La méthode face à l'incertitude

La méthode face à l'incertitude

Comment amener un pompier à entrer dans un feu plutôt que de courir se mettre à l’abri, comment amener un soldat à entrer dans une maison où se trouvent des insurgés, comment amener un négociateur à nouer un lien avec un interlocuteur hostile?

Ces situations représentent des situations extrêmes de champs d’action. Naturellement, l’être humain a tendance à éviter ou fuir ce genre d’interactions, car il sent que le danger est supérieur au succès de sa capacité d’action.

Pour pouvoir intervenir dans ce type de contexte extrême, l’agent doit être conditionné. Ses réflexes naturels sont modifiés et replacés par d’autres. Ainsi, dans une situation de conflit, le négociateur se conditionne pour être calme, posé et emphatique.

Ces actions réflexes conditionnées, par définition supposent la capacité de poser un conditionnel: SI (vous êtes confronté à quelqu’un d’hostile) ALORS (restez calme, posé et emphatique).

Le conditionnel implique d’être en mesure d’établir la condition pour la relier au conditionné. Cette identification de conditions se fait par l’élaboration d’hypothèse d’évolution de la situation ou du contexte, avec une liste de scénarios de ce qui pourrait se passer et en regard de chaque les actions et comportements pertinents d’interaction.

Autrement dit, par la préparation et l’analyse, les incertitudes sont ramenées à un domaine du connu, du prévisible et du prédictible, afin d’élargir le champ des interactions pertinentes possibles en remplaçant les réflexes liés à la peur et à l’incertitude par d’autre conditionnés par le succès possible d’une interaction à la limite du champ naturel.

C’est pour cette raison que les pilotes de chasse, les pompiers, les soldats, les négociateurs ou les membres des cellules de crise passent leur temps à s’entraîner: pour ancrer les comportements réflexes pertinents.

Ces actions réflexes conditionnées supposent, comme nous l’avons vu, la possibilité d’établir leurs conditions de pertinences. Plus que se préparer à l’imprévu, cette approche établit a priori des conditions et conditionne a priori des comportements et des réponses. Ces réponses sont au niveau réflexe, c’est-à-dire du pré-jugement et se plaquent sur la situation une fois celle-ci identifiée par les conditions qui déclenchent les boucles réflexes conditionnés. C’est ce qui permet une rapidité d’exécution.

Cela signifie que l’incertitude est réduite à une certitude: que le comportement bloqué ou imparfait est remplacé par un préjugé efficace et pertinent.

Si le champ d’action s’est élargi, il ne fait que repousser le domaine de l’incertitude, dans lequel aucune réponse a priori n’est pertinente et la complexité impose l’analyse et la réflexion avant l’action.

Cette situation d'incertitude, Descarte, dans la troisième partie du Discours de la méthode, l’expose à travers la métaphore du promeneur perdu en forêt. Il perd ses repères et ne sait plus comment se sortir de cette situation. Il peut décider de s’asseoir et d’attendre, autrement dit abandonner et perdre. Il peut s’exciter et stresser en tournant de manière hiératique et se perdre plus avant. Il peut croire et préjuger d’un chemin et le suivre sans repère. Il peut, sinon, appliquer une méthode: se diriger vers la lisière en s’assurant de poursuivre une même direction, en prenant des points de repère, par exemple l’implantation de la mousse sur les arbres qui indique le nord.

L’incertitude indique que la limite du cadre de référence de l’expérience est dépassé. Tous les comportements conditionnés jusqu’à présent ne s’appliquent plus dans cette situation. Les actions réflexes peuvent certes encore être appliquées, mais leurs efficacités ne sont plus garanties, car les conditions ne sont plus identifiées comme telles. C’est ce qui explique que dans certaines configurations, les meilleurs spécialistes sont aveugles et commettent des erreurs que des débutants ne feraient pas. Soit qu’ils ne reconnaissent pas que la situation est différente de la situation habituelle, soit, ce qui est plus grave, mais plus courant, qu’ils le savent, mais ne savent pas comment agir autrement. Cela donne des comportements suicidaires chez les soldats par exemple, des erreurs de diagnostic chez les médecins, des comportements messianiques chez les négociateurs.

La méthode d’analyse de situation, du contexte, des parties prenantes, des risques et de leurs évolutions ainsi que des ressources disponibles pour agir et interagir de manière pertinente et efficace: la méthode qui consiste à trouver des repères là où il n’y en a plus s’impose alors. 

Plus qu’un préjugé conditionné, c’est une suspension du jugement qu’il s’avère pertinente. Suspendre son jugement pour clarifier le doute: poser le problème avant de se ruer sur une solution.

L’action et l’interaction en situation d’incertitude (là où l’on ne sait vraiment pas) supposent une décision basée sur des repères qui ne sont plus évidents à l’extérieur, par conséquent, qui doit s’établir de l’intérieur. C’est ce qu’entend Descartes lorsqu’il pose le cogito ergo sum. Dans le doute le plus complet restent les repères internes, les valeurs, les convictions, les méthodes. À partir de là nous pouvons poser des actions et des interactions fortes, dans le contexte et analyser celui-ci à partir de ceux-là. C’est ainsi qu’avancent les explorateurs dans l’inconnu en mesurant à chaque action les risques pour pouvoir agir le plus longtemps et le plus efficacement possible.

Cette méthode d’analyse est simple et robuste. L’état d’esprit que la déploie est plus complexes à mettre en œuvre. Il suppose de comprendre que l’esprit casse toujours avant le corps et qu’il s’agit alors de le conditionner pour qu’il se dépasse lui-même. D’où l’importance, là encore, de l’entraînement.

Répondre à des crises et décider en situation d’incertitude se prépare et se travaille, mais est tout sauf un encouragement à la témérité. Il s’agit, au contraire, d’être méthodique et appliqué, concentré sur le moment et l’action présents afin de pouvoir agir et avancer le plus loin possible dans l’arbre des décisions et des interactions. Cela s'apprend.

Pourquoi ne pas essayer?

Ayça BORBELY 🌟🧩

Consultante - Formatrice en intelligence relationnelle et collective - Animatrice Fresque du climat 🌳

6 ans

Merci pour le partage Benjamin Sylvand. Si nous pouvions nous inspirer de temps de temps du promeneur dans la forêt de Descartes, nos perceptions ne pourraient que s’améliorer.

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