La peur n'évite pas le danger

La peur n'évite pas le danger

L’annonce par le Président de la République de la dissolution de l’Assemblée Nationale après la défaite électorale de son parti aux élections européennes en dit long sur l’état d’errance de la "macronie". Cette décision solitaire et inattendue a plongé un certain microcosme dans les affres vertigineuses du Rassemblement National trahies par des scenarii plus ou moins réalistes d’atteintes aux libertés fondamentales. Il faut savoir raison garder.

Ce sont les Français qui, en 2017, ont confié les rênes du pays à un technocrate inexpérimenté sinon immature après l’effondrement moral, doctrinal et politique des partis au pouvoir depuis les fonds baptismaux de la Vème République.

Sur le champ de ruines du paysage politique français consécutif aux élections présidentielles de 2017, aucune formation politique n’a été en mesure depuis de refonder une doctrine adaptée aux enjeux du pays et susceptible de réunir une majorité de Français *. En 7 ans, Emmanuel Macron n’a pas su résoudre les problèmes d’immigration, d’insécurité ou de pouvoir d’achat tandis que la justice, la police, l’école, l’hôpital et jusqu’à l’armée sont en souffrance ; dans le même temps, la dette publique a augmenté de 50% à plus de 3000 milliards d’€uros avec un déficit budgétaire incontrôlé et un taux de prélèvements obligatoire parmi les plus élevés, sinon le plus élevé, des pays occidentaux. Après avoir mis les Français devant le choix « moi ou le chaos », voilà qu’Emmanuel Macron incarne le chaos tandis que Renaissance, toujours dépourvu de doctrine, n’a même plus de majorité.

Face à cette situation, la dissolution apparaît comme une tentative désespérée pour tendre la main au PS et / ou à LR. Cet expédient était voué à l’échec : qui voudrait, au risque de se discréditer un peu plus, rejoindre le Titanic pour les 3 courtes années qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle ? De plus, est-ce raisonnable de mettre les électeurs au défi de donner une majorité au RN ?

Toutefois, les élections européennes ne sont pas les élections législatives : le mode de scrutin est très différent et les électeurs savent bien que leurs députés au parlement européen, fussent-ils tous issus du RN, ne sont pas en mesure à eux seuls de changer la politique de l’Union ; en revanche, les électeurs savent aussi qu’ils peuvent réorienter la politique nationale par leur vote aux législatives. En cela, le 9 juin peut n’être qu’un dernier coût de semonce.

Le corps électoral a été capable en 2017 de renouveler profondément l’Assemblée Nationale en élisant des novices plutôt que des parlementaires aguerris. Ce faisant, il a envoyé entre autres deux messages : d’une part, l’ancienne classe politique a été évincée car elle est discréditée et incapable de résoudre les problèmes du pays ; d’autre part, l’expérience LREM est l’ultime tentative avant le recours au RN. En 2022, la réélection de Macron acte l’absence d’alternative mais la majorité relative concédée marque la défiance qui aurait dû inciter le Président de la République à élargir quoiqu’il en coûte sa base vers le seul groupe susceptible de lui apporter la majorité dont il avait besoin, à savoir LR. Cela n’exonère pas LR de sa responsabilité : la doctrine du ni-ni (ni Macron, ni RN) est irréaliste pour une formation qui peine à réunir 8% de l’électorat.

L’enjeu des prochaines élections législatives consisterait à restaurer une alternance entre une gauche sociale-démocrate et une droite libérale conservatrice ; c’est à dire, prendre le contre-pied de la confrontation qu’Emmanuel Macron a voulu privilégier entre Renaissance et le RN. En 3 semaines, cette évolution n’est pas possible. L’accord survenu entre toutes les composantes de la gauche y compris les moins fréquentables d’une part, et l’explosion de LR avec le ralliement partiel au RN d’autre part en sont la manifestation.

Le 7 juillet, il est douteux qu’une majorité absolue survienne. En corolaire, le pays sera de fait encore moins gouvernable qu’aujourd’hui : une majorité relative sera à la merci d’une motion de censure avec l’impossibilité dans un délai d’une année de recourir à une nouvelle dissolution. Pour passer un probable blocage institutionnel, il ne restera plus qu'à dissoudre le président de la République lui-même, ou plus probablement, à patienter jusqu’au 10 juin 2025**.

Finalement, Emmanuel Macron dont le bilan présidentiel sera maigre n’aura été que l’instrument de la purge d’une classe politique impuissante. La question est désormais de savoir si le terreau électoral du 7 juillet permettra dans les 3 ans qui viennent de faire émerger des coalitions susceptibles de proposer tout à la fois un programme et une majorité. Nous entrons ipso facto dans la campagne présidentielle 2027.

La France en a vu d’autres et l’on peut encore espérer des forces de la nation et des Français. Mais ces soubresauts politiques repoussent d’autant les mesures indispensables au rétablissement du pays, et plus les décisions indispensables tardent plus la potion sera amère. Il ne faut pas oublier non plus que si la France est encalminée dans ses contradictions, la terre ne s’arrête pas de tourner …

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* La République En Marche avait une majorité mais pas de doctrine

** Comme disait Henri Queuille, « il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre ».

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