LA METHODE GNOU

LA METHODE GNOU

Thierry Laborde - L-Points - www.l-points.fr 

J’ai vu récemment un beau documentaire de National Geographic sur la chasse aux gnous que pratiquent les crocodiles pendant la grande migration des herbivores dans le parc de Masai Mara (Kenya).

Un million de gnous suivent la pluie à la poursuite des pâturages qui conditionnent leur survie. Un jour, ils se retrouvent devant une large rivière : pas le choix, l’herbe est de l’autre côté, ils doivent traverser. Dans l’eau, des centaines de crocodiles eux aussi affamés les attendent. Ils jeûnent depuis des mois et doivent attraper une proie chacun pour survivre.

Que feriez-vous si vous étiez un gnou ? Comment concilier les deux branches du dilemme : traverser pour brouter (mais risquer de se faire dévorer) OU ne pas traverser pour éviter les crocos (mais mourir de faim) ? Pas d’autre choix que risquer sa vie… Une seule solution, évidente même pour un gnou : traverser ET survivre à la traversée.

Première tactique - instinctive : le nombre. En se lançant tous en même temps dans un flux continu, on perturbe les sauriens qui ne savent plus quelle proie choisir. Mais ceux-ci profitent vite de la force du courant et de la bousculade pour isoler les gnous moins expérimentés qui cherchent à leur échapper.

La deuxième tactique est manifestement plus efficace : certains gnous foncent droit dans la masse de crocos la plus compacte possible et, sautant hors de l’eau, bondissent sur le dos même des reptiles, les empêchant d’ajuster leur proie et les poussant de leurs sabots aigus à chercher ailleurs des proies plus faciles. Ainsi vont souvent les choses : prendre des risques peut faire perdre, vouloir n’en prendre aucun empêche le plus souvent de gagner…

Les gnous bondissants ont trouvé une solution créative et paradoxale (ce que j’appelle un « L-Point ») pour résoudre leur problème : traverser indemne non pas en évitant le danger mais en s’appuyant sur lui.

Cette attitude rappelle le boxeur en difficulté qui, paradoxalement, embrasse son adversaire pour éviter de prendre des coups alors qu’une logique instinctive lui commanderait plutôt de s’éloigner du danger en reculant.

Un principe maintes fois illustré dans le fonctionnement de notre écosystème et qui peut nous servir dans les relations humaines : quand on se sent « attaqué » (frustré, contredit, critiqué, agressé, etc), la meilleure réponse est souvent de commencer par « aller au contact » de ce que notre cerveau primitif identifie à tort comme une menace, à l’égal d’un crocodile plein de dents tapi dans l’eau que nous devons franchir…  

Concrètement, cela signifie développer un réflexe conditionné en trois temps :

  1. Prendre du recul (passer en « méta-position ») et réaliser que ce que nous prenons pour une attaque personnelle l’est rarement : le client qui nous engueule aurait pu ne rien dire et changer de fournisseur, alors qu’en réclamant il nous donne une chance de le conserver. L’intérêt du chef qui râle devant nos résultats décevants est – ou devrait être en toute logique – de nous aider à améliorer notre performance, ce qui est aussi notre intérêt.
  2. Repérer ce qui, dans ce que nous avons perçu comme une agression, peut être sincèrement concédé à l’autre et en accuser réception de façon explicite : « Vous trouvez que je n’ai pas fait du bon travail ? Je vous comprends, mon résultat me déçoit aussi… ». Reconnaître des points de convergence dès le départ aide à se calmer autant qu’à apaiser l’autre et ouvre la possibilité de rebondir, tel le gnou sur le croco :
  3. Revenir à une discussion constructive : « … et je voudrais justement améliorer les choses : que diriez-vous de passer une heure ensemble pour passer en revue mes méthodes de travail et m’aider à identifier ce que je peux faire plus efficacement ? ».

  Bien sûr, cela semble difficile à mettre en œuvre car « ce n’est pas naturel » - ce qui est tout à fait exact. Nous sommes tous poussés par le fonctionnement du cerveau humain sous stress à choisir entre fuite/soumission (on se tait en bouillonnant intérieurement) ou contre-attaque (« Oui, mais c’est parce que vous ne me donnez pas les moyens »), solutions certes adaptées à un danger physique (quoique, voyez les gnous qui fuient en contre-attaquant) mais plus rarement à une tension au bureau.

Et il est tout à fait possible, avec un peu d’entraînement, d’acquérir et de perfectionner ce réflexe - inspiré par les travaux de Marshall Rosenberg sur la Communication Non-Violente - qui nous épargnera bien des complications.

Bons franchissements de rivières !

Coralie SASSOLAT

Directeur Général France | Eurofins Hydrologie - CEO France | Eurofins Water Testing

7 ans

A méditer : "Quand on se sent « attaqué » (frustré, contredit, critiqué, agressé, etc), la meilleure réponse est souvent de commencer par « aller au contact » de ce que notre cerveau primitif identifie à tort comme une menace"

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