TELETRAVAIL, LA RSE AU COEUR DU PLAN DE MOBILITE DES ENTREPRISES
Le transport, notamment l’autosolisme, est le premier émetteur de GES avec en plus des externalités négatives directes comme l’insécurité routière, la pollution atmosphérique, le bruit, les effets de coupures urbaines etc. De façon indirecte on relève de surcroit des impacts négatifs sur la santé, la réduction des liens sociaux de voisinage, l’attractivité du cadre de vie.
Appréhender la mobilité nécessite une approche systémique car l’aménagement du territoire et l’activité économique ont été pensés pour et autour de l’utilisation de l’automobile. Pour inverser cette tendance, il est nécessaire d'améliorer la praticabilité des autres modes de déplacement : des cheminements piétons sécurisés et ombragés pour rejoindre les arrêts de transports en commun, la généralisation des infrastructures cyclables.
Aujourd’hui il s’agit de lutter contre l’étalement urbain et son corollaire l’artificialisation des sols. Or l’origine de ce phénomène est à chercher autant du côté des entreprises, qui ont choisi de s’éloigner des zones denses, que des citoyens qui se sont installés à une distance toujours plus grande de leur lieu de travail grâce à l’augmentation de la vitesse de déplacement. L’aménagement du territoire d’après-guerre est également responsable via la spécialisation spatiale des activités qui a créé un éloignement entre lieux de travail et zones d’habitation, elles-mêmes éloignées des zones de commerces et de loisirs.
A long terme, le développement d’un « urbanisme des courtes distances » offrira mixité urbaine (habitat individuel et collectif, commerces, services, bureaux), densification et espaces publics de qualité en convertissant la place dédiée à la voiture à d’autres fonctions (terrasses, cheminements ombragés, etc.).
A plus court terme, on identifie trois axes d’action immédiate selon le modèle ASI pour « Avoid – Shift – Improve ». Pour la phase « Avoid », il s’agit de supprimer le besoin de déplacement à la source, de décliner des activités en mode déporté (télétravail, e-commerce, e-santé, e-learning, etc.) et de limiter les déplacements professionnels en utilisant des moyens dématérialisés (visioconférence). Selon l'enquête ADEME de 2015, si le temps en télétravail ne concerne que 1 à 2 jours de travail par semaine, cela permettrait une diminution de 30 % des GES. Pendant le confinement, 33% des salariés ont pratiqué le télétravail avec un fort taux de satisfaction (73% souhaitent pouvoir maintenir à l’avenir un rythme de télétravail). L’effet confinement pourrait donc avoir un effet déclencheur plus important que le contexte législatif pourtant incitatif le laissait présager. La loi de 2015 relative à la transition énergétique et à la croissance verte impose en effet aux employeurs, regroupant au moins 100 travailleurs sur un même site, d’élaborer un plan de mobilité (PDM) afin d’améliorer la mobilité du personnel, dans une perspective de diminution des émissions de gaz à effet de serre [art. 51 LTECV]. La LOM, en instaurant un forfait mobilité permettant aux employeurs de verser jusqu'à 400 €/an sans charges ni fiscalité aux salariés qui viennent en covoiturage ou à vélo, représente une avancée vers l’utilisation des modes alternatifs à la voiture individuelle. Enfin se doter d’un PDM permet de se mettre en phase avec la stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Le facteur principal de pérennité d’un plan de mobilité réside dans le dialogue avec la collectivité organisatrice de mobilité (AOM) et des services et infrastructures qu’elle a développés. Construire un plan de mobilité inter-entreprises permet également d’installer une dynamique commune entre des entreprises partageant les mêmes problématiques d’accessibilité, et d’intégrer dans la démarche des entreprises plus petites, qui ne se seraient pas lancées seules. L’ensemble de ces actions peuvent figurer au plan d’action des Objectifs de Développement Durable (ODD) et dans le cadre d’une stratégie RSE.
Par ailleurs, les flottes d’entreprises constituent également un levier d’action intéressant pour la décarbonation en privilégiant des véhicules plus légers et moins carbonés (VAE, petits véhicules électriques, etc.) influençant ainsi la structure des achats de véhicules en France.
Concernant l’action sur le mode de déplacement utilisé (phase Shift), elle porte sur les comportements des individus en transférant l’autosolisme vers les modes actifs que sont la marche (le mode le moins carboné), le vélo (avec ou sans assistance électrique), les transports en commun ou partagés comme le covoiturage. Des services de desserte spécifiques pour les zones d’activité (avec peu d’arrêts et la création d’une voie réservée pour égaler le temps de déplacement d’une voiture individuelle) peuvent être mis en place dans certains territoires, avec des horaires différents de ceux du réseau de bus « classique ». Le transport à la demande peut également s’envisager. L’autopartage est également un service important à développer en complément d’une offre solide d’alternatives à la voiture. Sa version hybride, qui consiste à ouvrir les flottes professionnelles de véhicules pour des usages autres que ceux internes à l’entreprise, représente également une alternative intéressante. De plus, la disponibilité d’une place de parking à destination étant un élément déterminant du choix modal des individus, réduire l’espace de stationnement et promouvoir le covoiturage avec un emplacement dédié, constitue un axe de concertation entre parties prenantes dans le cadre de la RSE pour affecter ce gain de place à d’autres destinations (jardin, potager, verger, espaces verts et détente, végétalisation pour lutter contre les ilots de chaleur et dépolluer l’air).
Cependant, le basculement vers ces modes de déplacement alternatifs ne peut s’opérer qu’avec le développement d’un système propre aussi performant que celui de la voiture : création d’infrastructures et d’équipements adaptés et sécurisés (aménagements cyclables sécurisés et continus ; stationnements vélo pratiques -ville, domicile et travail ; abris vélos sécurisés ; cheminements piétons sécurisés et agréables ; développement d’un écosystème de services - location (LLD), ateliers d’autoréparation, présence de vélocistes sur le territoire; la mise en place d’actions de communication et d’animations pour inciter au changement de comportement-ateliers de remise en selle. Les incitations à la marche nécessitent elles une approche plus transversale, alliant qualité des espaces publics (taille des trottoirs, espaces apaisés, bancs, végétalisation, etc.) à une qualité de vie urbaine (rez-de- chaussée actifs, terrasses, animations, etc.).
Enfin la phase "Improve" concerne l’efficacité environnementale des véhicules en agissant à la fois sur les caractéristiques techniques, les équipements électroniques et leur poids pour réduire les émissions de GES. Néanmoins cette approche technologique ne résoudra pas les problèmes liés à l’utilisation de la voiture individuelle : contraintes sur les ressources naturelles, congestion automobile, allongement des distances quotidiennes de déplacement, artificialisation des sols, encombrement de l’espace public par la voiture.
L’épisode de confinement que nous venons de vivre a démontré au moins une chose en matière de mobilité, c’est que le contact peut être maintenu même à distance, que ce soit entre l’entreprise et les salariés, les fournisseurs, les clients, les institutions. Il est possible de raisonner les déplacements, les rendre plus sobres, plus utiles aussi. Il y a matière à s’emparer du sujet de la mobilité pour les entreprises dans le cadre d’une action RSE co-construite avec l’ensemble des parties prenantes.
Et si, dans cette crise prolongée, la qualité et l’efficacité du redémarrage étaient à chercher du côté des relations à renouer entre l’entreprise et ses parties prenantes (fournisseurs, partenaires, clients, territoires, salariés évidemment, etc.) ?
Anne MATHON
Consultante stratégie développement durable et RSE chez Baya Consulting