie plus que dans des cas très exceptionnels. En revanche, le nettoyage des plaques constitue un minimum de traitement car il élimine la saleté (source de nutriment des moisissures) et une partie des moisissures. Il n’est pas impossible de traiter des milliers de négatifs sur verre, de nombreux chantiers de cet ordre sont réalisés dans les institutions patrimoniales.

"Les archivistes ont alors tenté un traitement général, avec un procédé habituellement utilisé pour le papier, sans garantie de résultat." : Je lis entre les lignes qu'il a été fait une désinfection à l'oxyde d'éthylène : c'est inefficace pour les plaques de verre, donc dès le début c'était inutile ; par ailleurs c'est un produit cancérigène. Si ce traitement a été réalisé (à confirmer) le risque maintenant c'est qu'il y en ait des résidus dans le fonds, et c'est potentiellement dangereux pour les personnes qui l'ont manipulé par la suite.

"Un matériel compliqué à manipuler avec le risque de se blesser et d'effacer la couche photographique, voire d'apposer ses empreintes digitales sur celles présentes" : Là c'est du grand n'importe quoi. En vingt ans d'expérience, j'ai manipulé, nettoyé, consolidé des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de négatifs sur verre, sans jamais me blesser ni bien évidemment effacer les images, ni apposer mes empreintes puisque je travaille avec des gants, pour ne pas apposer mes empreintes et aussi me protéger des micro-organismes. Evidemment, il faut être formé à ce travail, mais il est possible de former les agents en interne (je le fais souvent).

"La trentaine de salarié des archives a minutieusement trié les plaques, jetant celles cassées ou noircies par les parasites" : Les plaques cassées peuvent être conservées et consolidées. Le "noircissement" des "parasites" (drôle d'appellation) peut parfois être nettoyé, s'il est présent côté verre. On n’élimine habituellement que les cas vraiment désespérés.

"Numériser les milliers de plaques, seul moyen de les sauver définitivement et de les rendre communicables" : La numérisation est très utile pour la diffusion et pour éviter une manipulation excessive des originaux mais n'est pas un mode de conservation en soi. Les fichiers numériques peuvent être endommagés au cours du temps ; par ailleurs la numérisation n'est qu'une citation de ces pièces patrimoniales (comme il est précisé dans le document de référence réalisé par le ministère de la Culture : Vademecum - Prise en charge d'un fonds photographique), elle ne les remplace pas.

Je peux comprendre que des archives municipales n'aient pas les moyens de faire appel à un prestataire spécialisé (cependant on constate que les moyens ont été mis pour la numérisation) mais en attendant, on peut se demander si le tri n’a pas été excessif. Et le fonds n'a finalement pas été nettoyé, semble-t-il, ce qui constitue pourtant l'opération minimale garantissant sa conservation sur le long terme ! Il est très dommage que pour ce fonds récupéré en 2010 par les archives, il n'y ait pas eu entre-temps d'étude préalable par un conservateur-restaurateur de photographies, qui aurait pu apporter un conseil avisé pour la mise en œuvre d'un traitement approprié, avec la formation des agents du service.

 A mon sens, cette histoire particulière met en lumière le manque de connaissances sur la conservation matérielle du patrimoine photographique au sein d'un certain nombre de services d’archives en France. Il serait pourtant possible de créer une dynamique à l'échelle nationale, en collaboration avec les spécialistes du sujet. Il y a en France une quarantaine de conservateurs-restaurateurs de photographies compétents pour réaliser des études de conservation, des constats d'état, des cahiers des charges, dispenser des formations, diriger des chantiers, accompagner les institutions, et par ailleurs intervenir sur des traitements de collections ou d'items individuels.

Gwenola Furic

Conservation-restauration du patrimoine photographique

1 ans

Suite à un échange de points de vue, j'ai modifié le titre et l'illustration de mon article, et apporté quelques nuances à mon article. Cela ne remet pas en cause le fond de mon commentaire d'article, mais je voudrais avant tout être constructive dans ce domaine qui me tient tant à cœur. J'ai pour habitude de dire que face à un fonds photographique, chaque professionnel a un angle de vue : il faut que cet angle soit complété par d'autres, afin d'agir au mieux à chaque fois. Chaque fonds photographique est un cas particulier, il convient de se poser des questions à chaque fois avant d'entreprendre un projet de mise en conservation. Il n'y a pas de recette universelle, et la théorie ne peut pas être appliquée de façon uniforme. La théorie est là pour nous donner des bases solides, mais un subtil ajustement des principes est toujours nécessaire, en fonction de chaque cas, de chaque institution, et des moyens dont on dispose.

Camille Viala Rouy

Cheffe de projet préfiguratrice de la Maison Alix - Pôle photographique de Bagnères-de-bigorre. | Responsable du fonds photographique Alix | Chargée d'enseignement Université Toulouse II

1 ans
Camille Viala Rouy

Cheffe de projet préfiguratrice de la Maison Alix - Pôle photographique de Bagnères-de-bigorre. | Responsable du fonds photographique Alix | Chargée d'enseignement Université Toulouse II

1 ans

Avec un (premier) titre d'article tel que "la conservation-restauration des photographies dans les archives", attention toutefois à ne pas tomber dans la généralité. De nombreux services d'archives sont tout à fait compétents sur la question de la préservation du patrimoine photographique. Des formations existent dans ce domaine, notamment celles proposées par le DDAME de l'université Toulouse Jean Jaurès (notamment) qui forment depuis plusieurs décennies des professionnels de l'image. Une des principales problématiques, c'est qu'il n'existe pas de groupe de travail sur la question du patrimoine photographique par et pour les archivistes au sein des territoires. Une demande a été formulée auprès de l'association des archivistes français, pour une mise en commun des pratiques, des idées et des savoirs. Au plaisir d'échanger avec vous sur cette question. 

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