La dernière révérence de Cavanna

La dernière révérence de Cavanna

Disparu en janvier 2014, une année avant l’attaque terroriste contre «Charlie Hebdo», hebdomadaire qu’il a fondé avec le professeur Choron (Georges Bernier), François Cavanna donne un livre posthume plein de colère et de tendresse. Lire l’article de Jean-Bernard Vuillème paru dans "Le Temps".

Crève, Ducon ! Ce titre peu réjouissant, mais bien dans la veine de cet humoriste doué, dessinateur avant de prendre la plume, devenu un formidable chroniqueur et écrivain, n’a rien de gratuit. Il s’agit de la dernière phrase tracée par ce jusqu’au-boutiste qui s’était juré, malgré la maladie et le grand âge, d’écrire jusqu’à son dernier souffle. Au début de cet ultime texte court, intitulé Elégie, page 229, on trouve ce passage superbe : « […] il s’en fout le temps. Il charrie des choses, le temps. Sur son dos. Des déchets, des saloperies, des serments, des contrats, des traités, des fiancées, des jeunes mères, des orphelins encore plus jeunes, des fœtus, des vieux cons, des moins vieux… Il chie tout ça dans la grande mer de l’oubli […] ».

Rien n’est gratuit chez Cavanna, de son premier livre à succès, Les Ritals, en 1978, où il racontait son enfance de fils d’immigré italien et de mère française dans les rues de Nogent-sur-Marne, jusqu’à ce titre posthume qu’il voulait être « quelque chose comme un chant du cygne ». Cette œuvre très autobiographique, fouaillant l’âme humaine sous l’anecdote plus ou moins savoureuse, peut sembler naturelle et « facile » d’un premier regard. Une écriture à « l’air popu » avec ses « ousque », son absence de négation et ses tournures d’oralité recherchées, mais qui est certainement très travaillée. On y détecte aussi quelques mots rares comme l’adjectif « morvandelle ». C’est celle d’un homme qui a créé un style populaire dans l’exigence. Sa qualité essentielle est de procurer un vrai plaisir de lecture, fût-ce hochant du chef en pensant qu’il exagère.

Dent dure et regard tendre

Bien sûr, le vieux Cavanna n’est pas très optimiste dans ce livre qu’il concevait, à 90 ans, comme une suite à Lune de miel (2011), où il décrivait déjà son déclin et racontait des souvenirs du service du travail obligatoire (STO) en Allemagne durant l’Occupation et de l’aventure Hara-Kiri et Charlie Hebdo.

Dans ce livre posthume, enchaînant des textes brefs, il revient quelquefois sur ces sujets. Il peste contre la maladie qui l’accable, cette « Miss Parkinson et sa suite ». Il s’énerve contre l’impossibilité de ne pas mourir à la fin. Des personnages adoucissent son présent, «la petite Virginie » (Virginie Vernay, assistante et complice des dernières années), son épouse Tita. Apparaissent encore les fantômes du professeur Choron, de Delfeil de Ton, Reiser et cie. Il parle sans ménagement, parce qu’il y était pour son premier roman, de la fameuse apparition d’un Bukowski très aviné dans un Apostrophes de Bernard Pivot en 1978. Il y a chez Cavanna un art d’avoir la dent dure et le regard tendre.

Même s’il aurait probablement porté ici et là quelques retouches de détail à ce Crève, Ducon ! on y retrouve un Cavanna littérairement intact, avec son irrespect savoureux et son œil très aiguisé sur la comédie humaine, sans négliger ses propres travers. On lui dirait bien « à la prochaine », s’il se pouvait.

Roman / François Cavanna / Crève, Ducon ! / Gallimard, 232 p.

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