La peur, un nouveau monde

La peur, un nouveau monde

Aux premiers jours du confinement nous étions nombreux à envisager avec une forme d’excitation le jour de la libération. Peut-être bercés par les images couleur sépia de l’été 1944 où nos aïeuls dansaient dans les rues, embrassaient des inconnus, nous imaginions une jouissance nationale, une de ces journées fraternelles et euphoriques que l’on n’oublie jamais. Pourtant, nous savons que ce moment de grâce n’aura pas lieu. Le 11 mai, en échange de ce jour rêvé, nous aurons seulement la liberté de nous déplacer sans avoir à en rendre compte à une patrouille. Et c’est tout ! Faible récompense après 8 semaines d’enfermement.

Dès le matin du 11 mai, une nouvelle épreuve nous attend, nous les aventuriers du raid canapé-cuisine-balcon : il nous faudra sortir de notre bulle. Il s’agira bien d’une épreuve car chacun d’entre nous connaitra la peur. Peur d’affronter ce virus mortel et invisible, peur de l’inconnu en débutant cet inédit déconfinement, peur de l’autre, peur de s’embrasser et de se toucher, peur de la crise économique. Bref, peur de la vie tout simplement. Même les courageux auront peur puisque le courage consiste à dominer ses peurs.

La peur est un sentiment intime, on dit même qu’elle se cache dans le ventre. Nos peurs nous appartiennent. Face au COVID-19 des tendances opposées se sont rapidement distinguées. Les partisans du tout sanitaire se sont dressés face aux protecteurs de l’économie. Des ruraux ont repoussé des citadins accusés de transporter le virus. Des zélés ont dénoncé leurs voisins non respectueux des règles de distanciation. Dès les premiers jours du déconfinement, quand la phobie sociale va se développer, il est très probable que les deux camps s’opposent plus durement. Sur une échelle de valeurs, à une extrémité seront placés les hypocondriaques, à l’autre bout seront les fous. Au milieu de cette agora de l’angoisse apparaitront des modérés qu’on appellera selon leur degré : prudents, sereins ou inconscients.

Aujourd’hui, le chacun chez soi est un calme avant la tempête. Nous assisterons surement à de tristes scènes dans l’espace public entre membres des deux camps. « Vous êtes trop près de moi » répondra à un « dépêchez vous ». Mais plus grave encore, des amitiés antérieures au virus seront surement fragilisées voire rompues sur l’autel de la peur : « nous viendrons plutôt diner chez vous au mois d’octobre ». Les retours dans l’open space seront délicats. La possibilité offerte aux familles de remettre ou pas leurs enfants à l’école s’inscrit bien dans cet état d’esprit. Nous allons connaitre une nouvelle composante des rapports sociaux. Le jour d’après ne sera pas.

« Pas d’espoir sans crainte, pas de crainte sans espoir » nous enseigne le Spinozisme. Si la peur et l’espoir ont besoin l’un de l’autre pour exister peut-être alors, à partir du 11 mai, devrons-nous nous aussi faire l’effort d’accepter les membres du camp opposé au notre ?

Franck Boissin

#noustiendrons

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