La fausse ouverture à gauche : quand Macron recrute à gauche pour mieux régner à droite
Éric Lombard : une fausse ouverture à gauche pour un néolibéralisme renforcé
Le 23 décembre 2024, Éric Lombard a été nommé ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Cette décision, saluée par certains comme une preuve d’ouverture d’Emmanuel Macron vers la gauche, est en réalité un coup stratégique pour consolider une politique profondément néolibérale. Ancien cadre des Gracques, un think tank prônant un "socialisme du marché", Lombard incarne une forme de gauche qui s’est depuis longtemps alignée sur les dogmes de la mondialisation et de l’austérité.
Les Gracques : une "gauche moderne" pour un État minimal
Éric Lombard s’est fait connaître par son appartenance aux Gracques, un groupe de réflexion fondé en 2007. Leur manifeste, publié après la défaite de Ségolène Royal, proposait une refonte complète de la gauche autour d’un programme économiquement libéral. Ils défendaient notamment l’idée que "l’économie de marché est une bonne chose", car elle permettrait de générer des richesses redistribuables. Cependant, leur vision de la redistribution excluait toute augmentation des impôts, préférant "mieux distribuer la dépense publique". En pratique, cela signifiait que l’État devait intervenir uniquement pour corriger les excès du marché, et non pour en dicter les règles.
Ce discours, séduisant sur le papier, a largement influencé le programme d’Emmanuel Macron en 2017, où la réforme du travail, l’assouplissement des normes et les baisses d’impôts pour les entreprises dominaient l’agenda. Lombard, fidèle à cette ligne, a contribué à populariser une version "modernisée" de la gauche qui, en réalité, désarme l’État face aux logiques de marché.
Une continuité idéologique au service de la Macronie
La nomination d’Éric Lombard à Bercy est loin d’être anodine. Depuis 2017, Emmanuel Macron a perfectionné l’art de recycler des figures de gauche pour asseoir un projet avant tout néolibéral. L’alliance avec François Bayrou lors des élections de 2017 a marqué un tournant stratégique, en offrant à la Macronie une façade centriste et ouverte. Lombard, qui partage cette culture de compromis apparent, est l’héritier parfait de cette tradition. Son parcours dans la finance (BNP Paribas, Generali) et à la tête de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) renforce cette image d’un technocrate polyvalent, capable de parler autant aux élites économiques qu’aux électeurs séduits par des idéaux progressistes.
Cependant, cette façade ne résiste pas à l’analyse. Les politiques prônées par Lombard restent profondément austéritaires : réduction des dépenses publiques, flexibilité du marché du travail, et discipline budgétaire stricte. À titre d’exemple, les Gracques ont soutenu les mesures imposées à la Grèce en 2015, malgré leurs conséquences désastreuses sur les classes populaires. Lombard, loin de proposer une alternative à cette ligne, en est l’un des défenseurs les plus zélés.
Une gauche instrumentalisée pour séduire, pas pour transformer
La stratégie d’Éric Lombard repose sur un langage soigneusement calibré. Dans son livre Au cœur de la finance utile, il se proclame homme de gauche tout en défendant des positions que même certains libéraux qualifieraient d’orthodoxes. Cette dualité reflète une volonté de s’approprier le vocabulaire progressiste sans en appliquer les principes. Ainsi, lorsqu’il parle d’un "capitalisme responsable", il ne propose rien qui s’écarte de l’ordre économique existant. Les propositions comme une plus grande participation des salariés dans les entreprises, bien que séduisantes en surface, se limitent à des ajustements symboliques, loin de toute remise en cause du pouvoir patronal.
Cette instrumentalisation s’étend également à la gauche politique. Olivier Faure, leader du Parti Socialiste, a récemment qualifié Lombard d’"homme de gauche". Pourtant, cette proximité avec certains leaders de gauche n’empêche pas Lombard de mener des politiques en contradiction totale avec les aspirations populaires. Sa nomination à Bercy illustre le piège tendu à une gauche déjà affaiblie : servir de caution morale à des politiques qui renforcent les inégalités.
Une politique dépassée, mais dangereusement tenace
La vision économique défendue par Lombard et les Gracques s’inscrit dans une époque révolue. Le néo-schumpétérisme, qui prétend que des "réformes structurelles" généreront une croissance suffisante pour compenser les sacrifices sociaux, ne fonctionne plus dans un contexte de stagnation économique. Depuis la crise de 2008, les promesses d’un capitalisme "tempéré" se sont fracassées contre les réalités d’un système qui produit toujours plus d’inégalités.
Pourtant, la Macronie persiste dans cette direction, comme si le simple fait de l’habiller d’un discours "progressiste" suffisait à en faire une vérité. En réalité, cette obstination reflète un aveuglement idéologique. La nomination de Lombard à Bercy n’est pas seulement un choix stratégique ; c’est un symbole de l’anachronisme d’un pouvoir qui refuse d’admettre les limites de son modèle.
Conclusion : une façade à décoder
Le cas Éric Lombard illustre une tendance inquiétante : l’effacement des frontières idéologiques au profit d’un discours uniformisé, où le néolibéralisme se présente comme l’unique voie possible. Si cette stratégie permet à la Macronie de neutraliser ses opposants, elle prive également le débat démocratique d’alternatives réelles.
En posant cette question aux lecteurs : la gauche peut-elle encore exister en dehors de ce cadre, ou doit-elle impérativement se redéfinir pour peser face à un pouvoir qui sait si bien jouer des apparences ?