La crise sanitaire : un "reset" des valeurs
La crise sanitaire mondiale induirait selon les commentateurs l’avènement du leadership de l’Asie et notamment de la Chine par rapport au monde occidental. Il vrai que les désordres en Italie, en Espagne, en France ou aux États-Unis étaient difficiles à prédire. Les pénuries des fournitures de protections individuelles, les hésitations ou les contradictions dans la chaîne de décision publique ou encore les refus et rigidités dans la coordination européenne seraient les signes avant-coureurs d’un recul, face à des pays asiatiques qui, de leur côté, seraient en mesure de venir au secours du reste du monde. Comme l’occident le faisait jadis.
La censure en Asie, les atermoiements en Europe
Si les atermoiements des démocraties occidentales sont sans conteste, il faut néanmoins préciser qu’il s’agissait d’une crise « importée » par la fluidité des échanges qui supposent aussi la vitesse, la véracité et la valeur des échanges d’information, dont la Chine n’est pas un exemple à suivre. On a observé, dès le début, la censure se mettre en action et bâillonner les médecins et scientifiques qui ont alerté. Sans compter que les conditions sanitaires déplorables d'un pays dont un tiers des 1,2 milliards de chinois n’ont pas accès à l’eau potable et à un système d’assainissement. Le nombre de victimes en Chine est toujours l’objet de toutes les interrogations.
Les démocraties de l’Ouest malgré leurs atermoiements, malgré les informations très incomplètes sur le virus, arrivent – une fois la période de sidération passée – à se remobiliser. Outre les rigidités bien connues des administrations et de leurs procédures défendues par la recherche d’intérêts de chapelle ou de corps administratifs, les institutions ont su s’adapter, pour se réorganiser en un temps qui aurait été inimaginable avant la crise, notamment en Europe. Les autorités aux pouvoirs ont pris conscience que cela n’était possible qu’avec l’engagement inconditionnel des professionnels de tous secteurs privés et publics, alors que certains d’entre eux défendaient il y a peu de temps encore des politiques où la réduction de l’intervention publique restait un dogme.
Les soignants font sauter les cloisons
En premier lieu les infrastructures médicales et leur organisation, en particulier en France, ont démontré, grâce à des équipes solidement formées et malgré des moyens limités ou indigents, une surprenante capacité à jeter par la fenêtre les pathétiques cloisons et hiérarchies professionnelles pour se mobiliser sans limite. La destruction pur et simple de tout cloisonnement, l’affectation des ressources entièrement orientées vers le patient et un niveau de professionnalisme mis au service de tous, ont suscité l’admiration, la reconnaissance et éveiller des consciences et des actions d’une vaste chaîne de solidarité allant des maraîchers aux restaurateurs en passant par des couturières. Les institutions de recherche et leurs équipes se sont investies massivement dans la recherche d’un remède à l’infection. Les débats scientifiques sont devenus publics, preuve que la recherche scientifique reste dynamique et prend sa place dans la sphère publique. Le savoir est un bien public en démocratie et c’est ce savoir qui permettra de vaincre cette pandémie. La large diffusion du savoir et des savoirs nouveaux est un facteur clé de réussite de notre civilisation. L’économie de la connaissance comme on l’appel est une force critique dans laquelle il conviendra d’investir, sans doute, bien plus.
La transition numérique entre dans les faits
En deuxième lieu la digitalisation ou la numérisation de nos activités a maintenant débuté. Le commerce en ligne commence à intéresser petits commerces et restaurateurs et pas seulement les grands groupes spécialisés. Mais personne n’aurait pu imaginer qu’en confinant massivement la population, les forces productives – qu’on redécouvre et qu’on valorise -auraient réussi à poursuivre leurs activités. Le télétravail touche en France 20% à 25% de la population active et cela induit du décloisonnement spontanément et de l’intelligence collective. Des collègues s’auto-organisent en groupe, tous interagissent instantanément à un message, communiquent, s’entraident, et trouvent des solutions pour poursuivre leurs activités, malgré des matériels et des connexions non-professionnels, pour une grande partie d’entre eux. Cette intelligence collective met à mal les silos si souvent décriés mais toujours nourris et défendus par des managements jaloux de leurs positions. Des task forces s’organisent pour trouver de réponses adaptées aux enjeux ou à la demande. Ainsi la transition numérique théorisée, expliquée, « évangélisée », déployée s’est, en grande partie, faite en quelques semaines. Le management pourra-t-il en faire une source potentielle de croissance et d’amélioration du bien-être au travail, au lendemain de la crise ? Rien de moins sûr, tant les structures organisationnelles de certaines institutions sont sclérosées. Il faudra encore bien de l’énergie aux équipes auprès de leur management et des investissements, pour faire admettre les énormes coûts cachés des modes d’organisation et de travail trop exclusivement fondé sur une conception mécaniste des indicateurs de performance. Pourtant, le coût humain terrible de cette pandémie, et le coût humain latent des modalités de gestion de l’autre temps devraient inciter à une transition « communielle » qui rende les modalités de travail et de développement moins destructrices de ressources, et plus fermement attachés à des valeurs qui permettent de surmonter des crises énergétiques, des crises sanitaires, des crises climatiques et autres crises humanitaires. Le concept de croissance doit sans doute être revu à l’aune d’une nouvelle voie de production de richesse, une richesse commune.
Le retour des Etats à leur place
Enfin, les intellectuels de renoms, les hommes politiques, les prix Nobel d’économie ont alerté sur la montée des populismes, l’épuisement des modes de représentation démocratique, le décrochage des élites de la réalité, l’exclusion sous toutes ses formes, les processus de résurgence de la violence, …etc. L’impression qui résultait des différentes contributions faisait craindre une sorte de retour en arrière. La période de confinement n’a pourtant pas renforcé cette impression de retour aux pires moments de l’histoire du XXeme siècle. Bien sûr les comportements et déclarations de quelques-uns des chefs d’Etat démocratiques, à travers le monde, continuent à nous garder en alerte. L’incivilité aussi reste presque endémique parfois. D’autres Etats ont su faire preuve de plus d’humilité et se sont mis à l’écoute des scientifiques. La solidarité des états voisins a fait nécessité et des patients français et italiens sont soignés dans les hôpitaux allemands, suisses et luxembourgeois ; un essai européen est mené pour trouver des médicaments efficaces pour enrayer et arrêter la pandémie. Des discussions difficiles finissent par aboutirent et montrent qu’au-delà de la persistance de difficultés, la solidarité a été poussé d’un cran. Les Etats européens vont-ils réussir à avoir une réponse commune et crédible sur le plan économique ? Dans tous les états, des aides financières incommensurables vont être injectées dans l’économie pour la soutenir. La générosité fait sa part, venant des entreprises et des nombreuses initiatives individuelles. Air Liquide et d’autres industries fabriquent pour accompagner l’effort de « guerre » pour fournir des dizaines de milliers de respirateurs ou des fournitures de protection. En France, la réserve sanitaire et civile enregistre un doublement du nombre de volontaires inscrits. Où est passé le repli sur soi que nous faisait craindre les analystes ?
Certes la critique systémique des pays de l’Ouest n’était pas infondé, mais les raisons d’espérer demeurent. Face aux maux maintes fois soulignés, aux nationalismes de tous bords en Europe et ailleurs, aux phénomènes d’information alternatives à la sauce Fox News, la résistance organisée autour de l’économie de la connaissance, de la digitalisation et des solidarités ouvrent des voies d’un retour des démocraties occidentales. Celles-ci ne sont pas engagées dans une voie sans issue, mais sont peut-être à « la croisée des chemins », là où les choix qui seront faits, engageront l’avenir. « Wait and see » ce qu’on peut réaliser en partageant un pessimisme de chemin et un optimisme de but.
L’essentiel, c’est le courage du collectif
Nous avions perdu de vue l’essentiel. Nous avions confondu la productivité et le confort matériel avec l’accomplissement et... le bonheur. Le courage sera nécessaire pour changer les choses comme bien des professionnels au premier rang desquels les soignants, nous l’ont démontré. Ce que nous n’étions pas capable de faire collectivement ou individuellement par nous-mêmes, nous est imposé de façon radicale par les évènements, au prix d’un drame humain. Finalement, il n’y a pas de réponse plus apaisante que de regarder en face la réalité du moment, d’accepter ce qui doit l’être et de continuer, le mieux possible, d’agir en direction de ce qui nous importe, les valeurs humaines. (E.G)