La révolution des slasheurs : comment ils bouleversent le rapport au travail

La révolution des slasheurs : comment ils bouleversent le rapport au travail

Marjolaine est notre rédactrice web. Elle est aussi scénariste (elle travaille actuellement sur un scénario de BD d’anticipation) et headhunter pour notre communauté de chasseurs de tête.

Marjolaine est une slasheuse.

Comme elle, de plus en plus d’actifs cumulent les activités (on ne parle plus nécessairement d’emplois) et se décrivent ainsi, en utilisant la barre oblique, « le slash » de leur clavier.

 Rédactrice web / scénariste / headhunter

 Quoi de neuf sous le soleil ? Changer de métier au cours de sa vie n’est pas propre à cette tendance, de tous temps, des gens se sont réorientés professionnellement.

Ce qui est nouveau, c’est l’accumulation des différentes fonctions en parallèle pour des catégories de personnes très diplômées. Ces personnes qui avaient, jusque là, un parcours professionnel très normé font exploser les codes de l’emploi.

Car la multi-activité est, pour le slasheur, un choix et non la résultante de difficultés économiques. C’est une manière de travailler permettant de répondre à sa volonté de concilier des impératifs autrefois contradictoires : la nécessité de gagner sa vie, l’envie de kiffer sa vie professionnelle et de s‘épanouir en général.

Et ce faisant, le slasheur bouleverse le rapport au travail.

Alors, ça slashe ou bien ?

“Mon grand-père a fait le même travail toute sa vie, mon père a eu 7 emplois différents tout au long de sa carrière, et moi j'ai 7 emplois en même temps”.
Seth Godin

 De nouveaux modes d'emplois de la vie professionnelle

Explorer les possibles

Le premier point commun entre tous les slashers (dont je fais partie en étant chasseur de tête/entrepreneur), c’est leur curiosité insatiable. Pour un slasher, la vie professionnelle (et la vie en général) c’est la possibilité d’explorer le champ des possibles.

Ce qui les porte dans la vie, c’est d’acquérir des connaissances, surtout dans un monde où le savoir est à « portée de clic »*, être slasheur lui permet d’assouvir sa soif de connaissances.

C’est aussi une nécessité dans un monde transformé digitalement, dans lesquels les moins de 30 ans exerceront environ 13 métiers différents… dont la plupart n’existent pas encore.

L’obsolescence des compétences est aujourd’hui intégrée et admise et pousse chacun d’entre nous à devenir les « entrepreneurs de leur formation »

« J’ai 34 ans et j’ai raté la première vague internet et même en partie la deuxième. Suite à une reconversion professionnelle, je me suis lancée à corps perdu dans l’univers du web. Pour bien exercer mon métier de rédactrice web, j’ai du me former aux techniques spécifiques d’écriture pour le web mais aussi à la dimension plus technique du SEO éditorial.

En parallèle, je me forme en continu à l’écriture scénaristique. Je m’intéresse aussi beaucoup aux techniques de créativité comme le nudging ou le design thinking. C’est cette polyvalence qui me plaît dans le statut de slasheuse car il convient à mon envie d’en apprendre toujours plus. J’ai souvent l’impression que des journées de 24 heures ne suffisent pas à tout faire. » confie Marjolaine.

* Emmanuelle Duez

Modeler sa vie professionnelle

L’énergie des slasheurs est la même que celle des entrepreneurs qui décident, dans un contexte morose, de rester optimistes et de devenir acteurs de leur vie professionnelle.

En ce sens, le slasheur est agile : il s’adapte à la transformation de la société tout autant qu’à l’évolution de sa vie personnelle. En fait, le slasheur est une version 2.0 du travailleur ayant intégré la précarité du monde du travail et ne désirant plus la subir. Pour l’instant, cela concerne plutôt les catégories les plus éduquées mais à terme, cette vie professionnelle tentaculaire (et non linéaire) pourrait se généraliser. Certaines entreprises commencent d’ailleurs à intégrer ces modalités en favorisant l’intrapreunariat*.

La vie de slasheur demande un maximum d’organisation car elle reflète également la porosité des vies pro et perso dans ce monde digital.

Ici le slash représente plutôt le symbole de la fraction mathématique, permettant de diviser son temps et de le répartir.

Marjolaine confirme : « J’ai mon smartphone greffé à la main, je ne m’arrête jamais vraiment de travailler ni le soir, ni les we, ni en vacances. Ca demande une rigueur que je n’ai pas encore.

En revanche, être slasheuse et freelance me permet une souplesse incroyable dans mon organisation de vie au quotidien, surtout avec un enfant en bas âge. En plus de n’exercer que des activités qui me plaisent, j’ai cette souplesse dans mon organisation. » 

* L’intrapreunariat est l’entrepreneuriat effectué à l’intérieur d’une plus grosse entreprise par l’un de ses salariés.

 

Une vie professionnelle sur-mesure

Les slasheurs ont la chance de pouvoir modeler leur vie professionnelle au gré des rencontres, des opportunités, des envies et des nécessités de la vie. Ce sont des Yes Man qui ont décidé d’accepter leur incapacité à refuser l’appel de l’aventure – ou d’une rencontre intéressante – et ont au contraire choisi de répondre par la positive à un maximum d’opportunités et d’occasions. Par goût, les slasheurs sont donc souples et adaptables.

Marjolaine retrace son parcours : « J’ai travaillé 7 ans en marketing avant de devenir freelance et d’évoluer progressivement vers ce statut de slasheuse. J’ai appris des choses pendant ces expériences professionnelles mais… je n’étais pas pleinement épanouie. Et j’étais un peu déçue au niveau intellectuel. Je me souviens m’être dit : 5 ans d’études supérieures pour ça ? Bof. Être slasheuse m’a permis de satisfaire ce besoin de stimulation intellectuelle. Ce que je fais me passionne et par-dessus tout, j’ai la possibilité de rencontrer des gens hors du commun lors des interviews que je mène : par exemple, hier j’ai interviewé deux étudiantes d’HEC en pleine création de startup, la semaine dernière c’était un philosophe qui réfléchit à la manière d’utiliser la diversité en entreprise… mes clients font également partie d’un écosystème de startups qui réfléchissent au monde d’après, toujours en quête d’innovations… quelle stimulation ! » 

La multiplication des identités professionnelles permet également d’assouvir ce besoin de variété des tâches, exprimé par les slasheurs.

Car le slasheur s’ennuie vite. En proposant un choix, il offre des possibilités variées de faire appel à lui mais aussi de varier ses champs d’intervention sur une même semaine.

« Je suis plurielle. Je m’ennuie très vite dans une mission trop définie. Quand j’étais salariée, je ne parvenais pas à exprimer cette pluralité, je la sentais jugée comme si c’était un défaut, comme si je m’éparpillais. Aujourd’hui c’est plus devenu un atout sur lequel je m’appuie.

Quand j’ai commencé à travailler pour MyJob.Company, j’ai découvert qu’il m’était possible d’arrondir mes fins de mois en mettant mes contacts en relation, pour les aider à trouver un job…Une mise en relation que je pratiquais déjà spontanément en fait.

Peu à peu, j’ai appris à comprendre comment s’adresser à quelqu’un pour le motiver à postuler ou des choses plus techniques, comme les recherches booléennes dont la philosophie est finalement proche du SEO… tout se recoupe à un moment ! »

 Un slasheur sachant slasher

Une infinité de synergies

Bien plus que d’exercer des activités sans rapport les unes avec les autres, les slasheurs savent additionner leurs compétences et en tirer des synergies incroyables.

Le slasheur crée ainsi des mélanges inédits de talents et de compétences par le trait d’union que représente le slash.

C’est le cas de Rodolphe qui est ingénieur aéronautique/entrepreneur/coach/fan de Spinoza.

Rodolphe applique ses méthodes de travail de l’aéronautique pour modéliser son approche entrepreneuriale. Ainsi, chaque activité enrichit l’autre et nourrit le slasheur d’une force créative sans limite.

Marjolaine précise : « L’intérêt ici est de pouvoir exprimer pleinement sa personnalité car les synergies seront très différentes d’une personne à une autre.

Par exemple, il existe d’autres rédacteurs web. Oui mais peut être pas beaucoup de rédacteurs avec un background marketing, s’étant formé au storytelling et possédant les techniques d’écriture scénaristique. Ce mélange de compétences me permet d’exercer mon métier à ma manière, avec ma patte mais aussi de proposer des idées inédites à mes clients. En fait, l’idée c’est de sortir du moule et de ne plus être interchangeable. »

 

 

Une émulation collaborative

Le slash signifie aussi la liaison entre deux termes. Et le slasheur, curieux comme il est, aime collaborer.

Travailleur indépendant, il collabore avec des entreprises. Il coopère aussi avec d’autres indépendants. Fortement inspiré par la culture geek, le slasheur travaille beaucoup avec ses pairs, en quelques sortes en peer-to-peer.

« J’utilise une slack-room pour échanger sur les bonnes pratiques, demander de l’aide sur des domaines variés, mais aussi échanger sur mes soucis au quotidien, me faire conseiller sur mes tarifs par exemple ou encore partager la vision stratégique de mon activité.

J’ai créé une ambiance de travail agréable et stimulante, favorisant l’émulation. On travaille un peu dans l’idée de l’open source en échangeant librement sur les projets des uns et des autres, sur les grandes tendances du moment – comme la blockchain – sans avoir la crainte de se faire piquer une idée.

Pour monter en compétences, je pratique également le troc de temps et la co-formation. Par exemple, une amie slasheuse, Catherine qui fait du conseil en innovation et créativité / scénariste / illustratrice (entre autres slashs J) m’a aidé à clarifier mon positionnement stratégique et elle va prochainement me former à la facilitation visuelle. En échange, je vais la former aux bases de la rédaction web.

Ponctuellement, nous nous organisons en équipe pour collaborer sur des projets, il nous est alors possible d’intervenir avec l’une ou l’autre de nos casquettes. »

 

S’accomplir plus que réussir

Être slasheur peut recouvrir plusieurs réalités. Certains ont un emploi alimentaire leur permettant de financer leur passion.

D’autres, ont trouvé le fil rouge qui leur permet de s’éclater dans leurs différentes activités. Ce fameux fil rouge, c’est d’ailleurs un peu la quête du Graal des slasheurs.

« Il y a 4 ans, j’ai fait un bilan de compétences très long. On est vraiment allé dans le détail et en profondeur. J’en suis ressortie avec un fil rouge : l’écriture, qui guide mes choix professionnels depuis.

Je me suis également fixée un « super objectif » de vie qui est de publier de la fiction (BD, roman). A partir de ce super objectif, je me suis fixée des objectifs secondaires dont l’un était de vivre de ma plume à court terme. C’est aujourd’hui chose faite avec la rédaction web. » 

Ainsi, en exerçant sa passion, l’activité business du slasheur « suit » naturellement. Parce qu’il est habité, motivé, impliqué, son activité se développe en toute logique.

Le slasheur est donc face à la nécessité d’analyser ses motivations profondes pour se permettre de mobiliser une énergie importante en exerçant des activités qu’il aime, qui le passionnent sincèrement.

« Ensuite, il faut réussir à organiser sa vie et ses différentes missions sans perdre de vue son objectif principal. C’est le plus grand piège en fait. On risque de s’éparpiller et d’oublier ce pour quoi on travaille vraiment, la finalité.

C’est un coach qui m’a aidée à mettre en place la meilleure organisation de mon temps de travail. Par exemple, le fait que j’ai plus d’énergie le matin, donc je dois écrire mes articles le matin et faire mes recherches l’après midi. Le fait de réussir à libérer du temps pour mes projets d’écriture de fiction également – aujourd’hui c’est une demie journée par semaine, à terme, j’aimerais que ce soit encore plus ! »

Nés de la transformation digitale de la société, les slasheurs ont en eux une force incroyable : ils sont épanouis. Et si le mode de vie du slasheur lui demande beaucoup d’énergie, son épanouissement lui en apporte énormément en retour.

Ainsi, en ayant replacé le travail au même niveau que leur vie de famille et leur passion, ils inventent probablement le travail de demain. A nous, recruteurs et entrepreneurs de saisir leurs attentes et aspirations pour séduire ces profils aussi riches que décalés pour leur proposer des approches moins traditionnelles.

Lise Devillers

--Étudiante HEC Montréal en logistique et développement durable

3 ans

Bonjour, je suis étudiante à HEC Montréal, et votre article m'a beaucoup inspiré et me donne encore plus envies de m'investir dans ma formation tout en restant curieuse de ce qui m'entoure. Je ne connaissais pas ce concept, mais il correspond exactement à ce je souhaite faire dans ma vie professionnelle, et je souhaite d'autant plus améliorer mes compétences pour réaliser mes objectifs maintenant que je sais que c'est possible. Merci pour votre article, il m'a vraiment inspiré.

Baptiste Le Sueur

Directeur Système d'Information | Directeur de la Sûreté | Digitalisation | Industrie 4.0 | Innovation | Data &IA | Sûreté physique

8 ans

Tout à fait en ligne avec ce que vous décrivez et très content de voir que ce genre de parcours peut être valorisé. Combien de fois on peut vous reprochez de "papillonner".... La cohérence des approches est nécessaire et l'enrichissement croisé que génère ces activités différentes accroit la productivité et l'engagement! C'est l'accomplissement de soi et le Sens qui est boosté.

quel bonheur si enfin il existe des personnes qui valorisent cette manière de travailler : j ai souvent eu deux activités en même temps, je m ennuyais après trois ans sur une mission, j avais besoin de créer, de travailler seule ET aussi en collaboration.... combien de fois m a t on qualifiée d instable... mon fil conducteur est toujours le même pourtant : aider autrui a développer ses compétences personnelles et/ou professionnelles, par la formation continue, le coaching, le bilans de compétences et l accompagnement des projets professionnels comme celui des transitions de vie personnelle. belle vie aux jeunes slasheurs !

Merci pour cet article intéressant contribuant à développer une vision positive de la multi-activité (pas toujours bien vue dans la vraie vie). Slasheuse heureuse, je pense toutefois que le mot clé devrait évoluer car le slash est trop imperméable.

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