La joie dissidente du geste inutile

La joie dissidente du geste inutile

A la différence de " faire " le vide, pour se donner ainsi l’occasion d’un silence mental reposant , "faire " de l’inutile relève d’une posture alternative bien différente.

 De quoi parle t-on ?

De tout geste qui viendrait se ranger dans le camp des intentions flottantes, des actions qui ne seraient motivées par aucun objectif particulier.Ces mouvements, dénués de toute orientation de résolution de problème ou d’avancée significative dans une direction donnée, sont identifiés dans nos modes de fonctionnement comme "inutiles " car inefficaces au regard d’un but à atteindre.

 Si l’on scrute quelques instants notre propre espace mental, la rareté de ce gibier singulier saute aux neurones ; les gestes affranchis de tout lien avec une quelconque efficacité ne sont pas légion, peut être même pour certains d’entre nous, ils sont inexistants, totalement absents de notre  quotidien.

 Les gestes inutiles, ces pierres précieuses, ont bien du mal à trouver de l’oxygène, des interstices, pour se faufiler dans nos économies de vie systémiques, où chaque action va produire un effet recherché (objectif), et étant elle même le fruit d’une cause antérieure ( problème).

Bref dans cette cascade "vertueuse " point de grain de sable toléré qui menacerait de ralentir notre marche en avant.

Le geste inutile est donc bien celui qui va retarder ou tout au moins ne pas contribuer au processus bien huilé de l’ efficacité immédiate.

..Ramasser une feuille morte, acheter un flacon pour faire des bulles de savon .. alors qu’on a déjà de la barbe, faire du feu dans sa cheminée quand on a le chauffage central, faire brouter un âne dans son jardin juste pour le regarder, garder une chaussette orpheline qui a perdu depuis des mois sa moitié, ..le concept commence à prendre forme ?

 Par nature, l’audit interne de notre cerveau gauche, dédié à la performance, à la logique de nos actions quelles qu’elles soient, va opérer une chasse systématique de tout ce qui pourrait parasiter le mouvement " performant ".

Cette posture, détachée d’un mode efficient naît d’une capacité exceptionnelle à se distancier de ce qu’il "faudrait faire ", de ce qui est attendu, des injonctions conscientes ou non à faire tendre toute notre énergie vers l’obtention d’un résultat. C’est un conditionnement dont nous avons même perdu conscience.

 Capturés que nous sommes dans le maillage serré de l’efficace, faire émerger un geste gratuit n'est possible que par la volonté farouche d’échapper à nos automatismes.

 Sortir, s’évader du mode opératoire habituel souvent formaté problème-solution, demande un effort certain. Se mettre en tension pour au final être en capacité de " laisser faire ", cela a des allures de paradoxe.

 Laisser parler l’ informe, l’inattendu, le poétique  permet peut être de s’écouter un peu plus, dans l’ espace sans obligation que l’on s’accorde alors. Cela n'est pas rien.

 Déplier ces « faux » plis du Soi, avec sympathie, indulgence et dans l’accueil de ce qui vient,  peut, au delà de nous rapprocher de ce que nous sommes profondément, nous aider sans doute, à prendre soin de nous mêmes, l’air de rien.

Gilles Poisson

Restaurateur de Meubles d'Art

7 ans

Oui ! Arrêtons d'essayer, souvent en vain, de joindre l'utile à l'agréable, faisons parfois l'inutile sans aucune motivation. Douce dissidence. Merci pour ces pistes.

Sylvie Allonneau

Conférencière - Formatrice - Médiatrice

7 ans

En pianotant au hasard sur internet, j'ai glané cette étrange phrase qui fait curieusement écho à ce beau texte: "Au moins l'art de notre temps ne serait pas vain et le geste du peintre inutile ". L'auteur est anonyme. Oui le geste inutile n'est pas vain, il est même crutial au "temps suspendu". Celui qui rend heureux, celui qui permet de sortir du faire pour simplement être. Le geste inutile est un art. Oui, pratiquons l'art de notre temps, le temps suspendu avec art et le geste dit "inutile" mais au combien salvateur suivra...

Sophie de Vilmorin

Co-Fondatrice Déclic'Sup - Coaching, Consulting & Training

7 ans

Merci Sylvie Desmidt pour cet article que je découvre avec retard! Il est beau et bon, très bien écrit et ça j'y suis sensible ;).

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