La pénalisation du droit fiscal en France : le début d’une nouvelle ère ?

La pénalisation du droit fiscal en France : le début d’une nouvelle ère ?

La loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 (publiée le 24 octobre 2018), dite loi relative à la lutte contre la fraude, s’inscrit dans un objectif de pénalisation du droit fiscal en France.  

Elle dote la Direction Générale des Finances Publiques d’une police fiscale composée d’ « Officiers fiscaux judiciaires », qui seront regroupés avec les Officiers de douane judiciaire au sein d’un service unique d’enquêtes judiciaires douanières et fiscales. Ce regroupement devrait faciliter les filatures et les perquisitions. 

Elle acte aussi d’un assouplissement du « verrou de Bercy » qui accordait à l’Administration fiscale française un monopole quant à l’opportunité de poursuivre un contribuable, pour fraude fiscale, après avis conforme de la Commission des Infractions Fiscales (« CIF »).

C’est pourtant ce « verrou de Bercy » qui, sur la période 2009 à 2017, avait rassuré les contribuables concernés par des procédures de régularisation, notamment en matière d’avoirs non déclarés. C’est ce « verrou » vieux de près d’un siècle qui avait permis de sauver le principe de « réalisme du droit fiscal » qui permet que, dans une certaine mesure, toute situation soit régularisable.  

La loi relative à la lutte contre la fraude vient d’abolir partiellement cette prérogative de l’Administration fiscale française en donnant au Parquet la possibilité de déclencher l’action publique sans plainte préalable de l’Administration fiscale. Cette dernière est désormais privée de toute appréciation. 

Désormais, l’Administration fiscale doit obligatoirement informer le Parquet de tous les manquements fiscaux, sur des droits dépassant un seuil de 100 000 €, et ayant donné lieu à l'application des pénalités fiscales suivantes :

  • 100 % en cas d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal ;
  •   80 % en cas de découverte d'une activité occulte, d'abus de droit, de manœuvres frauduleuses, de dissimulation de prix ou d’intention libérale de biens ou de droits faisant l’objet d’un contrat de fiducie ;
  • 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, en cas de manquement délibéré ou d'abus de droit, lorsqu'au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l'objet lors d'un précédent contrôle de l'application d'une des majorations visées ci-dessus ou d'une plainte de l'Administration fiscale. 

Une fois le dossier transmis au Parquet, celui-ci est maintenant libre ou non d’exercer des poursuites pour fraude fiscale. Il pourra également poursuivre un contribuable concerné pour des infractions connexes (complicité, blanchiment, etc) sans qu’une nouvelle plainte soit nécessaire.  

La CIF n’est plus saisie dans les dossiers qui répondent aux critères précités. Dans les autres dossiers, sauf présomption caractérisée et risque de dépérissement des preuves, si l’Administration entend déposer plainte (notamment pour des dossiers dont les droits sont inférieurs à 100.000 €), elle devra obtenir un avis conforme de la CIF.

Cette loi va nécessairement impacter le climat fiscal et pénal qui règne dans notre pays dans la mesure où :

  •  le seuil de 100.000 € est rapidement atteint pour certains contribuables (personnes physiques comme personnes morales) ;
  •  les pénalités de 80%/40% sont, en pratique, très souvent, appliquées dans certaines situations ;
  • ce dispositif ne tient pas compte de désaccords que peuvent avoir certains contribuables avec l’Administration fiscale quant à l’application d’un dispositif fiscal, éventuellement sur plusieurs années. Nous allons donc assister à la multiplication de procédures fiscales et pénales parallèles ;
  •  la conclusion de transaction n’aura plus nécessairement pour effet de lever l’obligation de transmettre le dossier fiscal au Parquet. 

Toutefois, les contribuables (personnes physiques et personnes morales) qui régularisent spontanément, avant tout contrôle fiscal, ne se verront pas appliquer ces dispositions. La rédemption fiscale est donc préservée.  

La loi relative à la lutte contre la fraude ne se contente pas de modifier les conditions dans lesquelles un contribuable peut être poursuivi pour fraude fiscale. Elle aggrave également les peines encourues. Pour mémoire, le délit de fraude fiscale prévu à l'article 1741 du Code général des impôts était passible, avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre la fraude, en sus des sanctions fiscales, d'une peine d'emprisonnement de cinq ans et de 500.000 € d'amende. En cas de fraude aggravée, ces sanctions avaient été portées à sept ans d'emprisonnement et, pour les infractions commises depuis le 1er janvier 2018, à 3.000.000 € d'amende. 

La loi relative à la lutte contre la fraude renforce la répression pénale des délits de fraude fiscale et de fraude aggravée en permettant au juge :

  • pour les personnes physiques, de fixer le montant de l'amende encourue soit au montant maximum de 500.000 € ou de 3. 000.000 €, selon le cas, soit à un montant allant jusqu'au double du produit tiré de l'infraction lorsque celui-ci est supérieur à ces sommes ;
  • pour les personnes morales, le montant maximum de l'amende est, conformément aux dispositions de l'article 131-38 du Code pénal, égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques et s'élève donc respectivement à 2.500.000 € et 15.000.000 €. 

Si le juge pénal le décide, les contribuables condamnés pour fraude fiscale pourront aussi faire l’objet d’une peine complémentaire de publication de cette condamnation.

La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale étend à l’infraction de fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et la procédure transactionnelle dite « convention judiciaire d’intérêt public » (uniquement pour les personnes morales).

Cette dernière n’entraîne pas de déclaration de culpabilité ou de condamnation pénale mais la convention (de même que l’ordonnance de validation et le montant de l’amende) est néanmoins publiée sur le site internet de l’agence française anticorruption. On notera qu’elle ne profite qu’aux personnes morales et que de ce fait elle pourrait impacter des représentants légaux mis en cause, qui eux n’en profitent pas.

Ces transactions au plan pénal s’accompagnent aussi de la suppression de l’interdiction de transiger en matière de pénalité fiscale pour l’Administration fiscale (article L 247 du Livre des procédures fiscales). Nul doute que cela devrait permettre de régler, à l’avenir, des dossiers, tant sur le plan fiscal que pénal.

Cette loi risque donc de transformer notre environnement juridique et fiscal dans les prochaines années. Il n’y a plus qu’à espérer que les services vérificateurs et le Parquet fassent preuve de discernement dans leurs approches.

Jean-Marie Gavory

Retraité depuis le 1er janvier 2015

6 ans

Bisous du Papy et bonne année 2019.

Très intéressant!

Raphael Coin, PhD

Docteur en droit fiscal — Fiscaliste international | Avocat associé et directeur fiscal | Publications fiscales | Expert en politiques fiscales | Manager de transition l Chargé d’enseignement

6 ans

Pas certain que ce soit une ère nouvelle mais plutôt une manifestation nouvelle d’une évolution engagée il y déjà longtemps. Question insidieuse : allons nous avoir plus de plaintes ? Plus de cas effectif? Allons nous assister à un embouteillage ou non ? Tentons un pari : les directions centrales type dvni ne vont peut être pas changer leurs habitudes la question étant de savoir ce que les dircofi vont faire : s’auto Réguler ? Utiliser le chantage ce qui ne fonctionnera pas vis à vis des groupes matures ... ou tout simplement conserver leurs habitudes. Le même discussion qu’avec les pénalités finalement 

Alexandre Marion

Avocat Associé Services financiers | Attorney at law Partner at La Tour International (dedicated to financial services)

6 ans

La CJIP se démocratise ! Bravo Benoit pour cette synthèse très claire de la politique pénale française en matière de fiscalité

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