La fac de Droit irait-elle… droit dans le mur ?
Comme tout juriste qui se respecte, je me devais de faire cette blague douteuse et provocatrice.
En effet, on entend tout et son contraire sur l’enseignement supérieur français. « Il s’agit du meilleur système au monde », « C’est un système à deux vitesses », « le niveau des étudiants est en chute libre », « nos universités sont mal classées », etc.
Le problème proviendrait d’après la plupart des spécialistes du « système universitaire » en lui-même. Les structures de gouvernance et de gestion ne seraient plus adaptées. En 2012, le professeur Patrick MORVAN s’insurgeait déjà dans les tribunes du journal Le Monde contre les fameux « masters de complaisance » et l’évaluation des professeurs par leurs paires.
Le principal problème de la fac de Droit
De mon point de vue, un autre problème plus profond cause du tort à l’université française. Ayant fait plusieurs années en Droit, je ne me permettrai d’illustrer mes propos qu’au travers de cette spécialité.
Le principal problème de la fac de Droit aujourd’hui est l’absence d’innovation pédagogique. Cela se traduit bien évidemment par le taux d’échec au cours des premières années. Mais il est également possible d’observer des lacunes lors de l’insertion professionnelle des diplômés de Master 2.
L’enseignement supérieur repose aujourd’hui essentiellement sur des cours magistraux. Un sachant (le professeur) récite un cours pendant deux ou trois heures (traduisez dans la majorité des cas : lit son livre en vente à la librairie au coin de la rue), à des étudiants ayant dû souvent se lever très tôt, et lessivés par le rythme de travail qu’on leur impose (depuis leurs 6 ans au passage).
Comment voulez-vous que cela fonctionne ?
Parfois, vous tomberez sur un professeur passionné par son métier. Son cours ressemblera généralement à un spectacle de stand-up, à une représentation théâtrale.
Mais pourquoi la majorité des professeurs ne se consacrent pas autant à leurs cours ? Pourquoi ne ressentons pas davantage leur passion ?
Tout simplement parce que le système n’est pas conçu pour valoriser ce type d’investissement. La passion n’est que très rarement valorisée. Pour faire simple, lorsque l’on devient professeur de Droit, deux obligations doivent être remplies :
- Donner des cours,
- Effectuer des travaux de recherches.
Or, la notation, comme la reconnaissance des professeurs, n’a lieu en réalité que sur les travaux de recherches réalisés. Ces travaux d’ailleurs, débouchent parfois sur des « commandes » de commentaires (ou notes de doctrine) de certains cabinets d’avocats à des professeurs reconnus dans des revues prestigieuses afin d'appuyer leur position devant les magistrats (autrement dit pour les influencer dans leur décision) pour une « reconnaissance » pouvant être très alléchante (nous sommes bien d’accord, cela reste entre nous ?).
Mais revenons à ce qui nous intéresse aujourd’hui : la pédagogie !
En plus du scandale des cours magistraux, un étudiant en Droit ne dispose généralement que de 3 corrections sommaires par matière en 3 mois environ (un semestre). Comment voulez-vous progresser lorsque l’on ne vous indique pas :
- Que vous avez commis des erreurs ?
- pourquoi vous les avez commises ?
- et comment faire en sorte de ne plus les commettre ?
Le pire dans toute cette histoire est peut-être le contenu de ces corrections. Elles sont généralement expéditives. Un trait rouge, un « B », une note. Voici à quoi se résume 80% des copies de 80% des chargés de TD aujourd’hui. Des doctorants que l’on a parachuté devant des classes de 40 étudiants, qui n’ont aucune passion pour l’enseignement et se contre-fichent des résultats que pourront obtenir leurs élèves.
Rares sont les chargés de TD qui sont dignes de leur poste. Mais peut-on vraiment leur en vouloir ?
Après tout, ils n’ont rien demandé. Ils ne souhaitaient que rédiger leur thèse, comme le professeur dans son amphithéâtre qui ne souhaitait faire que de la recherche, point.
Alors ne faudrait-il pas réformer le système au moins sur ce point ?
Plutôt que d’avoir les meilleurs juristes et chercheurs face aux étudiants, ne faudrait-il pas rechercher les meilleurs pédagogues parmi les juristes, même moyens ?
Pour revenir sur les corrections, il convient d’indiquer qu’elles sont généralement toutes notées. Nous n’avons donc pas le droit à la moindre erreur. Or, comme le dit l’adage « C’est en se trompant que l’on apprend ». Supprimer les notes dans leur totalité n’est peut-être pas la solution, mais multiplier les corrections non sanctionnées par une note me paraît un bon début.
Nous avons passé en revue les principaux problèmes de la pédagogie à la fac de Droit. Et pourtant, jusque-là, nous n’avons qu’effleuré la question. Comment repenser ce système universitaire ? Quelles solutions apporter pour enfin remédier aux défis d’aujourd’hui et de demain ?
Cela ne passera évidemment pas par l’achat de MacBook et la mise en ligne de la bibliothèque de la fac. Je vous donne donc rendez-vous prochainement pour découvrir mes propositions pour réformer l’université française et permettre à chaque étudiant d’accéder à un enseignement de qualité.
EN REECRITURE
6 ansBon article, qui me rappelle mes deux ans de droit (le DEUG vous vous souvenez ?). C'était beaucoup de "par cœur", ce qui m'a dissuadés de poursuivre dans cette voie, mais cela m'a quand même donné des bases utiles (et c'était la voie royale pour intégrer l'IPAG dixit le directeur de l'IPAG en question).
Stratégiste Contenu | Experte Copywriting B2B, Tech & RH | Optimisation marketing en période de transformation
6 ansMerci de cet article Damien qui me rappelle bien de (mauvais) souvenirs... 5 ans de droit pour moi et je l'ai quitté dès que j'ai pu... Si c'était à refaire, jamais je ne referais des études de droit. La fac de droit tue les vocations, ne parlons même pas de la créativité (le grand néant).
LiveMentor + 23h59, directeur de collection @Eyrolles, au micro de @Métamorphose
6 ansBravo ! super article !
Chef de Projet de Transformation
6 ansPour ma part, j'enseigne depuis 12 ans, en TD de Droit, parallèlement à mon activité professionnelle, et c'est une passion : souci de transmettre aux étudiants et de les armer pour l'examen et la vie pro et d'assurer leur progression. Mais je dois avouer que : - pour les matières obligatoires bon nombre d'étudiants (heureusement il y a des exceptions) est dans une logique de consommation et non d'intérêt pour la matière qu'il auront totalement oubliée 1 mois après l'examen (à quelle sauce vous allez me manger - sous entendu ça va être facile j'espère et on ne va pas trop bosser tout de même et encore moins essayer de réfléchir pour les 2 premières années de licence) - rémunération relevant du bénévolat (ratio temps/indemnisation inférieur au smic pour ceux qui essaient de faire les choses correctement) avec un délai de règlement anormalement long (a minima 6-7 mois) - aucune différence n'est faites sur les premières années entre ceux qui font le job et d'autres : tout ce qui compte c'est d'avoir les enseignants en nombre suffisant pour assumer le public. Que faire donc ? : s'appuyer sur des professeurs et maîtres de conf qui ont conscience des enjeux pédagogiques et s'appuient sur une équipe qui partage certaines valeurs...
Responsable des ressources humaines
6 ansExcellent article, je partage votre avis à 200% ! Moi-même étant un juriste "moyen", je n'ai pas pu faire de thèse (faute de financement car bon mémoire de recherche en M2), donc pas pu m'orienter vers ce métier passionnant que me semble être l'enseignement en fac, et ce, malgré deux Masters 2 (droit du travail et histoire du droit)... Vous résumez à merveille ma pensée en utilisant cette phrase : "Plutôt que d’avoir les meilleurs juristes et chercheurs face aux étudiants, ne faudrait-il pas rechercher les meilleurs pédagogues parmi les juristes, même moyens ?" Rien à ajouter, si ce n'est un grand merci à vous.