La paix en Irlande à l'épreuve du Brexit
Voici exactement vingt ans, les accords de Stormont, dits aussi du Vendredi Saint ou "Good Friday Agreement" en anglais, mettaient un terme à plus de trente ans de violences armées en Irlande du Nord. Il fallut encore du temps pour que les protagonistes désarment véritablement, mais la paix prit finalement le dessus.
Pas de rattachement de la province du Nord à la république d'Irlande, comme le voulaient les républicains (catholiques); mais pas non plus d'une administration directe par Londres, comme le voulaient les unionistes (protestants). Clé de voûte de l'accord : une administration provinciale obligeant les deux parties à gouverner ensemble mais aussi l'abolition de facto de toute frontière entre la république et la province. Il faut se rendre compte qu'alors, cette frontière était aussi fortifiée que l'avait été le rideau de fer entre l'Europe de l'Ouest et celle de l'Est à l'époque de la guerre froide.
Si les protagonistes de la négociation avaient été d'abord les Britanniques et les Irlandais, sous la houlette du sénateur Mitchell, un américain d'origine irlandaise, l'appartenance des uns et des autres à l'Union Européenne fut déterminante. C'est elle en effet qui permit la disparition de la frontière qui jusque là coupait l'île.
C'est dire les conséquences potentiellement désastreuses pour la paix que pourrait avoir le Brexit, s'il devait s'accompagner de la réintroduction de cette frontière. De là vient l'insistance non seulement du gouvernement irlandais mais aussi des 26 autres États Membres à empêcher cela. Cela obligera donc qu'à tout le moins l'Irlande du Nord (Ulster), partie intégrante du Royaume-Uni, demeure pleinement alignée sur l'Union Européenne, sur le plan de l'union douanière et d'une partie considérable des règles qui régissent le marché intérieur.
La première ministre britannique Theresa May s'est engagée à ce qu'en tout état de cause, cela soit le cas. Mais elle a aussi promis aux unionistes du DUP, petit parti ultra dont elle dépend pour sa majorité à Westminster, qu'il n'y aurait pas de nouvelles barrières réglementaires entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume Uni. Il faudrait donc que ce dernier demeure tout entier dans l'union douanière et dans une partie très substantielle du marché intérieur. Ce qui est contradictoire avec une autre promesse de Theresa May: retirer le Royaume Uni de l'une et de l'autre.Ce trilemme est insoluble.
Les mois qui viennent nous diront laquelle des trois promesses sera jetée aux orties. Passons outre les déclarations irresponsables de Boris Johnson, le ministre britannique des affaires étrangères : le sort de la paix impose que ce ne soit pas la première. Theresa May devra donc soit s'aliéner le DUP soit finalement accepter un Brexit bien moins net que celui qu'elle avait annoncé.