La lutte anti-blanchiment et l'immobilier

La lutte anti-blanchiment et l'immobilier

Cet article a fait l'objet d'une pré-publication dans la rubrique "Aides et Conseil" du site de DBX CONSEIL, conseil en immobilier d'entreprise

Le terme « blanchiment d’argent » aurait pour origine la chaîne de blanchisserie utilisée par Al Capone : la "Sanitary Cleaning Shop" en 1928 qui lui servait de façade légale à ses activités illicites. Les sommes illégalement obtenues par divers trafics sortaient des Etats-Unis pour aller vers les premiers paradis fiscaux (Bahamas…) et étaient ensuite « réinjectées » dans des activités légales et des fonds de commerce où le règlement s’effectue le plus souvent en argent liquide.

L’activité de blanchiment de capitaux consiste en effet à réinjecter dans l’économie légale les produits d’infractions pénales que ces infractions proviennent d’escroqueries, de trafics ou de tout autre crime ou délit.

Ce processus de blanchiment a servi ensuite à financer le terrorisme.

Les Etats ont alors pris conscience du danger et on décidé dans les années 1990 de mettre en place une législation commune et de réaliser des échanges d’informations afin d’ établir une coopération transnationales.

En effet au niveau mondial le blanchiment d’argent représenterait une somme entre 2 à 5 % du PIB mondial. La fraude fiscale est estimée également en Europe entre 2 et 2,5 % du PIB.

C’est ainsi que la première directive européenne sur le sujet a été transposée en France le 12 juillet 1990 afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT). Par la suite, toute opération concourant à la fraude fiscale est entrée également dans le dispositif de vigilance et de déclaration de soupçon.

Une ordonnance du 1er décembre 2016 est venu renforcer le dispositif réglementaire en intégrant la quatrième directive européenne du 20 mai 2015. Récemment, une cinquième directive européenne a été publié sur le sujet (Directive 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018) ; elle sera transposée prochainement dans le droit français. Elle prévoit notamment l'interconnexion des fichiers des bénéficiaires effectifs des différents pays membres de l'Union Européenne.

Pourquoi l’immobilier est-il concerné ?

C'est un des domaines privilégiés par les criminels pour transformer ou dissimuler des revenus illicites, ou pratiquer la fraude fiscale.

Dans un rapport de l’OCDE de 2006, il est mentionné que les blanchisseurs de capitaux privilégiait l’investissement immobilier dans des pays bénéficiant d’une stabilité économique et politique (Europe…), dans les valeurs sûres qui ne sont pas soumis aux aléas du marché (immobilier d’entreprise ou résidentiel de luxe).

L’immobilier permet également de blanchir rapidement de grosses sommes d’argent.

Les enjeux sont très importants car l’investissement immobilier représente 5 % du PIB en France. La part des capitaux immobiliers dans les fonds de pension est également très importante. Les formes actuelles de l’investissement immobilier peuvent également facilement cacher des opérations de blanchiment tel que la financiarisation ou le crownfounding (financement participatif en ligne).

Le directeur de Tracfin Bruno Dales mentionne dans son rapport du 8 décembre 2016 : « le secteur de l’immobilier demeure une vulnérabilité importante du système français, de par la relative sécurité du marché de l’immobilier commercial, et l’attractivité du marché résidentiel haut-de-gamme, essentiellement en région parisienne, sur la Côte d’Azur et dans les Alpes.»

Quelles sont les obligations des professionnels de l'immobilier ?

Tout professionnel qui apporte son concours ou facilite une opération relevant de ces infractions (blanchiment, Financement du terrorisme, fraude fiscale) s’expose à des sanctions pénales et administratives.

En vertu de l'article L561-1 du Code monétaire et financier, tous les professionnels qui réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des mouvements de capitaux, sont tenues de déclarer au procureur de la République les opérations dont elles ont connaissance et qui portent sur des sommes qu'elles savent provenir de l'une des infractions d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme.

Certains professionnels ont des obligations supplémentaires : ce sont les intermédiaires de l'immobilier (conseil en immobilier d'entreprise, agent immobilier, syndic...), ainsi que les notaires, les avocats, banquiers, expert comptable, commissaires aux compte et depuis le 1er décembre 2016 les intermédiaires de crédit immobilier.

L'activité de vente et d'achat d'un bien immobilier est bien entendu concerné, mais également depuis 2016 l’activité de location nu ou en meublé.

Chacun de ces professionnels doit remplir ses propres obligations sans avoir à s’occuper de ce que font ne font pas les autres. Ils ont d'ailleurs l'interdiction de communiquer entre eux concernant les soupçons de blanchiment qu'ils pourraient avoir concernant leur client ou une des parties en présence.

Quelles sont les obligations des intermédiaires de l'immobilier ?

Ils sont tenus à trois types d'obligation : obligation de vigilance, obligation de déclaration de soupçon et obligation de formation et de conservation des documents (pendant 5 ans).

En quoi consiste cette obligation de vigilance ?

Depuis une ordonnance du 30 juin 2009, une nouvelle approche fondée sur le risque a été introduite. Elle consiste en une analyse systématique des risques de blanchiment engendrés pour chaque relation d’affaires et chaque opération. Les diligences mises en œuvre par le professionnel de l’immobilier doivent être modulées en fonction des risques qui ont été évalués en amont.

Le principe est simple : le conseiller en immobilier doit évaluer le risque pour chaque client et pour chaque opération et en fonction du risque, ce dernier doit mettre en application des mesures de vigilance plus ou moins allégées selon le risque qui a été déterminé.

Il y a ainsi un double volet : volet préventif qui va constituer en l’évaluation des risques compte tenu de la qualité du client et des caractéristiques de l’opération en cours. Ces critères d’évaluation peuvent être basé sur la localisation du bien, la nature du produit, les caractéristiques de la clientèle, les modalités de financement, la nature plus ou moins complexe de l’opération. Puis vient un second volet opérationnel qui est la mise en place de mesures adaptées aux risques qui ont été déterminés dans la première phase.

Pour assurer l’efficacité de la démarche, l'intermédiaire sera amené à poser des questions à son client vendeur ou bailleur mais aussi aux futurs acquéreurs ou locataires. Il devra recueillir notamment des informations sur leur identité, sur l'origine des fonds ou leur patrimoine ainsi que sur leur activité, afin de déterminer la cohérence de l'opération.

C'est ainsi qu'il devra recueillir notamment la copie d’une pièce d’identité en cours de validité du représentant légal, celle de l'actionnaire principal, un justificatif de domicile, la copie des statuts à jour, des comptes certifiés du dernier exercice clos...

Ceci peut apparaître un peu "inquisiteur" mais il s'agit d'une obligation légale : l'intermédiaire doit en principe rompre sa relation commerciale s'il n'obtient pas un minimum de renseignements sur l'identité du client et les conditions de la transaction.

De plus, en cas de doute sur l’origine des fonds utilisés ou sur le caractère illicite de l’opération, il est tenu d'effectuer une déclaration de soupçon à TRACFIN.

Que risque le professionnel de l'immobilier en cas de méconnaissance de ses obligations ?

Depuis quelques années, les services de la DGCCRF (répression des fraudes) ont renforcé leur contrôle auprès des professionnels intermédiaires de l’immobilier (titulaires de la carte professionnelle T et S) .

Si une infraction est constatée, le dossier est transmis à la Commission Nationale des Sanctions (CNS).

il y a eu ainsi depuis quelques années plus de 600 contrôles et 58 professionnel de l’immobilier ont été sanctionné en 2015 de peines pécuniaires ou d’interdiction temporaire d’exercer la profession d’agent immobilier (avec sursis).

 27 % de ces professionnels n’avaient mis en place aucune protocole interne, 21 % ne respectaient pas leurs obligations d’identification de vérification de l’identité du client ,19 % ne respectaient pas leurs obligations de vigilance constante et 20 % n’avaient pas formé leur personnel à la lutte anti blanchiment.

Les sanctions sont donc lourdes concernant ces professionnels.

En conclusion, le sujet de la lutte anti-blanchiment dans l'immobilier est à prendre très au sérieux et il faut que les parties (vendeur, acquéreur, locataire...) prennent conscience aujourd'hui qu'ils ont une obligation "de transparence" concernant leur identité et les conditions de l'opération (origine des fonds...) envers les intermédiaires qui apportent leur concours aux opérations immobilières (conseillers immobiliers, agents, notaires, avocats...).

Auteur : Rémy NERRIERE - Membre du réseau de formateurs en immobilier immo-formation.fr

Le sujet de cet article est développé au cours d'une formation intitulée : "L'agent immobilier et la lutte anti-blanchiment". Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr.

Octobre 2018




Yann Rigo

C-Level, Investisseur, Associé

3 ans

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Rémy Nerriere

Autres pages consultées

Explorer les sujets