La crise, une mise à l'épreuve de nos valeurs
Toute crise est une mise à l’épreuve de soi - elle révèle l’authenticité de nos valeurs et leur capacité à nous guider. Cela est vrai pour une personne, une entreprise, une nation. Souvent subie et non choisie, il faudrait pourtant que nous en sortions au plus vite pour que « tout redevienne comme avant ». En réalité, toute crise transforme : nos manières de penser, de comprendre le monde, d'agir.
Suite à la loi PACTE du 22 mai 2019, de nombreuses entreprises se sont lancées dans la formulation de leur raison d’être, de leur mission et de leurs valeurs. Mais c’est si elles sont réellement éprouvées que celles-ci prennent tout leur sens. Aujourd’hui, la crise questionne les entreprises de deux manières : d’un côté, elle éprouve la capacité d’une raison d'être et de valeurs à servir de guides pour l’action. D’un autre côté, elle révèle la manière, lumineuse ou moins glorieuse, dont chacune se comporte effectivement. "Ce sont les circonstances difficiles qui révèlent les hommes", nous dit le philosophe stoïcien Epictète. (1)
« Ce sont les circonstances difficiles qui révèlent les hommes » (Epictète).
Le double moment de la crise : sursaut et décision
Rappelons-nous d’où vient le mot : l’étymologie latine (crisis) renvoie au moment paroxystique d’une maladie. L’étymologie grecque (krisis) renvoie au jugement, le moment charnière où tout se décide. Il y a donc dans la crise un double moment : un premier moment de sursaut dans une situation globale de mal-être qui ne convient plus à l’épanouissement de notre être. Il faut que le foetus traverse la crise qu’est la naissance pour continuer de vivre – sa transformation est la condition-même de sa survie. Un deuxième moment de décision, pour actionner les ressources, en particulier intérieures, qui vont nous permettre d’évoluer et en sortir renouvelés.
La crise vient donc poser deux questions essentielles : si elle est l’acmé d’une maladie, de quoi sommes-nous malades ? Pour nous en tant que société, qu’est-ce qui ne fonctionne plus dans notre manière d’être ensemble, de penser et d’agir ? Cela fait plusieurs années que les entreprises parlent de manque de sens : serait-ce la maladie dont nous souffrons collectivement ? Deuxième question : si la crise est une étape dans un chemin d’évolution, que voulons-nous garder et que devons-nous décider de faire évoluer, de transformer, pour non pas sortir de la crise (toute crise se termine), mais pour redonner du sens à nos vies et à nos collectifs ? En France actuellement, ces questions se posent à l’évidence à propos de notre système de santé. Mais en réalité, et parce que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, cette crise est mondiale – chacun d’entre nous est touché d’une manière ou d’une autre –, ces questions se posent à tous les niveaux : individu, entreprise, nation.
La crise questionne notre raison d’être et nos valeurs
Le psychiatre et logothérapeute Viktor Frankl, rescapé des camps de concentration écrivait : « il ne nous incombe pas de demander quel est le sens de la vie puisque nous sommes questionnés par la vie. Autrement dit, c’est à nous-mêmes qu’il revient de répondre aux questions que la vie nous pose, et, à ces questions, nous pouvons seulement répondre en nous montrant responsables de notre existence. » (2) Ces questions sont encore plus saillantes en période de crise. Aujourd’hui, si l’on n’y répond pas, le risque est de mourir.
"Nous sommes questionnés par la vie. (...) A ces questions, nous pouvons seulement répondre en nous montrant responsables de notre existence." (Viktor Frankl)
Pour les entreprises, raison d’être et valeurs sont des sujets essentiels à aborder pendant la crise, même si certaines relèguent ces considérations à l’après-crise. Pourquoi ? De la solidité de la raison d'être et des valeurs dépendra la capacité des dirigeants à prendre des décisions justes et fondées, parce que reliées à une aspiration plus grande. Ces décisions ne sont pas légères et mettent en jeu la vie et la survie, physique et mentale, des personnes et des organisations elles-mêmes. C’est précisément à ce moment-là que raison d’être et valeurs peuvent servir de boussole intérieure, de guide pour l’action. De manière très pratique : comment assurer la vie matérielle de collaborateurs qui se retrouvent, même temporairement, sans travail ? Comment entretenir des liens de qualité malgré la distance et le confinement, et le sentiment d’inutilité et de manque de sens qui peut s’emparer de certains ? De quelle manière l’entreprise contribue-t-elle au bien commun ? C’est ce que l’entreprise fera qui exprimera ce qu’elle est, qui révélera les dirigeants et les équipes, et non ce qu’elle proclame. Qu’est-ce qu’une raison d’être si ce n’est ce sans quoi je ne suis plus moi-même ? Que sont des valeurs si ce ne sont des guides, en particulier quand nous ne savons plus quoi faire ?
Mettre en cohérence nos aspirations et nos actions
Si une entreprise affiche son souci de la responsabilité, son attachement au courage, à la solidarité, à la confiance, en quoi, aujourd’hui, l’est-elle effectivement ? Ces mots, pour ne pas être vidés de leur sens, doivent être incarnés et discutés, remis en mouvement. Ce sont peut-être notamment ces concepts qui ont servi de guides aux entreprises ayant refusé d’avoir recours aux aides de l’Etat et au chômage partiel, assurant 100% du salaire de leurs collaborateurs qui ne pouvaient plus travailler pendant le confinement.
Quel genre de personne voulons-nous être ? Quel genre d'entreprise voulez-vous être ?
Il y a plus de 2000 ans, Epictète nous invitait à nous questionner : « Quel genre d’homme veux-tu être ? (note de l'auteure : pour une entreprise : quelle genre d’entreprise veux-tu être ?) Commence par te le dire à toi-même ; après quoi, règle tes actes sur ce modèle. (...) Les athlètes commencent par décider à quelle catégorie ils désirent appartenir, et alors ils agissent en conséquence » (3). Lorsque Frodon Sacquet, le héros du Seigneur des Anneaux, rentre chez lui après les épreuves l’ayant amené à sauver le monde des hommes, il se retrouve face à lui-même et se dit que la vie ne pourra plus jamais être comme avant, même si en apparence, elle redevient même (même maison, mêmes villages, mêmes personnes). Une crise peut modifier profondément notre personne, nous révéler et nous mettre au défi d’être nous-mêmes.
1 Epictète, Entretiens, (Livre 1 - 24), ed. Mille et Une Nuits
2 Viktor Frankl, Le sens de ma vie, autobiographie, ed. Dunod, 2019
3 Epictète, Entretiens (Livre 3 - 23), ed. Les Belles Lettres, 2019
Apprenez à communiquer pour renouer le dialogue - Experte en Qualité Relationnelle
4 ansMerci pour cet article qui pose les bonnes questions, à mon sens. J’adore votre analyse et elle fait écho à mon cheminement personnel. Définir ses valeurs, sa raison d’être ou ses aspirations profondes, pour trouver ensuite le chemin qui y mène.
Exploratrice des singularités * Cheminer vers soi et rendre le futur possible
4 ansMerci Flora Bernard pour ce texte magnifique ! Je partage votre vision. Les valeurs ne prennent sens qu’à l’épreuve du réel. En période de crise, il n’est plus possible de se cacher derrière des mots il faut les ancrer dans la réalité, dans la matière. Pour que cette crise ne soit pas vaine, même si elle est douloureuse pour beaucoup, il est important que chacun se questionne «Que vais-je changer ? Quelle sera ma contribution au monde ? »
Dirigeante fondatrice de peRhequaZione Ressources Humaines
4 ansMerci Flora de situer la réflexion avec toujours autant de pertinence et de justesse. C'est très aidant !
Philosophe, professeur, conférencier, écrivain, intervenant dans les médias
4 ansVive Épictète ! Que son Manuel soit gratuit et en papier recyclé. Qu un éditeur se lance...