La réforme de la justice : En marche vers moins de droits, moins de liberté...moins de service public!

Ambiance électrique à l’assemblée générale statutaire de la Conférence des bâtonniers

L’assemblée générale statutaire de la Conférence des bâtonniers s’est déroulée les 25 et 26 janvier en présence du Défenseur des droits, Jacques Toubon, et de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, alors que le projet de loi Justice cristallise les contestations.

Dans une ambiance électrique, la ministre a défendu le projet de loi de programmation de la Justice qui revient devant le Sénat en nouvelle lecture le 12 février prochain en vue d’une adoption définitive.

Le président de la Conférence des bâtonniers, Jérôme Gavaudan, ovationné à plusieurs reprises pendant son discours, a fustigé un dialogue difficile avec la ministre, une écoute « polie mais vaine ». « Le 15 janvier 2018, alors que s’ouvrait une période de concertation après les chantiers de la justice vous étiez venue répondre aux bâtonniers sur les questions territoriales. Un espoir était né, il a été déçu ». Le sentiment général est celui d’une volonté accrue de déjudiciarisation, d’un affaiblissement de l’autorité judiciaire, d’une atteinte aux droits de la défense et d’une entrave de l’accès à la justice. « On veut camoufler le manque de moyens par un recul de la justice républicaine ». De même, le président de la Conférence a critiqué le « recentrage sur le cœur de métier » des juges : « le rôle du juge n’est-il pas de juger ? ».

La garde des Sceaux a soutenu que le texte avait évolué depuis sa première version : « nous avons maintenu un dialogue franc pour faire évoluer le texte ». La ministre a tenté de convaincre à l’appui d’une dizaine de dispositions sur lesquelles les avocats ont obtenu gain de cause.

Concernant l’organisation territoriale, Nicole Belloubet a une nouvelle fois martelé qu’aucune juridiction n’était vouée à disparaître : « Ce n'est pas une nouvelle carte judiciaire, mais une nouvelle méthode de travail que je propose. (…) J'ai toujours été convaincue de la nécessité d'une justice de proximité ». Cette nouvelle méthode est une « possibilité offerte à chacun des territoires, rien ne sera imposé depuis Paris ». L’évolution porte, d’une part, sur les tribunaux d’instance, dont « le maintien est garanti », avec un socle de compétences prévu par décret, et d’autre part, sur la création possible de pôles départementaux qui regrouperaient des pôles spécialisés. En matière civile, « la répartition devra prendre en compte le volume d’activité. Les contentieux de masse seront exclus, seuls seront concernés les contentieux spécialisés », a défendu la ministre.

La fusion du tribunal d’instance (TI) avec le tribunal de grande instance (TGI), dans ce qui deviendra le tribunal judiciaire, est l’une des mesures les plus contestées. Dans la dernière version du texte adoptée par l’Assemblée nationale le 23 janvier, dont les grandes lignes ne devraient plus bouger, le tribunal d’instance deviendra une « chambre détachée » du tribunal judiciaire et le périmètre de ses compétences pourra être « étendu sur proposition des chefs de cours et après avis des chefs de juridiction ». Sauf décision contraire, le contentieux civil de moins de 10 000 € pourrait donc échapper aux actuels juges d’instance. Lorsqu’ils ne sont pas situés sur la même commune que les TGI, les sites seront appelés « tribunaux de proximité ».

Outre la « dévitalisation des juridictions » et « la disparition rampante des juridictions de proximité » par cette fusion, d’autres volets du texte sont dénoncés par la profession a rappelé Jérôme Gavaudan : le volet pénal et le renforcement des pouvoirs d’enquête du parquet conduisant à un « déséquilibre au détriment des droits de la défense », l’expérimentation du tribunal criminel départemental « qui crée 2 catégories de crimes les graves et les moins graves », la notification numérique des droits au gardé à vue, « une mesure qui nous fait trembler », ou encore les pouvoirs donnés au directeur de la CAF en matière de pensions alimentaires.

Des critiques partagées par le Défenseur des droits qui a interrogé : « le service public de la justice va-t-il échapper à l’évanescence du service public ? ». En 2018, les 500 délégués au Défenseur des droits ont fait le constat d’un recul du service public et de l’effectivité des droits fondamentaux, d’un accroissement de la fracture territoriale et de la discrimination dans l’accès aux prestations. « La réforme de la justice comporte bien des mesures qui seront autant d’obstacles à l’accès au juge et aux droits de la défense » a affirmé Jacques Toubon, soulignant la rétractation du service public de la justice « à chaque fois que l’on pourra se passer d’un juge ». Il a regretté par ailleurs que la certification des plateformes numériques ne soit pas obligatoire et que les critères de compétences aient été supprimés. « Les avocats devront être des facilitateurs et accompagner les justiciables en difficultés ».

Jacques Toubon en a profité pour appeler de ses vœux une évaluation de la réforme du divorce par consentement mutuel sans juge, notamment au regard de ses conséquences sur les droits de l’enfant. Il a contesté la réforme de la justice des mineurs voulue par ordonnance qui marque « uniquement un souci de pénalisation ». De surcroît, « un droit pénal spécifique est en train de s’installer dans le Code de sécurité intérieure » au-delà du Code pénal, « Nous ne lutterons pas contre le fanatisme en compromettant nos libertés », a-t-il souligné. Dans ce contexte, le Défenseur a marqué son opposition à la loi sur l’encadrement des manifestations qui comporte de nombreuses atteintes aux droits et libertés.

Source

Conf. des bâtonniers, AG statutaire, 25 et 26 janv. 2019

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