La décision du beau

Je viens de répondre à un énième post sur LinkedIn qui mettait en scène un amoncellement de poubelles, comme on en croise à chaque coin de rue de la capitale française en ce moment. Avec ce postulat définitif : Paris est devenu laide, repoussante. (Pas de panique, ce billet ne sera pas politique...quoique, tout est politique non?).

Oui les agents municipaux sont en grève.

Comme c'est le cas dans la plupart des grandes villes, comme ça a été le cas à Marseille pendant de nombreuses semaines, en Italie, et même en Allemagne…

Et effectivement en ce moment, je comprends que cette situation soit très "photogénique" pour les réseaux sociaux. C'est un parcours urbain géant inédit en mode Pac-Man pas très ragoûtant qui s'impose aux citadins. Nombreuses photos sur les réseaux sociaux à l'appui.

Mais alors pourquoi ces entassements de photos et ses commentaires de validation associés m'ont fait réagir? Certainement parce que ces mises en scène parfaites avaient comme objectif d'exhaler la laideur, et surtout d'en tirer une conclusion définitive sur la supposée fin de la beauté de Paris. Une photo qui résumerait à elle seule sa chute irrémédiable.

Sans crier gare, quelque chose a grincé en moi. Et s'est allumé aussi.

J'ai immédiatement pensé : c'est intéressant qu'en étant exposé à ces photos mettant en scène son contraire, le concept du beau surgisse dans mes pensées, impérial, avec une étonnante urgence. Comme s'il m'était soudainement demandé de défendre le beau, qui avait été volontairement ignoré sur ces clichés, au profit d'une accumulation de laid. Comme si le beau était attaqué, et qu'il fallait gonfler les rangs de ses défenseurs. Le symbole de Paris, reconnue dans le monde entier comme l'une des plus belles villes du monde n'est qu'un prétexte, il aurait pu s'agir de Bastia, de Charleville-Mézières ou du Puy du Fou le sujet n'est pas là. Ce n'est pas Paris qu'il me fallait défendre, elle se défend très bien toute seule, mais bel et bien la décision de voir et transmettre le beau, concept abstrait et protéiforme.

L'objectif ici ne sera pas de me lancer dans une envolée philosophique de ce qu'est le Beau, avec une majuscule, tant ses définitions varient. Transcendance chez Platon, Grandeur et ordre chez Aristote, Ce qu'on ne peut vouloir changer chez Simone Weil, etc...une définition par philosophe. Ce sujet est infini.

Partons simplement d'une conception basique du beau en tant que catégorie esthétique.

Renouer avec le beau, s'y réfugier, s'en servir comme une arme contre toutes les laideurs du monde me semble être une décision. Il existe tant d'endroits dans le monde où la quête du beau est devenue une mission quasi impossible. Ou l'idée même de se relier au beau n'a plus de sens tant la dureté des conditions de vie écrase tout. L'actualité nous le prouve à chaque instant. Alors quand il est devant nos yeux, à notre portée, s'y connecter (ou pas) est une décision. Savourons cette chance. Il suffit parfois d'un léger décalage de point de vue.

Je vous livre cette magnifique citation de Sénèque, qui fait le lien entre curiosité et jouissance du beau :

"La nature nous a attribué l'esprit de curiosité, et consciente de son talent et de sa beauté, elle nous a fait naître pour être les spectateurs du si vaste spectacle de ses œuvres".

Eprouver le beau serait donc un don que nous avons tous reçu à la naissance, et que nous décidons d'utiliser...ou pas.

Je vois venir la fine équipe (toujours les mêmes, cœur sur vous) qui vont me rétorquer encore une fois que c'est la méthode Coué tout ça. Qu'effectivement en ce moment, même en cherchant le beau entre les pyramides de déchets, on est vite à nouveau confrontés à des images et des odeurs qui nous en éloignent. Oui, c'est tout à fait vrai. Je ne le nie pas, je ne fais pas comme si ça n'existait pas, je ne chante pas des mantras pastels en mode psychologie positive tout en gambadant gaiement telle une licorne, la jambe et la corne légère, entre les bacs recyclés.

En revanche, je prends une décision : ce qui existe en parallèle est notre envie de trouver parmi ce laid (temporaire) des raisons d'entrapercevoir du beau. De porter notre regard sur un détail, même infime, qui nous fera entrer en résonance avec une image, un son, un regard, un extrait de nature qui nous font du bien.

Renouer avec le beau et surtout souhaiter le partager, le transmettre est une décision.

Tenter d'agir pour améliorer ce qui ne l'est pas en est également une.

Et les deux sont parfaitement compatibles.

Ce billet coïncide avec la sortie en kiosques du nouveau numéro d'une revue qui a décidé de s'emparer du beau et le porte fièrement dans son nom : BEAU Magazine. Un condensé de propositions optimistes pour rassembler celles et ceux qui continuent à y croire et souhaitent mettre en avant leur vision du beau.

Et si vous rejoigniez ce mouvement?

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