La place du pauvre - courte nouvelle de Noël par Matthieu VANHILLE
Joyeux Noël à toutes et à tous !
En cette année 2022 sous le signe de Noël Solidaire, j'aimerais partager avec vous une (très) courte nouvelle imaginée durant le confinement sur le thème de la place du pauvre.
N'hésitez pas à m'exprimer vos remarques et avis sur le texte, cela me permettra de m'améliorer à l'avenir :)
Merci et bonne lecture ! :)
LA PLACE DU PAUVRE
Ne pas être en retard, ne pas être en retard.
L’éblouissement soudain à la sortie de la bouche de métro le sortit de ses pensées et le ramena à la triste réalité : il avait faim.
Comme chaque soir il sortait du travail lorsque le soleil rattrapait l’horizon et il se passait quelques secondes avant qu’il puisse extirper son regard de cette lumière. Comme chaque soir en sortant du travail il longeait les différentes avenues du centre-ville bondées de monde tentant vainement de ne pas se faire bousculer par cette foule compacte qui, bien que composée de citadins n’ayant jamais été aussi individualistes, semblait ne faire qu’un. Ces derniers temps, la chance devait être de son côté se disait-il car il réussissait à éviter toute cette masse sans être réellement sur ses gardes. Cela devait être l’habitude de travailler dans le quartier des affaires qui l’avait tout naturellement mis au pas à ce rythme infernal.
Reste que rythme infernal ou non, il avait faim. Cette seule pensée tourna à l’obsession. Habituellement, il s’arrêtait chez Lorenzo, le gérant du café italien situé dans la rue adjacente à celle des bureaux de son entreprise et se laissait tenter par l’une ou l’autre de ses spécialités qui pouvaient se manger tout continuant son chemin. Il avait un faible pour les amarettis, ces célèbres biscuits aux amandes, ce qui lui permettait de retarder la faim le temps du trajet de retour à la maison. Mais ce soir était différent, aujourd’hui était un 24 décembre et sa famille l’attendait à l’autre bout de la ville pour partager le dîner de Noël. Il ne pouvait donc pas se laisser aller à grignoter. Il était d’ailleurs déjà en retard et soudain, reprenant conscience de cette échéance, il accéléra le pas et se sentit envahi par le stress.
Les soirs de réveillon faisaient figure chez lui d’anomalies tant ils rompaient avec ses habitudes routinières. Lui, qui d’habitude était un loup solitaire absorbé par son travail devait chaque année le temps d’une soirée prendre part à ces festivités. Il aimait pourtant particulièrement ce jour-là, c’était le seul de l’année où il profitait vraiment d’un moment en famille ce qui constituait, à ses yeux, un vrai miracle de Noël.
Il regarda sa montre avec appréhension. Il poussa un soupir de soulagement en voyant qu’il avait rattrapé son retard, et même pris un peu d’avance. Ce n’était pourtant pas le moment de se relâcher et il traversa la rue à toute hâte. Il sentit derrière lui une masse se rapprocher à pleine vitesse, jeta un bref regard au-dessus de son épaule et sauta de tout son long sur le trottoir. Le taxi frôla sa jambe droite. Il grommela derrière le taxi qui continuait son chemin à toute allure « qu’un jour ces inconscients finiraient par écraser un malheureux ! » mais ni le chauffeur ni les passants n’eurent la moindre émotion. Face à ce manque d’empathie, il eut une pensée pour ces sans-abris qu’il croisait le long de son trajet chaque soir et que personne ne regardait. Il avait gardé une émotion particulière pour eux suite au traumatisme qu’il avait vécu lorsqu’enfant, il avait vu un sans-abri se jeter d’un pont le soir du réveillon. Depuis ce jour, il avait toujours forcé ses parents à garder une place libre à table le soir de Noël dans le cas où une personne sans le sou frapperait à leur porte durant le repas. Cette place du pauvre chère aux anciens était devenue pour lui une tradition. Avec le temps, elle était devenue une manière de se pardonner d’être heureux quand eux étaient dans la rue. Si son ventre était affamé, son cœur l’était encore plus.
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Il releva la tête. Il était finalement arrivé devant cette grande bâtisse aux volets rouges qui était devenue leur maison familiale. Les arbres et la devanture étaient enroulés de longues guirlandes et de lumières colorées pendant que des notes de musique parvenaient jusqu’à la rue. Le spectacle avait déjà débuté mais il était à l’heure.
Il s’en alla vers le jardin, se glissant devant les immenses fenêtres pour observer le salon où la fête battait son plein.
Le piano était entouré des membres de sa famille qui préparaient la chorale.
La table était déjà dressée. Il fixa longuement celle-ci jusqu’à enfin voir à son extrémité la place inestimable, sa place du pauvre. Aucun doute, c’était bien son service de table favori qui était posé devant elle. Ils ne l’avaient donc pas oublié, se dit-il le sourire aux lèvres.
Il aperçut sa mère traverser la cuisine tenant la dinde chaude à bout de bras. Il ouvrit grand ses narines pour se laisser envahir par le fumé de la volaille. Il avait songé à ce festin toute la journée et dire que ce repas en famille lui faisait grande envie serait amoindrir la réalité. L’horloge du salon sonna huit heures du soir. Il était à l’heure.
Il marcha alors d’un pas léger jusqu’à la porte principale, le visage rayonnant d’avoir une fois encore réussi à ne pas être en retard malgré les embûches rencontrées en chemin. Malgré ces chauffeurs inconscients.
Il s’arrêta sur le palier de la porte et écouta les chants qui envahissaient le salon. S’il n’avait pas perdu l’habitude d’être ému, ses larmes n’auraient pas pu choisir meilleur moment pour irriguer ses joues.
Ce soir-là, il ne sonna pas à la porte. Ce soir-là, la place du pauvre resterait vide. Comme chaque année depuis 10 ans cette place reprendrait son usage d’origine, la place d’hommage au défunt.
Comme chaque année depuis son accident de taxi, il resterait sur le palier. Comme chaque année, il écouterait religieusement les chants venant de l’intérieur de la maison. Il resterait dehors entouré par la neige. Il penserait au festin sur les tables auquel il ne pourrait pas goûter. Comme chaque année, il resterait à cette place. L’autre place du pauvre.
M.Vanhille
☘️ Consultante RH | Formatrice | Coach personnelle et professionnelle || Fondatrice d'OBSIDIEM
2 ansBelles fêtes à toi Matthieu Vanhille et merci pour ton texte très touchant. Je découvre ton écrit et ai hâte de te lire à nouveau ! 🙏 Merci !
Marketing analyst - ASERO Worldwide
2 ansMerci Matthieu, un plaisir de lire ta plume 🪶! Bonnes fêtes 🎄