La Rémunération à l’Acte et les Primes Incitatives au Maroc : Vers une Nouvelle Dynamique de Motivation pour le Personnel de Santé ?
Le secteur de la santé au Maroc fait face à des défis structurels importants, notamment en matière de motivation et de rétention du personnel. Le Dahir n° 1.23.51 du 9 hija 1444 (28 juin 2023) a promulgué la loi n° 09-22 relative aux métiers de la santé, introduisant des dispositifs de rémunération à l’acte et des primes incitatives. Ces réformes visent à dynamiser la motivation des professionnels et à améliorer la qualité des soins, tout en soutenant la mise en œuvre de la couverture médicale universelle. Ce modèle, qui cherche à aligner l’effort individuel avec la performance institutionnelle, s’inspire de pratiques observées à l’international. Cependant, la réussite de cette approche dépend de son intégration intelligente dans le contexte marocain.
Les théories de la motivation fournissent une base utile pour évaluer la pertinence de ces réformes. Herzberg (1966) distingue les facteurs motivants intrinsèques, tels que la réalisation personnelle et la reconnaissance, des facteurs extrinsèques, comme la rémunération et les primes. La théorie de Vroom (1964) suggère que la motivation dépend de la perception de l'effort-récompense : un salarié est plus motivé s'il estime que ses efforts conduiront à une récompense équitable. Toutefois, Deci et Ryan (1985) soulignent que si les incitations financières peuvent accroître la motivation à court terme, elles risquent d’éroder la motivation intrinsèque sur le long terme, particulièrement si elles ne sont pas accompagnées d’autres leviers comme l’autonomie professionnelle et la reconnaissance sociale.
La rémunération à l’acte, en incitant les professionnels à produire davantage, peut augmenter la productivité des établissements de santé. Cependant, cette approche n’est pas sans risques. En privilégiant la quantité des soins, elle peut conduire à une détérioration de leur qualité. De plus, une rémunération à l’acte mal encadrée peut favoriser la multiplication d’actes médicaux inutiles, ce qui pourrait alourdir les coûts de santé sans bénéfice réel pour les patients. Il est donc nécessaire d’accompagner ce modèle de mécanismes de contrôle de qualité et d’indicateurs d’efficacité.
Les expériences internationales montrent les avantages et les limites de ce type d’incitation. En France, les primes de performance collective introduites dans les hôpitaux ont amélioré certains indicateurs de soins, mais ont également suscité des tensions. Les soignants ont parfois perçu ces primes comme inaccessibles ou fondées sur des critères opaques, entraînant une démotivation. Au Royaume-Uni, le Quality and Outcomes Framework (QOF) a permis d’améliorer certains aspects de la médecine générale en fixant des objectifs précis, mais au prix d’une surcharge administrative. Au Canada, le modèle mixte combinant rémunération à l’acte, salaire fixe et primes de performance semble offrir un meilleur équilibre entre incitation financière et stabilité professionnelle.
Dans le contexte marocain, la loi n° 09-22 ambitionne de valoriser les efforts du personnel de santé tout en améliorant la qualité des soins. Les primes individuelles et collectives peuvent encourager la collaboration au sein des équipes soignantes, tandis que la rémunération à l’acte incitera à offrir davantage de services, ce qui est crucial pour réduire les listes d’attente. Toutefois, l'application de ces réformes nécessite une vigilance particulière. Un déséquilibre dans la répartition des primes pourrait creuser des écarts entre les spécialités et créer des frustrations. Par exemple, des profils comme les médecins généralistes ou des infirmiers et techniciens de santé pourraient être sous-rémunérés par rapport à des actes plus techniques, bien que leur impact sur la santé publique soit tout aussi essentiel.
En outre, le risque de surmenage du personnel est réel. La pression pour augmenter le nombre d’actes ou atteindre certains objectifs peut entraîner de l’épuisement professionnel, surtout si les infrastructures et le soutien logistique ne suivent pas. Il est donc essentiel que ces incitations financières soient accompagnées de mesures de soutien, comme l’amélioration des conditions de travail, la formation continue et le suivi psychologique des soignants.
L’expérience montre également que la motivation des professionnels ne repose pas uniquement sur les incitations financières. Le sentiment d’accomplissement personnel, la reconnaissance du travail accompli, ainsi que l’autonomie professionnelle jouent un rôle fondamental. Dans ce cadre, la réforme marocaine devra veiller à offrir des opportunités de développement professionnel et à promouvoir une culture de reconnaissance. La mise en place d’indicateurs de performance transparents et accessibles sera aussi cruciale pour garantir l’adhésion des équipes aux objectifs fixés.
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En conclusion, la rémunération à l’acte et les primes prévues par la loi n° 09-22 constituent une avancée vers la modernisation de la gestion des ressources humaines dans le secteur de la santé marocain. Toutefois, pour que ces réformes portent leurs fruits, elles devront être intégrées dans une stratégie globale qui prenne en compte le bien-être des professionnels et la qualité des soins. Un équilibre entre incitation financière et engagement intrinsèque est nécessaire pour éviter les dérives observées dans d’autres pays. Le Maroc peut s’inspirer des expériences internationales tout en adaptant les dispositifs à son contexte local, avec pour objectif ultime une amélioration durable de la motivation du personnel et de la satisfaction des patients.
Références
- Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior. Springer Science & Business Media.
- Herzberg, F. (1966). Work and the Nature of Man. World Publishing Company.
- Vroom, V. H. (1964). Work and Motivation. Wiley.
- NHS England. (2020). Quality and Outcomes Framework (QOF) guidance.
Paramedical trainer at Mohammed VI Polytechnic University Benguerir
2 moisBonne réflexion si Mohamed.
Master pédagogie en sciences infirmières et techniques de santé
2 mois* En l'absence de référentiel des Emplois et des compétences (REC) pour la catégorie des Infirmiers et de techniciens de santé, on ne peut pas parler d'une rémunération à l'acte, des tâches accomplies par les infirmiers mais légalement reconnues pour les médecins. On peut conclure que ce prime variable est en faveur de qui. * Derrière cette réforme de façade, nous avons une déstabilisation du statut de fonctionnaire par la fameuse *fonction publique sanitaire* qui prévoit la suppression de statut de fonctionnaire à un agent au sein d'un groupement sanitaire territorial_ GST..... Ce groupement décentralisé deviendra l'ordonnateur des salaires de ses agents, en l'absence de recettes suffisantes peut se transformer en société qui offre le droit de licenciement. Ce GST , en l'absence de garanties légales pour les fonctionnaires _de stabilité des salaires, je le considère une menace pour les professionnels de santé _Quelle motivation en l'absence de statut claire d'exercice ( REC) et de garanties légales univoques???