La révolution du Luxury Retail
Quelle vision pour l’évolution des boutiques de marques de luxe ?
Depuis les années 2000, les marques de luxe ont intensifié leur présence dans les zones les plus visitées de la planète, soutenues par la consommation de la Chine. Faute d’audace pour se réinventer, leurs concepts de boutiques se sont laissés aller à une certaine forme de standardisation.
Le luxe paradoxal
Gucci, Prada, Chanel, Vuitton, des marques que l’on retrouve partout, souvent regroupées ensemble. Elles finissent par former des sortes de conglomérats incontournables, dans les aéroports, les grands magasins et certains quartiers.
Devenues omniprésentes, elles ne parviennent plus à ménager une distance stimulatrice du désir et condition sine qua non pour toute prétention au luxe. La duplication de boutiques quasi semblables et la communication globale produisent même un effet de chaine, avec l'évocation d'un univers plus industriel qu’artisanal.
Simultanément des enseignes telles que Zara présentent un niveau d’esthétique et de merchandising sans cesse plus sophistiqué, empruntant aux codes du luxe pour les vitrines de leurs plus belles adresses. Avec un certain culot, d’autres marques d’entrée de gamme communiquent sur des supports auparavant réservés au luxe, H&M par exemple, annonceur récurant dans Vogue.
Dans ce contexte de nivellement pour les marques de luxe, comment réinventer les boutiques, tant dans la forme que dans la substance ? Et comment séduire une clientèle locale de nouveau convoitée car moins volatile que la clientèle touristique ?
Le luxe c’est l’expérience
L'industrie du luxe fait face à de profonds changements de comportements. Les millenials en redéfinissent clairement les contours. Ils préfèrent un luxe dit expérientiel à la simple possession de biens et cette motivation se transforme en facteur de choix.
Cette préférence pour l’expérience ne nous provient pas uniquement des millenials, même s'ils la cristallisent. Elle se diffuse partout autour de nous. C'est la nature même de l’expérience qui détermine sa suprématie.
L’expérience plus que l’objet répond à l’injonction de notre époque à être soi-même, à forger notre singularité. Et surtout l’expérience est plus médiatisable que l’objet, elle renferme déjà en elle-même une narration, un déroulé, bref une fiction. Or ce qui fait priorité dans les événements qui jalonnent notre quotidien, c’est leur capacité à nourrir notre double médiatique sur les réseaux sociaux.
La problématique pour les marchands d’objets de luxe devient la suivante : comment enrichir l’objet d’une expérience, autrement dit, comment créer l’objet expérientiel ?
La substance : la fin des boutiques
Ces évolutions obligent à requalifier les boutiques - un nom presque désuet - pour en faire des nouveaux lieux de vente et de culture de la marque.
Pas seulement des lieux d’exposition de marchandise mais des lieux d’exposition tout court, qui réintroduisent un dialogue temporaire ou permanent avec des œuvres d’art. Des nouveaux lieux hybrides abritant plusieurs activités, en continu ou par intermittence. Des lieux ateliers, de personnalisation des objets, des lieux-spectacle, de défilés, émetteurs et récepteurs de contenus, des espaces modulables de retransmission d'images et de directs, capables d’accueillir des performances.
Des lieux d’expérience au sens d’expérimentation comme les marques de luxe doivent aussi démontrer leur capacité d’innovation, pas seulement lors des défilés mais aussi dans les lieux où elles reçoivent leurs clientèle.
La forme : érotiser le parcours client
Le professeur de sociologie Colin Campbell décrivait la société de consommation comme étant à prédominance romantique. L'être romantique recherche l'excitation sensorielle, la surprise, la nouveauté et le plaisir.
Les marques de luxe plus que toutes autres doivent inventer de nouvelles manières d’instiller une forme de plaisir tout au long du parcours client, autrement dit elles doivent chercher à l’érotiser. Comment transformer chaque étape d’un parcours client a priori neutre et attendu en expérience, en moment d’interaction, de surprise et de plaisir. Puis, dans un deuxième temps, comment rendre ces moments médiatisables ? C'est-à-dire comment faciliter leur partage sur les réseaux sociaux.
La conception d’une expérience totale doit faire partie de l’achat de l’objet comme un tout inextricable.
Réintroduire la fonction de galeries des Glaces
La galerie des Glaces du château de Versailles était le cœur du premier système de la mode voulu par Louis XIV pour faire tourner des manufactures jusqu’alors déficitaires.
Il crée la rotation des collections et ce jeu de miroirs au travers duquel la cour va se montrer et montrer ses possessions, c’est le début d’une hyper-visibilité. La galerie des Glaces c’est : se regarder, regarder les autres et regarder les autres me regarder.
Penser aujourd’hui les reflets de ces miroirs c’est réfléchir à la médiatisation du parcours client, à des occasions de séquences partageables sur les réseaux sociaux. C’est réintroduire de la rivalité mimétique : le désir n'est pas celui d'un objet, il s’agit plutôt du désir du désir de l'autre.
L'objet est un prétexte. Ce qui compte c'est l'envie mimétique. Créer de la rivalité entre les individus pour accroitre la désirabilité.
Une nouvelle approche du réseau de distribution
Quelques pistes pour sortir de cet effet de chaine des boutiques et retrouver attractivité et motivations de visites de la part des clients.
Raisonner en boutiques épisodes
Chacune des boutiques peut être conçue d’une manière complètement singulière, comme la pièce unique d'un puzzle plus global, celui de l’univers de référence de la marque. Comme un épisode vers un dénouement.
Plus la surface de la boutique est petite plus elle devra faire preuve de personnalité. Elle ne doit être en aucun cas un échantillon, un modèle réduit des boutiques plus importantes appartenant à la marque.
Les boutiques peuvent aussi définir l’exclusivité d’un service, d’une activité additionnelle à la vente, voire même une destination spécifique (par exemple une boutique réservée aux accessoires uniquement), une seule famille de produits donc, avec en contrepartie le choix le plus étendu.
La différenciation des points de vente peut se construire aussi par un merchandising différent dans chaque boutique, ce qui implique de prévoir des structures et du mobilier tout aussi différents. Même principe pour les vitrines : si le concept de chaque collection reste global prévoir une manière narrative de le déployer, chaque boutique comme réceptacle d’un épisode, d'une seule séquence de ce concept. L’idée c’est que les flaships font le pitch, la synthèse du concept de la collection, et les autres boutiques lui donnent des aspérités, du relief.
Dénomination
Pour différencier les boutiques, on peut avoir recours à une recherche de nom pour certaines d'entre-elles, indépendamment des flagships. Cette dénomination se rapportera à ce qui caractérise ces boutiques et en aucun cas à leur localisation. Pour exemple, le nom peut être inspiré par l'équipe de vente du lieu, en identifiant une caractéristique qui résistera au turnover. Un trait de caractère, une devise, une spécialité, un nom manifesto voire même issu de l'anecdote, laissant émerger une dimension humaine aux côtés de la marque.
Totale exclusivité
Réintroduire une part, même infime, de totale exclusivité, c'est choisir quelques produits qui resteront attachés au lieu physique, autrement dit que l’on ne pourra trouver que dans une seule boutique dans le monde et indisponibles sur internet, si ce n'est en images.
La seule solution pour acheter ces références en exclusivité ? Se déplacer dans la boutique où elles se trouvent, autrement dit voyager.
La mondialisation a eu pour effet de réduire l'exclusivité qui provoque pourtant une forme de plaisir. Si une marque n’est pas disponible en France, il existe une satisfaction à l’acheter ailleurs, à rapporter un produit comme trophée de voyage, qui, outre la distinction qu’il procure, a pour fonction de nous rappeler ce voyage. Du jour où cette marque s’installe chez nous, la disponibilité est plus grande, finie la magie et la part d’exotisme qu’il y avait à la rapporter d’un voyage.
La pratique de ces exclusivités radicales permet de retrouver le goût et les raisons d’un déplacement physique, de restaurer un peu de distance et de stimuler le désir.
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3 ansTrès intéressant
Responsable de collections, styliste, illustrateur, conseil, accompagnement, management, instinctif, spontané, naturel, direct, créatif, justesse, actuel, intemporel, expérimenté.
6 ansBravo c’est brillant
🎙🎧
6 ansPassionnant ! Je partage.
Stratégie numérique, Photographie , Marketing de contenu, Auteur, Entrepreneur
6 ansBel article merci Christophe, j'en profite pour partager avec mes amis experts du luxe Nicoletta Guisti, Valérie et Philippe Jourdan.
Global Retail Academy Project Manager - Louis Vuitton - Paris
6 ansMerci Christophe pour partager cette analyse si détaillée. Une vision en profondeur qui met les accents sur des points de vue très intéressants. Le luxe, et son univers complexe, sont des sujets très proches à la société