La réindustrialisation à l’épreuve de la crise énergétique
La crise sanitaire nous aura révélé presque au sens chimique du terme les défaillances du « made in France ». Manque de masques de protection (il a fallu en importer pour 6 milliards d’euros rien qu’en 2020), pénurie de respirateurs artificiels, incapacité à créer un vaccin au pays de Pasteur… La désindustrialisation et son corollaire qu’est le déficit de souveraineté, de prospérité et de liberté est devenue palpable pour tous à l’issue de la pandémie.
Entendons-nous : le phénomène est déjà ancien. Il a débuté véritablement avec le premier choc pétrolier en affectant des secteurs déjà en crise tels que le textile, la sidérurgie et les charbonnages... La France n’a d’ailleurs pas été la seule nation concernée. Mais l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne s’en sont tirés beaucoup mieux que notre pays.
Depuis plus d’une décennie, on ne compte plus les rapports qui ont alerté l’opinion et les décideurs. Il venaient après une période où la doxa proclamait les vertus de l’avènement d’une ère post-industrielle et vantait les mérites d’une société sans usine. Aussi judicieux qu’ils furent, il fallut du temps pour prendre à bras le corps cette question de la désindustrialisation.
Malgré tout, l’exécutif a fini par considérer qu’inverser cette tendance était devenue une urgente obligation et il s’est ainsi engagé à créer un « choc de réindustrialisation ». Dès les semaines qui ont suivi l’annonce du plan « France 2030 », des initiatives ont vu le jour ce qui démontre la pertinence d’une collaboration étroite entre un Etat-stratège et des acteurs économiques réactifs et innovants.
Mais alors que l’on commençait à entrevoir des pistes sérieuses de réindustrialisation, nous sommes contraints d’affronter une crise énergétique d’une tout autre ampleur. La guerre en Ukraine, puis les décisions de Vladimir Poutine d’interrompre les livraisons de gaz en Europe révèle notre trop grande dépendance aux hydrocarbures russes.
Cette crise est accentuée par les choix que nous avons faits dans le passé. Nous avons perdu l’avantage que l’énergie nucléaire nous procurait par rapport à nos concurrents sans nous engager dans une politique résolue en faveur du renouvelable . Beaucoup d’entreprises vont avoir du mal à résister à l’inflation et à la hausse des prix de l’énergie.
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Les risques que nous font courir une telle situation sont multiples. L’un d’eux est que se mette en place une autre délocalisation. La délocalisation précédente était fondée – en grande partie – sur le coût de la main d’œuvre. Verra-t-on demain une nouvelle délocalisation se faire à partir, cette fois, du coût de l’énergie ? Face à la flambée des prix en Europe, certaines entreprises peuvent être tentées de déplacer une partie de leurs activités sur le territoire américain. Dans un récent éditorial, le Wall Street Journal posait crûment la question : Et si l’industrie européenne se délocalisait aux Etats-Unis ? Fort heureusement nous n’en sommes pas là. Mais cette question provocante oblige à comprendre l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés.
A comprendre et à y répondre. Car il n’est plus possible de traiter ce problème sans nommer les trois grands chantiers qui doivent être mis en œuvre sans tarder. Le premier est celui d’une vraie politique énergétique européenne. On l’a parfois oublié mais l’énergie a été à l’origine de la construction européenne. Son acte de naissance est lié à l’initiative de Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères proposant, le 9 mai 1950 la création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le 9 mai est devenu depuis « la journée de l’Europe ».
Les décennies ont passé et l’énergie a progressivement cessé de figurer au premier rang des priorités de la construction communautaire. Il faut renouer avec cette démarche or l’Europe paraît incapable d’agir. Autant elle avait rapidement su se mobiliser face à la pandémie grâce à la mutualisation des dettes et au plan de relance, autant elle paraît actuellement réticente à dépasser les intérêts nationaux.
Le deuxième chantier vise à permettre à la France de jouer sa propre partition en mettant tout en œuvre afin de relancer une politique nucléaire ambitieuse et de positionner notre pays comme un acteur clé en Europe en sachant tirer le meilleur de sa position stratégique dans les nouveaux flux énergétiques. Nous ne pouvons plus recommencer avec une politique du « quoi qu’il en coûte » en subventionnant durablement le prix de l’énergie.
Il ne suffit pas d’afficher nos ambitions énergétiques et technologiques, encore faut-il pouvoir compter sur des femmes et des hommes en mesure de les concrétiser. Dans cette optique, il est indispensable de réconcilier les Français, et notamment les plus jeunes, avec l’idée de progrès et d’opérer une véritable mobilisation dans les domaines de l’éducation et de la formation. En mathématiques et en sciences, qui étaient par le passé un domaine d’excellence académique de notre pays et qui font encore sa fierté à l’occasion de l’obtention de Prix Nobel et de médailles Fields, la France connait un inquiétant recul qualitatif dans les classements scolaires internationaux. La jeunesse, et tout particulièrement les femmes, se détourne des matières scientifiques à l’heure où la pénurie d’ingénieurs, d’experts en numérique ou de techniciens très qualifiés n’a jamais été aussi forte. Et notre système de formation continue, malgré des évolutions à saluer ces dernières années, ne permet pas d’orienter et de reconvertir rapidement et massivement les Français dans les secteurs indispensables à une réindustrialisation durable et compétitive de nos territoires.
L’ampleur de ces chantiers montre, dans les trois cas, qu’il s’agit de défis majeurs. Face à ces derniers, la tentation est grande de se laisser aller au déclinisme ou à « l’à-quoi-bonisme » portés par ceux qui sont revenus de tout sans être allés nulle part. Or, c’est précisément dans ces moments charnières que nous devenons les artisans de notre propre histoire. La période qui s’ouvre est difficile et exigeante mais elle nous prouve que si le pessimisme est affaire d’humeur, l’optimisme est affaire de volonté.
Vorstand Sopra Steria Germany & Austria
2 ansLaurent Giovachini I fully share your view. The question though: is it a pure „national“ challenge? I strongly believe in the strength of a core Europe of few countries (at least FR+DE) to tackle these challenges.
✅ Consultant senior : Management de Projets à hauts Enjeux et Risques ● Conseil stratégiques aux Entreprises sur le Management de Projets, la Normalisation et la relation au Ministère des Armées● Paris et région ●
2 ansBravo Laurent pour ton analyse et tes propositions !
International R&T Cooperation Development Director at Naval Group - Naval Architect
2 ansBravo Laurent pour ce post bien senti. L'Etat n'est plus assez stratège et a raisonné trop souvent à courte vue en oubliant la vision long terme et l'intérêt général. Souhaitons et travaillons pour une France forte dans une Europe solidaire, pragmatique et ambitieuse!
CEO DACSO. International Trading & Business Development.
2 ansLe déclin de la France. Merci pour ce scanner qui reprend une partie de notre déclassement et en face quelques solutions de la "remontada". Néanmoins, on oublie un critère essentiel pour réussir : l'Unité d'un peuple, l'envie de vivre ensemble autour des mêmes valeurs sociétales qui serviront de critères de référence, d'appréciation et de jugement... Et là...
Partner chez Family & Co
2 ansVous avez bien raison.. nous avions l’énergie la moins chère d’Europe . Avantage compétitif majeur. Nous avons des formations d’exception (compagnons,ingénieurs, commerce) et laissons filer ces talents d’exception vers d’autres pays . L’Europe telle qu’elle fonctionne depuis plusieurs années n’est sûrement pas la réponse ..sauf à la réformer .