La mise en état conventionnelle par avocat et la procédure sans audience : renaissance du principe du dispositif ?
Le décret réformant la procédure civile tend à redonner au justiciable un rôle actif compte tenu de la place accordée à l'initiative des parties et à leur possibilité de prendre en main le déroulement du procès, soit en recourant à la mise en état conventionnelle, soit en optant pour la procédure sans audience.
La réforme de la mise en état devant le tribunal judiciaire unifié figurait en proposition n°19 des Chantiers de la justice, et s'inscrivait dans le mouvement de modernisation et de simplification de la justice, l'objectif étant de rationaliser la phase d'instruction pour en faciliter le déroulement, et permettre au juge de se concentrer sur le jugement.
Dans cet objectif, le décret d'application n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 maintient très largement dans les procédures ordinaires les attributions du juge de la mise en état qui conserve sa mission d'instruction de l'affaire, et de juge du contentieux accessoire au fond (C. pr. civ., art. 780 à 787), conférant même à ce juge une compétence qui lui échappait jusqu'alors, les fins de non-recevoir, même si de leur sort dépend une question de fond (v. C. pr. civ., art. 789, 6°).
Mais l'apport majeur et le plus innovant du décret, est la place désormais accordée à l'initiative des parties et à leur possibilité de prendre en main le déroulement du procès, soit en recourant à la mise en état conventionnelle, soit en optant pour la procédure sans audience.
Entre un retour au principe du dispositif, selon lequel les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent, ou une volonté d'alléger toujours plus les charges du juge civil, la réforme semble avoir en tout cas pour ambition affichée de redonner au justiciable un rôle actif dans son procès.
LA CONVENTION DE MISE EN ÉTAT PARTICIPATIVE
Le décret du 11 décembre 2019 prévoit que les parties peuvent recourir à la mise en état conventionnelle et s'affranchir du juge de la mise en état.
Cette procédure peut être mise en oeuvre dans le cadre de l'instance, aux fins de mise en état, devant toute juridiction de l'ordre judiciaire, quelle que soit la procédure suivie (C. pr. civ., art. 1543, al. 2).
Ces dispositions sont applicables aux instances en cours au 1 er janvier 2020 (Décr. du 11 déc. 2019, art. 55).
Le déroulement de la procédure de convention de mise en état participative
La déclaration d'intention de recourir à une convention de procédure participative aux fins de mise en état peut être formulée par les parties lors de la première audience d'orientation à laquelle l'affaire est appelée (C. pr. civ., art. 776 al. 2), ou lors d'une seconde audience d'orientation si les parties ont sollicité un délai pour conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état (C. pr. civ., art. 779).
Dans la mesure où cette procédure de convention de mise en état participative peut être mise en œuvre devant toute juridiction de l’ordre judiciaire, quelle que soit la procédure suivie, cette déclaration d’intention devra être formulée par les parties lors de la première audience, dans les procédures dépourvues de mise en état.
Même si dans le cadre des dispositions de la procédure ordinaire le recours à une convention de procédure participative aux fins de mise en état paraît très encadré, le décret offre de la souplesse dans sa mise en œuvre, le souhait du législateur étant d’inciter les parties à y recourir, l’article 1546-1 du code de procédure civile prévoyant que cette faculté est offerte aux parties à tout moment de l’instance.
Lorsque les parties justifient avoir conclu une convention de procédure participative aux fins de mise en état (C. pr. civ., art. 779, al. 3), le juge prend les mesures prévues à l’article 1546-1 du code de procédure civile, soit : - fixer la date de l’audience de clôture de l’instruction et la date de l’audience de plaidoiries et renvoyer l’examen de l’affaire à cette date lorsqu’elle sera en état d’être jugée ; - à défaut de demande en ce sens des parties, ordonner le retrait du rôle à charge pour les parties de rétablir l’affaire.
La forme de la convention de procédure participative aux fins de mise en état et des actes y afférents
La convention de procédure participative aux fins de mise en état est un acte de procédure établi par les avocats qui doit répondre aux formes prévues à l’article 1546-3 du code de procédure civile.
Cet acte d’avocat établi conjointement doit être signé par les parties, et contresigné par leurs avocats.
Un modèle a été établi par le Conseil national des barreaux.
Cette convention doit impérativement être formée par écrit contenant les mentions prévues à l’article 2063 du code civil à savoir : - 1) son terme ; - 2) l’objet du différend - 3) les pièces et informations nécessaires à la résolution du différend ou à la mise en état du litige et les modalités de leur échange ; - 4) le cas échéant, les actes contresignés par avocat que les parties s’accordent à établir.
Ces mentions sont prévues à peine de nullité, et obéissent au régime des nullités de forme avec nécessité de démontrer un grief (C. pr. civ., art. 114). Les irrégularités peuvent être couvertes avant toute forclusion (C. pr. civ., art. 115).
L’article 1546-3 du code de procédure civile énumère de manière limitative en huit points ce que peut contenir la convention de procédure participative aux fins de mise en état et de résolution du litige, énumérer les faits et pièces, déterminer les points de droit, convenir des modalités de communication des pièces, recourir à un technicien, etc.
Pour le recours aux techniciens, les obligations des parties dans le cadre de la désignation du technicien ainsi que celles du technicien lui-même sont strictement encadrées par les articles 1547 à 1554 du code de procédure civile.
Les effets sur l’instance de la signature d’une convention de procédure participative de mise en état
La signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état vaut renonciation de chaque partie à se prévaloir d’une fin de non-recevoir, de toute exception de procédure et des dispositions de l’article 47 du code de procédure civile, à l’exception de celles qui surviennent ou sont révélées postérieurement à la signature de la convention de procédure participative (C. pr. civ., art. 1546-1, al. 3).
La signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état interrompt l’instance même en cas de retrait du rôle (C. pr. civ., art. 369).
La signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état interrompt les délais pour conclure et former appel incident prévus aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile. Lesdits délais sont interrompus à compter du jour de l’information donnée au juge de la signature de la convention participative entre toutes les parties, jusqu’au jour de l’extinction de la procédure participative.
L’issue de la procédure participative aux fins de mise en état
La convention de procédure participative s’éteint par (C. pr. civ., art. 1555) :
- l'arrivée du terme prévu dans la convention ;
- la résiliation anticipée et par écrit de cette convention par les parties assistées de leurs avocats ;
- la conclusion d'un accord mettant fin en totalité au litige ou l'établissement d'un acte constatant la persistance de tout ou partie de celui-ci. Si un accord est prévu, il devra être constaté par un acte sous seing privé conformément aux dispositions de l'article 1374 du code de procédure civile, cet accord devant être transmis au plus tard à la date de l'audience d'orientation à laquelle l'instruction sera clôturée ou, si la procédure est dépourvue de mise en état, au plus tard le jour de l'audience ;
- l'inexécution par l'une des parties de la convention ;
- la saisine du juge dans le cadre de la procédure participative aux fins de mise en état, afin de statuer sur un incident, sauf si la saisine émane de l'ensemble des parties.
La procédure de jugement après mise en état conventionnelle (C. pr. civ., art. 1564-1 et s.)
L'affaire est rétablie à la demande de l'une des parties ou évoquée à l'audience de mise en état à laquelle elle avait été renvoyée.
La demande de rétablissement est accompagnée de la convention de procédure participative conclue entre les parties, des pièces prévues à l'article 2063 du code civil, le cas échéant, du rapport du technicien, ainsi que des pièces communiquées au cours de la procédure conventionnelle.
Lorsque la mise en état a permis de parvenir à un accord total sur le fond du litige, la demande tendant à l'homologation de l'accord des parties est établie conformément aux dispositions de l'article 1555-1 du code de procédure civile.
Lorsque la phase conventionnelle a permis de mettre l'affaire en état d'être jugée , la demande de rétablissement est accompagnée d'un acte d'avocat établi dans les conditions de l'article 1374 du code de procédure civile, contenant les points faisant l'objet de l'accord total ou partiel, et les prétentions et moyens en fait et en droit accompagnés des pièces pour les points de litige restant à juger (C. pr. civ., art. 1564-3 et 1564-4).
Dans ce cas l'affaire recevra fixation à bref délai (C. pr. civ., art. 1564-6).
Si en revanche la phase conventionnelle n'a pas permis de mettre l'affaire en état, l'affaire est rétablie à la demande de la partie la plus diligente, pour être mise en état conformément aux règles applicables devant le juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 1564).
Dispositions spéciales
Si une procédure de convention participative, et notamment aux fins de mise en état, peut être conclue par des époux en matière de divorce et de séparation de corps, celle-ci est soumise à des dispositions spéciales prévues au titre VI du livre 1 er relatif au divorce.
Enfin, lorsque l'accord concerne un mineur capable de discernement, notamment lorsqu'il porte sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, la demande mentionne les conditions dans lesquelles le mineur a été informé de son droit à être entendu par le juge ou la personne désignée par lui et à être assisté par un avocat (C. pr. civ., art. 1564-2).
Si le décret marque une volonté du législateur d'externaliser la phase de l'instruction et de la confier aux parties elles-mêmes, les contraintes techniques qui leur sont imposées risquent de les inciter à se maintenir dans le confort de la procédure classiquement confiée au juge de la mise en état. Cette mise en état à la seule diligence des parties peut néanmoins constituer un avantage dans certaines matières pour favoriser dès les premières phases du procès l'élaboration du compromis final qui en est l'enjeu.
Cette procédure de convention participative aux fins de mise en état doit néanmoins être envisagée avec prudence, dès lors qu'elle emporte renonciation à faire valoir des exceptions et fins de non-recevoir. Les avocats devront prendre les garanties qui s'imposent pour bien informer leur client des conséquences de cette renonciation.
LA PROCÉDURE SANS AUDIENCE
À la demande des parties
Le recours à la procédure sans audience est généralisé devant le tribunal judiciaire pour tous les types de procédure.
Cette faculté offerte aux parties est prévue à l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire qui dispose : « [...] la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande ».
Ce choix doit donc être expressément formulé par les parties, le juge conservant néanmoins un pouvoir d’appréciation.
Dans les procédures écrites, avec ou sans représentation obligatoire, l’acte de saisine pour le demandeur (C. pr. civ., art. 752 et 753) et l’acte de constitution pour le défendeur (C. pr. civ., art. 764) doivent contenir, outre les mentions prévues à peine de nullité, « le cas échéant, mention de l’accord du demandeur pour que la procédure se déroule sans audience en application de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire. Il en va de même lorsque la saisine se fait par requête (C. pr. civ., art. 757).
Dans cette hypothèse, le juge de la mise en état déclare l’instruction close dès que l’état de celle-ci le permet et fixe la date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre. Les parties sont alors informées du nom des juges de la chambre qui seront amenés à délibérer et de la date à laquelle le jugement sera rendu.
La même faculté est offerte aux parties dans les procédures orales, celles-ci pouvant donner à tout moment, mais expressément, leur accord pour que la procédure se déroule sans audience. En ce cas, la procédure est exclusivement écrite. L’article 828 du code de procédure civile disposant : « Dans ce cas, les parties formulent leurs prétentions et leurs moyens par écrit. Le jugement est contradictoire ».
Cette procédure sans audience vient codifier la pratique du dépôt de dossier. Si elle permet aux professionnels du droit de gagner un temps précieux, il faut rester prudent sur son utilisation. Que ce soit en procédure écrite ou orale, une utilisation trop soutenue de cette règle pourrait inciter le juge à généraliser l’éviction de la plaidoirie dans certaines procédures civiles écrites et ou orales, alors qu’elle demeure l’atout de l’avocat dans tout procès.
Ces dispositions sont applicables aux instances introduites à compter du 1 er janvier 2020 (Décr. du 11 déc. 2019, art. 55).
La procédure dématérialisée
Les « petits » litiges dont le montant des intérêts en jeu est inférieur à 5 000 € pourront être réglés sans audience, et de manière intégralement dématérialisée. Ces dispositions seront effectives au plus tard au 1 er janvier 2022. L’objectif étant de permettre aux justiciables, dans les procédures sans représentation obligatoire relevant actuellement du tribunal d’instance, d’obtenir une décision dans un délai raccourci, grâce à des échanges s’effectuant de manière complètement dématérialisée, via le Portail de la justice.
Le souhait du législateur de basculer dans la justice du xxi e siècle et de développer le Portail de la justice se confirme. Il s’agit d’abou-tir à la résolution des litiges, sans mise en état et sans audience, comme le préconise depuis longtemps le règlement européen du juillet 2007 modifié plus récemment par le règlement (UE) n o 2015/2421 du 16 décembre 2015, qui dispose que la juridiction tient une audience uniquement si elle estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision sur la base des preuves écrites ou si la partie en fait la demande.
La mise en état conventionnelle et la procédure sans audience sont deux aspects de la réforme de la justice de première instance visant à redonner aux parties un rôle actif dans la conduite du procès. Le décret encadre néanmoins de manière assez stricte le recours à ces procédures, se situant dans une recherche de compromis entre liberté des parties et sécurité juridique.
Cette procédure sans audience vient codifier la pratique du dépôt de dossier. Si elle permet aux professionnels du droit de gagner un temps précieux, il faut rester prudent sur son utilisation. Que ce soit en procédure écrite ou orale, une utilisation trop soutenue de cette règle pourrait inciter le juge à généraliser l’éviction de la plaidoirie dans certaines
Si plus de liberté est donnée aux parties, elles demeurent soumises à des obligations qui pourraient s’avérer dissuasives. Quant au juge, si celui-ci semble désinvesti, il conserve un large pouvoir de contrôle. Seule la pratique nous permettra de déterminer la réelle portée de ce retour du principe dispositif voulu par le décret du 11 décembre 2019.
Par Fanny Laporte et Yann Garrigue pour Dalloz Avocat