La prise d’acte vue par la Cour de cassation : “Après l'heure, c'est plus l'heure.”
Cass. Soc. 14 novembre 2018, 17-18890

La prise d’acte vue par la Cour de cassation : “Après l'heure, c'est plus l'heure.” Cass. Soc. 14 novembre 2018, 17-18890

Rappelons tout d’abord que le mécanisme de la prise d’acte pour le salarié vise à imputer la responsabilité de la rupture de son contrat de travail à son employeur, pour non-respect par ce dernier de ses obligations contractuelles.

Rappelons ensuite que tous les manquements de l’employeur ne sont pas susceptibles de justifier une prise d’acte du salarié, en ce que la Cour de cassation entend depuis un certain nombre d’années limiter le recours à la prise d’acte.

Ainsi, avant 2010 : Seuls des « manquements suffisamment graves » permettaient de mettre en œuvre la responsabilité de l’employeur.

Puis en 2010, 1er tour de vis de la Haute Cour : le manquement de l’employeur doit être « de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail » (Cass. Soc. 30 mars 2010, 08-44236). 

Puis enfin en 2014, l'écrou jurisprudentiel est resserré d'un quart de tour supplémentaire : le manquement de l’employeur doit être « suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail » (Cass. Soc. 26 mars 2014, 12-23634).

La messe est donc dite : depuis 2014, de nombreux manquements qui auparavant justifiaient une prise d’acte ne le peuvent plus.

Au demeurant, certains y verront d’ailleurs sans doute un lien avec la Loi n°2014-743 du 1er juillet 2014, laquelle, modifiant la procédure applicable devant le Conseil de prud’hommes en matière de prise d’acte de rupture, a ainsi prévu une procédure accélérée pour statuer sur ce genre d’affaires (saisine directe du bureau de jugement, devant statuer dans le délai maximum d’un mois à compter de la date de la saisine cf. article L1451–1 du Code du travail). Ainsi, le législateur ayant ainsi permis un cas de recours accéléré de la juridiction prud’homale, la Haute cour de son côté se sera sans doute alors attachée à délimiter plus restrictivement les cas de prise d’acte admis à indemnisation, afin somme toute d’éviter trop de demandes inadéquates, excessives voire tout simplement totalement infondées.

Revenons à la jurisprudence : depuis quelques années, le délai qui s’écoule entre le manquement de l’employeur et la date de prise d’acte par le salarié a donc une importance dans le succès de l’action de ce dernier.

Dans l’affaire qui nous préoccupe, le salarié avait été employé pendant 5 ans et 2 mois et avait attendu 5 ans pour solliciter de manière officielle le paiement de ses heures supplémentaires qu’il considérait avoir effectuées.

Trop tard énonce la Cour de cassation :

« Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu qu'il peut seulement être reproché à la société un non-paiement de toutes les heures supplémentaires effectuées par le salarié durant sa période d'emploi de juin 2008 à août 2013 et que cette situation présente un caractère ancien puisque le salarié a attendu le 10 juin 2013 pour solliciter de manière officielle une régularisation salariale, la cour d'appel a pu en déduire qu'il ne s'agissait pas d'un manquement suffisamment grave de nature à avoir fait obstacle ou rendu impossible la poursuite entre les parties de l'exécution du contrat de travail ; »

Ce n’est donc pas tant l’existence même du manquement qui a été jugée mais bien l’absence de réactivité du salarié. Dès lors, ne sont pas des manquements suffisamment graves ouvrant droit à réparation :

-         Une modification du contrat de travail intervenue 20 ans avant la prise d’acte (Cass. Soc. 13 avril 2016, 15-13447)

-         L’absence de visite médicale d’embauche, puis de visite périodique du salarié pendant les trois années qui ont suivi (Cass. Soc. 26 mars 2014, 12-23634)

-         Le fait de discrimination syndicale ancien et isolé (retrait de 5 jours de congés payés sur une année précise, remontant à plusieurs années et n'ayant pas eu d'incidence sur le déroulement de carrière de l'intéressé) (Cass. Soc. 15 avril 2015, 13-24333).

La Cour de cassation a néanmoins validé une prise d’acte relative à des manquements concernant le non-paiement d’heures supplémentaires datant d’environ 7 mois (Cass. Soc. 27 novembre 2014, 13-18716).

Enfin, rappelons qu’en cas de doute sur la réalité des faits allégués, il profite à l’employeur (Cass. Soc. 19 décembre 2007, 06-44754).

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En conclusion, en matière de prise d’acte de rupture du contrat de travail, « L'heure, c'est l'heure ; avant l'heure, c'est pas l'heure ; après l'heure, c'est plus l'heure. »

Bettina SCHMIDT, Avocat à la Cour



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