La crise sanitaire et économique actuelle était prévisible! Plaidoyer pour une gestion des risques majeurs comme déterminant de l’action politique
Les conséquences dramatiques en cours et à venir de la pandémie Covid19 contre laquelle se battent avec courage et abnégation nos professionnels de santé et bien d’autres, suscitent de nombreuses réflexions sur le ‘monde d’après’ et notamment comment prévenir qu’enfin une telle tragédie ne se reproduise à l’avenir. Sans prétendre faire le tour exhaustif de tout ce qui devra changer, un point parmi les plus importants est la gestion des risques systémiques. Car si le moment précis de survenance de cette crise n’était pas prévisible, tous les éléments connus mais malheureusement négligés faisaient que son occurrence était certaine.
La gestion des risques par l’exemple
Plusieurs secteurs économiques, dont l’activité génère des risques potentiels significatifs, ont développé et mettent en œuvre des méthodologies de gestion des risques qui pourraient très utilement être appliquées à l’anticipation des risques systémiques majeurs menaçant l’humanité. Si on considère l’exemple du secteur aéronautique, le niveau de sécurité élevé d’un avion de transport commercial est un impératif de conception qui est pris en compte, de manière imposée réglementairement, au même niveau que ses performances.
Les méthodologies de gestion des risques sont fondées sur l’identification de 3 facteurs :
- Les évènements redoutés (ou risques) pouvant générer des conséquences graves. Ces évènements redoutés sont classifiés en combinant leur probabilité d’occurrence et la gravité possible de leurs conséquences. La gestion des risques vise à ce que plus la gravité de leurs conséquences est forte, plus leur probabilité d’occurrence doit être réduite.
- Les causes et leurs combinaisons (appelé ‘arbre des causes’) conduisant à l’apparition des évènements redoutés.
- Les liens menant de l’apparition d’un évènement redouté à ses différentes conséquences possibles, dont bien sûr les plus graves (c’est l’arbre des conséquences).
Ces 3 analyses sont intégrées dans la phase de conception et d’évaluation de l’exploitation future des produits. Par exemple l’adoption d’une redondance dans la conception d’un système diminuera la probabilité d’occurrence d’un évènement redouté de même qu’une procédure opérationnelle prédéfinie pourra limiter ses conséquences en cas de survenance. Afin de rendre concret cette approche, prenons 2 exemples d’évènements redoutés dans l’aviation :
- La perte d’information de vitesse, qui peut conduire à évènement catastrophique du fait d’une perte de contrôle de l’avion via son décrochage : sa probabilité d’occurrence est réduite en ayant obligatoirement plusieurs chaines de mesure indépendantes (la conception agit sur l’arbre des causes) et une procédure opérationnelle de pilotage consistant à contrôler la puissance et l’attitude de l’avion pour avoir la vitesse voulue permet de continuer à en garder le contrôle (la procédure opérationnelle joue sur l’arbre des conséquences).
- L’ingestion d’un oiseau par un réacteur : dans ce cas c’est une procédure opérationnelle (l’effarouchement des oiseaux sur les aéroports) qui intervient pour en minimiser l’occurrence dans l’arbre des causes et des mesures de conception (avions multimoteurs, certification des moteurs pour prévenir leur explosion en cas d’ingestion d’un oiseau) qui visent à en limiter les conséquences graves. L’estimation des probabilités d’occurrence est une clé importante, l’expérience du vol US Airways effectuant un amerrissage d’urgence dans l’Hudson à New-York le 15 janvier 2009, heureusement sans faire de victimes grâce au professionnalisme et au sang-froid de son équipage, a en effet démontré que l’ingestion simultanée d’oiseaux par les 2 moteurs était un évènement très rare mais possible.
La crise sanitaire actuelle était certaine
La situation actuelle permet de se remémorer les crises sanitaires antérieures comme autant d’exemples qui auraient dû maintenir le risque d’une pandémie mondiale grave au rang des évènements redoutés suivis et gérés au niveau national et international. La grippe espagnole de 1918, la grippe asiatique de 1959 et celle de Hong-Kong en 1969, dont la couverture médiatique avait été largement occultée par d’autres évènements contemporains, et plus récemment le H1N1 et le SRAS témoignent d’un cycle de survenance de l’ordre de 10-15 ans bien inférieur à celui de l’oubli !
Le niveau de la crue centennale de la Seine est une donnée d’entrée pour évaluer les protections de Paris contre les inondations (même si les analyses faites ne sont pas forcément rassurantes), les normes de construction des bâtiments imposent des marges sur les charges de neige ou le risque sismique et les agences spatiales travaillent à imaginer des solutions pour dévier la trajectoire des météorites présentant un risque de collision avec notre planète.
Alors pourquoi avoir baissé la garde sur le risque d’une pandémie majeure ? Probablement par une sous-estimation coupable et intéressée d’une prochaine survenance et de la gravité de ses conséquences, les attentions des responsables politiques étant depuis longtemps focalisés sur les enjeux de court terme du fonctionnement nominal d’une société guidée par le dogme de la rentabilité et de la gestion par les coûts.
Il faut intégrer la gestion des risques dans l’action politique
Des actions de fond qui relèvent de la décision politique sont à entreprendre pour réduire la probabilité d’occurrence et la gravité des conséquences d’une telle pandémie.
Du côté de l’arbre des causes, une moindre perturbation des équilibres naturels permettrait de réduire les zoonoses, ces infections et maladies transmissibles des animaux vertébrés aux humains (et éviterait de ternir la réputation de ces pauvres pangolins qui ne nous ont rien demandé) et de limiter à défaut de pouvoir éviter la fonte redoutée du permafrost. Un effort de recherche scientifique plus important permettrait de mieux comprendre la genèse de l’apparition de nouveaux virus et comment lutter contre.
Côté anticipation des conséquences, la politique de gestion par les coûts de notre système de santé et particulièrement de nos hôpitaux et de leurs services d’urgence a fait perdre de vue le besoin auquel ils doivent répondre en cas de pandémie. Leur dimensionnement ne peut résulter que d’une évaluation des risques générant les pics auxquels ils seront confrontés et pas uniquement d’une gestion comptable basée sur une fréquentation moyenne. Un débat public sur ce type d’investissement est indispensable et stratégique. A l’heure où les services d’urgence de la région parisienne sont encore saturés, la population francilienne devrait le trouver bien plus pertinent que les élucubrations périodiques sur l’achat de chasse-neige par la région Ile de France pour déneiger les quelques routes vallonnées de la région une fois tous les 5 ans !
Quant à la mondialisation exacerbée, elle se trouve tant du côté des causes en ayant accéléré la diffusion rapide du virus aux quatre coins du monde que du côté des conséquences. L’absence de maitrise suffisante d’approvisionnements essentiels (respirateurs, médicaments, masques, …mais aussi produits du quotidien) aggrave les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie et des relocalisations sont d’intérêt vital.
Une véritable approche de ces risques est indispensable pour définir les bons équilibres de long terme et nos responsables politiques, peu ou pas formés à ce mode de raisonnement, devront se l’approprier en s’entourant de spécialistes. Et il ne s’agira alors pas de minimiser la probabilité d’occurrence d’un tel risque pour justifier sa non prise en compte et de vouloir expliquer qu’il est irresponsable de pousser le principe de précaution trop loin au détriment de la liberté d’entreprendre inscrite dans notre Constitution : Un tel aveuglement dogmatique serait une insulte aux centaines de milliers de morts du fait de la pandémie actuelle.
Pour la CFE-CGC, le monde d’après ne doit définitivement pas être de continuer comme avant, obnubilé pendant les 30 années à venir par le remboursement de la dette supplémentaire qu’il aura fallu contracter (heureusement à taux très bas) pour limiter la casse économique et sociale et de poursuivre dans l’impasse de la gestion par les coûts. Ce serait une grave erreur, la prochaine crise sanitaire nous aura d’ailleurs certainement rattrapés avant !
Et vu que l’exercice comptable 2020 de toutes les sociétés et pays va être gravement perturbé par le tsunami de cette crise mondiale, pourquoi ne pas décider de ‘neutraliser’ l’exercice comptable 2020 et de considérer un exercice comptable fusionnant 2020 et 2021 afin de lisser les effets comptable et financier de cette crise exceptionnelle et d’éviter le stress inutile et préjudiciable de mesures d’économie de court terme que certains, le naturel revenant au galop et peu soucieux du long terme et de l’intérêt général, seraient tentés de prendre pour laisser apparaitre une moindre dégradation de la performance financière de leur entreprise.
Courage, faisons société en tenant bon ensemble et en manifestant notre reconnaissance à toutes celles et ceux engagés quotidiennement pour sortir au mieux de cette crise.
Ce texte est tout à fait pertinent et lorsque l'horizon de réflexion est le quinquennat pour les politiques, et le PMT pour les grands groupes, voire l'année pour les reconductions de fonction de dirigeants ou le trimestre pour la bourse, la probabilité d’occurrence dans l'horizon de gestion est très faible d'ou l'absence de réelle préparation de plan de réduction des risques et de vrais plan de continuité d'activité. Quand comprendrons nous?
Écrivain premier roman publié chez ABM Éditions
4 ansEt oui certaines méthodologies éprouvées ne sont pas toujours appliquées dans d'autres secteurs. Faut quand même souligner que le monde des ingenieurs est plus rigoureux que celui des politiques.