La procédure de sauvegarde, triste succès

Arrivée dans le corpus légal marocain en début d'année, la procédure de sauvegarde a déjà fait des adeptes parmi les grandes entreprises, connues, vues et réputées. Ainsi, dernière en date, la société Sotravo annonce vouloir bénéficier de ce régime.

Un tel "succès" est de nature à interroger, sur plusieurs points.

Le premier concerne l'état des entreprises marocaines. En effet, si l'on veut se placer sous le régime de la procédure de sauvegarde, il ne faut pas être en état de #cessation des #paiements, mais être dans une difficulté telle qu'il est nécessaire de sortir du régime "normal" de la vie d'une entreprise. Par cette procédure, le législateur marocain a vraisemblablement voulu copier le fameux chapitre 11 américain, loi permettant aux entreprises en difficulté de se mettre à l'abri temporairement, pour redresser la situation. Si des sociétés marocaines souhaitent et demandent au tribunal de se placer dans ce cadre là, c'est donc que leur santé est mauvaise. Le péril est proche mais pas encore imminent. Rappelons ici que les redressements judiciaires, au #Maroc, terminent trop souvent en liquidation judiciaire, qui finissent elles-mêmes trop souvent clôturées faute d'actif suffisant. La procédure de sauvegarde vise donc les cas graves mais pas désespérés.

Pouvait-on anticiper, prévoir une telle "popularité" pour la procédure de sauvegarde, sur la foi de la santé des entreprises ? A priori, un observateur averti de l'état de la #dette privée (particulièrement concernant les entreprises), de l'état des #trésoreries et des #délais de paiement répondrait certainement oui. L'absence de cette procédure avait contribué sans doute à masquer la situation: le redressement judiciaire, par son côté marqueur noir définitif et son aspect funèbre selon les statistiques était un repoussoir pour des entreprises qui en auraient pourtant eu grand besoin, si l'usage et la perception de cet usage avaient été pertinents. Mais l'échec symbolisé par le redressement judiciaire est trop honteux et trop condamné pour cela.

Le second point sur lequel s'interroger concerne la raison psychologique pour laquelle des entreprises recourent à cette procédure. Il faut noter que la première procédure, datant de cet été à peine, a fait l'effet d'une bombe. Mais s'agissant d'une société ayant plus que pignon sur rue et voulant faire face à ses difficultés avec une attitude volontaire, le pas était franchi: il n'est pas question de honte ou d'échec. On constate simplement qu'il y a des difficultés et qu'il faut prendre des mesures (ou engager des discussions, pour être plus précis quant au contenu de cette procédure) dans un contexte qui permettent à l'entreprise et son dirigeant de reprendre un peu la main par rapport à ses créanciers, au premier rang desquels on compte les banques de manière très significative. Le plus dur étant toujours le premier pas, les autres s'enchaînent dans un contexte économique difficile pour ne pas dire autre chose, au Maroc. La dernière annonce en date pourrait bien ne pas être la dernière tout court et d'autres, concernant des sociétés plus ou moins importantes, plus ou moins connues, pourraient bien suivre, dans les semaines ou les mois qui viennent. La période des bilans qui s'annonce va certainement être le moment pour beaucoup de chefs d'entreprises et de commissaires aux comptes de s'interroger, au moins dans le secret des salles de réunion, sur l'opportunité de recourir à cette procédure.

Le troisième point sur lequel on peut s'interroger est plus juridique. Cette procédure est-elle pertinente et appliquée correctement ? Il est certainement trop tôt pour répondre de manière définitive. Cependant, on peut déjà se montrer vigilant sur les conditions d'ouverture et de mise en œuvre. En effet, le débiteur ne doit pas être en cessation des paiements. Or, la cessation des paiements consiste à ne pas pouvoir payer ses dettes à leur échéance normale selon l'article 560 du Code de commerce. Il devrait donc être procédé à une vérification de cette condition et il est douteux que cette vérification se fasse de la manière la plus rigoureuse qui soit. En effet, si un incident de paiement bancaire du type impayé d'une mensualité de crédit ou l'absence de régularisation en fin de mois d'un découvert non autorisé devait constituer la cessation des paiements, alors le nombre de sociétés exclues de fait de la procédure de sauvegarde serait très important et, pour être plus franc et direct, le nombre de cas de redressement/liquidation judiciaires devrait embouteiller les tribunaux de commerce de manière prodigieuse. Le temps dira si la #souplesse est réelle et si elle a été bonne pour l'économie en n'achevant pas des entreprises viables ou si elle n'a fait que repousser des échéances inévitables.

En ce qui concerne la mise en œuvre de la procédure, rappelons que le chef d'entreprise reste en place et en charge de la négociation d'un accord avec les créanciers pour rééchelonner la dette (en continuant d'honorer les échéances postérieures à l'ouverture de la procédure). Cela interroge à plusieurs niveaux. Tout d'abord, pourquoi les créanciers n'ont pas accepté de telles pratiques, voire directement suggéré ces pratiques en voyant leur débiteur en situation difficile ? Il est plus précisément fait allusion aux créanciers bancaires qui ont tout intérêt certes à facturer des pénalités et autres agios à leurs clients. Mais ils ont également tout intérêt à ce que leurs débiteurs et clients vivent: on fait rarement payer un mort et les garanties prises pour les créances peuvent être d'une efficacité douteuse selon les circonstances et la nature de la garantie. Ouvrir des négociations pour rééchelonner ou #réaménager la dette d'une entreprise peut s'avérer une initiative heureuse pour le créancier. Ensuite, pourquoi les chefs d'entreprises seraient-ils plus en position qu'un autre pour obtenir des créanciers un accord (jamais obligatoire) pour un réaménagement de la dette de l'entreprise ? L'intervention d'un #médiateur pourrait s'avérer efficace ou pertinente dans un tel contexte. De plus, le dirigeant en place n'est pas toujours mais souvent responsable de l'endettement. Comment pourrait-il présenter plus de garanties d'apurement efficace de la dette qu'avant l'ouverture ? Si l'intervention d'un tribunal devait donner cette confiance magique, il semble que cela serait connu. Or, ça ne l'est pas véritablement...

Il y a donc plusieurs points d'interrogations sur la procédure de sauvegarde mais ils ne doivent pas dissimuler le fait que cette procédure peut apporter une réelle bouffée d'air frais et permettre la sauvegarde d'entreprises en difficultés, mais pas encore condamnées. Pourvu que ce côté positif l'emporte sur les aléas évoqués et susceptibles de faire peser une réelle hypothèque sur la durabilité de cette procédure...

Elle est ordonnée par le tribunal pour ce qui est de se rendre à la table des négociations. Certainement pas d’aboutir à un accord. Après, si les enjeux sont importants et les garanties prises par les créanciers « légères », on pourra arriver à un accord plus facilement, sous réserve d’une certaine ouverture d’esprit et d’un positionnement raisonnable du débiteur qui ne doit comprendre l’intervention du tribunal comme un blanc seing à son profit...

Abderrahim AYAT

CFO - Strategy, M&A, Organization, Finance, Corporate Governance & Internal Audit

6 ans

Je pense que c'est là où réside sa différence par rapport à toutes les autres mesures amiables one to one c'est qu'elle est ordonnée par un tribunal.

Abderrahim AYAT

CFO - Strategy, M&A, Organization, Finance, Corporate Governance & Internal Audit

6 ans

Souvent ce sont les banques qui accélèrent le processus d'asphyxie des entreprises en difficultés en révisant les lignes à la baisse parfois sans délai, et d'un coup meme les lignes de credit se tranforment du jour au lendemain en dette exigibles! Je pense aussi que cette mesure doit passer par une remise en cause du management et de la gouvernance qui ont conduit la société a de telle situation.

Rachid El Mourabit

Finance Manager | FP&A | Finance Business Partner | 15+ years driving growth & profitability | Recognized for transforming finance teams & systems to deliver optimal results & business impact

6 ans

C'est le dernier recours avant la liquidation. En ce sens, si ça permet à l'entreprise de rebondir, tout le monde est gagnant: créanciers, salariés, actionnaires... Sinon, ça a le mérite de faire sortir de l'ombre plusieurs sociétés en difficulté. Que ça soit des entreprises connues ne sera que bénéfique pour une prise de conscience des pouvoirs publics de la nécessité de moins de laxisme dans l'application de la loi sur les délais de paiement et de forcer les BAM/banques à injecter plus de liquidités dans l'économie.

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