« La faute du distanciel », vraiment ?
Lors d’un cours sur les techniques d’animation avec mes étudiants l’autre jour, l’un d’entre eux me propose d’animer - dans le cadre des travaux pratiques – une réunion sur le thème « comment animer efficacement un cours en visio-conférence ? ». Je lui demande pourquoi il souhaite choisir ce sujet ? « Parce que pendant le confinement, lors des cours en visio (en général), on s’est ennuyé. Il n’y avait pas assez d’interactions. »
Ce serait donc la faute du distanciel…
Vraiment ? 🤨
Je trouve le sujet particulièrement intéressant parce que, bien que rompue aux techniques d’animation à distance, j’ai eu pas mal de défis pédagogiques avec ce groupe d’étudiants justement : plusieurs refus d’allumer les caméras, interactions sporadiques et pas forcément spontanées, peu d’idées générées lors des travaux collaboratifs sur Klaxoon, etc.
Je ne veux pas noircir le tableau. Certains étudiants ont joué le jeu mais, dans l’ensemble, chaque session a été un moment très énergivore de mon côté pour les faire contribuer, réfléchir, ou produire. J’y reviendrai.
Je suis donc curieuse de les entendre sur le sujet.
Lorsqu’il débute sa réunion, l’intention de l’étudiant animateur est de solliciter ses camarades, sous forme de brainstorming. La question posée est la suivante :
« Quels conseils peut-on donner pour rendre les cours à distance plus intéressants et participatifs ? »
De mon côté, je suis en posture d’observation (et notation) de la séquence. Je ne participe pas aux échanges.
Voici un extrait de leurs propositions :
- Adapter le cours au format distanciel (durée et pédagogie)
- Vérifier que tout le monde est équipé correctement (connexion, webcam…)
- Faire participer au moins 2 fois par cours chaque étudiant en l’interrogeant
- Utiliser un outil collaboratif (comme Klaxoon par exemple, que je leur ai fait découvrir)
- Noter la participation
- L’intervenant doit allumer sa caméra
- Faire travailler les élèves en groupe
- Mettre en place des activités dynamisantes (icebreaker, energizer…)
- Proposer des jeux pour bouger physiquement de temps en temps (surtout lorsque les cours en visio durent 4 heures)
- Organiser des débats
- Faire des quiz et jeux en ligne
- Pour obliger les étudiants à allumer leur caméra, faire un jeu de type « celui qui éteint sa caméra a perdu »
- Obliger les étudiants à allumer leurs caméras quand ils parlent
- Proposer des séances à thèmes, voire demander de venir déguisés
- Créer des séances flash de type « slide show impro » : 5 minutes pour défendre une idée créative…
Je suis assez interpellée par leurs propositions, que je trouve globalement très pertinentes, tout à fait en phase avec ce que je préconise par ailleurs dans mes accompagnements en ingénierie pédagogique à distance.
Alors, pourquoi suis-je interpellée ?
Parce que, bien qu’ayant testé avec eux pendant le confinement la plupart des idées listées par les étudiants, j’ai, comme je le disais, rencontré beaucoup de difficultés avec ce groupe : pour les mobiliser, les faire interagir, leur faire allumer caméra ou micro… Je n’ai découvert le visage de certains que lors de la reprise en présentiel, c’est dire… Comme j’aime les cours participatifs, les pédagogies actives, les jeux, je me suis creusé la tête à chaque séance, j’ai cherché des ressources, j’ai imaginé des approches différentes, interrogé des pairs. Je me suis même résolue à noter la participation alors que je déteste cette idée. Mais sans constater de progrès notable à chaque fois.
Etrange paradoxe.
Mais une conversation récente avec Caroline Roussel m’a fait réfléchir sur 2 points :
1/ nous sommes co-responsables d’une situation.
Dans le cas de ces cours à distance où les caméras restaient éteintes, et la participation très faible, chacun de nous a-t-il pris sa part ? De mon côté, j’ai cherché des solutions, interrogé, interpellé. Je n’ai sûrement pas fait tout parfaitement, mais j’ai fait tout mon possible pour modifier la situation.
Je suis donc responsable des choix que j’ai faits pour rendre ces cours participatifs, pas responsable de ne pas y être parvenue autant que je le souhaitais.
De leur côté, certains ont essayé, ont réagi. Ils ont fait le choix de ne pas subir les 4 heures de cours en visio de manière passive.
D’autres sont restés en retrait. S’ils se sont ennuyé, n’ont pas pris part aux échanges, n’ont pas cherché à discuter avec leurs enseignants des problèmes vécus en cours, ils ont finalement fait le choix d’accepter cette situation.
Ce n'est pas la faute du distanciel, c'est une histoire de choix.
2/ La meilleure ingénierie pédagogique du monde, présentielle ou distancielle, ne peut malgré tout pas grand-chose face à un manque de sens et de motivation intrinsèque.
Tant que ce que l’on propose d’apprendre ne résonne pas au fond de celui qui écoute, le puits reste sans fond. Et si, en tant qu’enseignante, j’ai fait ce que j’ai pu pour donner du sens, un contexte, une projection possible, je dois juste accepter de ne pas y être arrivée avec tous, c’est-à-dire accepter de prendre l’apprenant comme il est, ici et maintenant, avec son bagage, sa maturité, son envie, ses difficultés.
Et continuer de croire que ce que j’ai semé, malgré tout, a une chance de germer un jour…
Gérante de Com3Elles, agence de communicaton et 🖥Graphiste, 🌍Webdesigner, 👩🏫Formatrice en communication
3 ansLe distanciel a bon dos. En présentiel beaucoup d'étudiants se laissent porter et apprécient la passivité. Ce doivent être plus ou moins les mêmes qui se cachent derrière l'écran noir de leur caméra éteinte ...
Faire de l'Humain une richesse au sein des organisations pour s’adapter, innover, tout en prenant soin de soi, de chacun pour grandir avec sens et équilibre.
3 ansTrès intéressant Ingrid. Merci pour ce partage Nous nous remettons souvent en cause et c'est super. Mais comme vous le dites bien, il y a une coresponsabilité et un contexte qui rend les choses plus complexes. Les jeunes ont eu beaucoup de mal à trouver de la force en eux, pour maintenir la motivation, pour supporter la situation en pleine construction de leur identité... J'anime aussi des cours pour les étudiants. Je n'ai pas vécu cela, mais je découpe les sessions en 1 à 2 heurs pas plus. Je pense que c'est plus facile pour garder leur attention. J'ai lu avec beaucoup d'attention votre article et je vais garder la check-list pour la revoir de temps en temps. Belle journée
✨ DRH et communication externalisée - fondatrice Flexitime Office 😀 I Présidente Association "Les Bichettes" 🌸 I Heureuse co-créatrice de La Toulousaine, maison positive et engagée
3 ansMerci pour cet article super intéressant 👏🏻 le distanciel impose une pédagogie différente et c’est parfois difficile. Merci encore pour ce partage.
Assistante pédagogique Département GE2I - Responsable des stages GEII et de l'apprentissage Formation Ingénieure Responsable pédagogique Niv6 E.U. chez OpenClassrooms
3 ansExcellente interrogation. Merci. L'année dernière, suite COVID, j'ai suivi pendant 3 mois ma formation en distanciel, un peu à "l'arrache" côté OF donc du Skype toute le journée, du PowerPoint, et aucune interactivité, aucun outil numérique... Bref, ce qu'il ne faut plus faire. Personnellement, c'était connexion, puis je vaquais à mes affaires ou mes recherches perso pour me former, etc... Et retour quand pas le choix. A la lecture de votre post, je me demande si avec une classe virtuelle au top, qui respecte tous les pré- requis, j'aurais mieux suivi. Oui, sans doute une grande partie du temps pour l'effet groupe, intelligence collective, le fun des quiz et autres stimulis... Mais pendant combien de temps ? Tous les jours pendant 3 mois ? Ce débat sur le sens, l'engagement et la responsabilité est essentiel. Merci Ingrid Sem-Le Tessier
Principale adjointe, Conseillère pédagogique de circonscription, Enseignante spécialisée, Coach certifiée RNCP6
3 ansAccueillir l'apprenant là où il est avec ses besoins, ses valeurs, ses forces, et prendre en compte la co-responsabilité ce sont justement, à mon sens, les leviers pour l'aider à trouver et développer une motivation intrinsèque. Mon rôle d'enseignante est d'accompagner l'élève à trouver sa motivation, ce qui le fait vibrer, en l'accueillant avec ce qu'il est et où il est. Si lui et moi échouons une fois, cela est peut-être parce que le sens proposé n'était pas vraiment le sien. Mais ce premier échec n'est pas une fin, mais plutôt une occasion d'apprendre et de chercher encore du sens, son sens...